Photo du film DIAMANT BRUT
Crédits : Pyramide Films

DIAMANT BRUT, la prisonnière rêvant d’emprisonnement – Critique

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3.5

Qu’est-ce la réalité si ce n’est qu’un monde dominé par le numérique ? C’est un constat dont l’art a su voir venir avec de fortes appréhensions, notamment au cinéma. Après la peur, il est temps de comprendre. Avec DIAMANT BRUT, Agathe Riedinger tente de le faire avec un premier film cherchant à connaître aussi bien les rouages des réseaux sociaux que ceux qui vivent à travers eux.

Tout ce qui brille

« La misère est si belle » chantait PNL, toutefois, dans DIAMANT BRUT, elle est caché sous des strass et des paillettes. L’environnement dans lequel vit Liane (Melou Khebizi) est plutôt précaire et cette dernière fait tout pour le dissimuler. Le film porte ainsi bien son nom car la jeune femme est un diamant brut qui doit être aiguisé, en revanche, cette pierre précieuse est en toc. Liane vit dans un rêve qu’elle n’a pas encore réalisé et pourtant cette existence semble si réelle. En voulant montrer l’envers du décor de la télé-réalité, le métrage dévoile en vérité le véritable décor qui lui est tout aussi peu reluisant.

Fake it until you make it

Vendre du rêve est l’essence même de la télé-réalité. DIAMANT BRUT reprend ce dessein par l’existence de Liane qui ressemble à une émission télévisée. Le métrage fait à cet effet le choix d’utiliser le format 4/3, un format en somme archaïque, mais qui rappelle un autre aspect essentiel de ces émissions : l’enfermement. Liane s’enferme dans son rêve dans des surcadrages rappelant un écran de téléphone par lequel nous regardons non sans un certain voyeurisme digne de la télé-réalité. La jeune femme est à l’image de la maison dans laquelle Dino (Idir Azougli) souhaite vivre, elle dont les briques sont peintes de rêves. La vie de Liane est ainsi orchestré telle une émission entre clashs entre copines et phrases bateaux. Le film joue même avec la perception de la réalité, notamment lors du rendez-vous avec la conseillère. Durant cette séquence, la jeune femme réagit initialement de façon sanguine dans une réalisation digne des Ch’tis, puis la caméra change d’emplacement en donnant un point de vue réaliste qui calme les esprits avant de revenir brusquement à une mise en scène télévisuelle lorsque Liane sort. Le film montre ici qu’il évite une excessivité qui aurait été superflu. Certes, il frôle le too much avec les commentaires sous les posts Instagram et les messages affichés à l’écran, toutefois, il parvient paradoxalement à être réaliste dans son traitement de ce monde.

Encadrer le réel

Le principal marqueur du monde réel est la patience. Dans DIAMANT BRUT, nous sommes longtemps dans l’attente et pour quelqu’un comme Liane qui veut tout, tout de suite, et qui se voit déjà comme une star du petit écran, c’est une torture. Il n’y a rien de pire pour quelqu’un souhaitant fuir la réalité que de subir le temps car, au bout d’un moment, leur véritable nature s’affiche inexorablement. Dino est celui qui va faire vaciller Liane même si elle est rarement honnête avec lui. Le seul geste sincère qu’elle fait à son égard, elle l’annule le lendemain en le fuyant. Un avenir avec Dino est possible mais elle l’observe de loin, pire, elle préfère se tourner et courir. La vraie Liane n’est pourtant pas perdue. Elle reste observable par les gros plans sur son visage. Le plan moyen est le plan télévisuel par excellence. C’est aussi un type de plan qui montre le corps de Liane, ce qu’elle dévoile sur les réseaux sociaux et dans la rue. Le gros plan, à l’inverse, montre son visage, ses sentiments, mais aussi ses désirs.

Toucher avec les yeux

Le regard des autres, et surtout trouver son approbation, est un facteur essentiel dans le monde de l’image, et il l’est d’autant plus dans le film d’Agathe Riedinger. Le but de la célébrité, et en particulier dans le travail d’influenceur, est d’être vu. Liane poursuit ce même objectif, elle qui est observée à la fois par ses abonnés, Dino et sa sœur. Néanmoins, la jeune femme est avant tout une observatrice. Elle aussi suit des influenceuses et elle aussi regarde ce qu’elle désire. Dans la boîte de nuit, en voyant les danseuses elle se voit elle-même danser au début devant ses copines, sauf que celles qu’elle regarde sont vues par des centaines de personnes. Il en va de même à la villa où elle voit une actrice d’une publicité. Dans les deux cas, elle a son objectif en face d’elle, mais elle ne peut que l’observer.

La religion de l’écran

Observer maladivement la vie d’autrui est une nouvelle forme d’adoration. Lorsque Liane regarde une fille en boîte, des violons remplacent la musique apportant à l’ensemble une grâce angélique. Cela s’explique par le fait que la jeune femme est croyante et qu’elle a pour but de devenir une icône dans l’émission « Miracle Island », un nom se rapportant fortement à la religion. Ainsi, les messages affichés à l’écran deviennent des versets, et les plans du ciel montrent l’envie de Liane de s’élever et de devenir elle aussi une déesse. Bien que Dino et ses abonnés le lui fassent croire, elle ne l’est pas. L’actrice de la publicité et les statues grecques de la villa le lui rappellent. Le seul moyen de monter au ciel est d’être dans cette télé-réalité, mais ce serait un bleu et des nuages factices dans lesquels elle se trouverait.

Les animaux 2.0

Sur les réseaux sociaux, tout n’est pas unilatéral, l’adoration pouvant laisser place à la déshumanisation. En s’affichant publiquement, Liane se retrouve dans un zoo digital. Elle devient une bête de foire face à un auditoire d’inconnu. C’est le cas lors du casting, où la directrice qui la façonne comme un objet n’est jamais présente à l’écran. Le problème est que si on la voit comme un animal, on la traite comme tel. Ce constat est d’autant plus vrai lorsque ce sont les hommes qui posent leur regard sur elle. Que ce soit sur les réseaux ou dans la vraie vie, elle est dégradée, en allant de la simple imitation de gorille jusqu’à la rémunération pour montrer son corps. Liane n’est cependant pas dupe et change dans sa façon de faire. La caméra, si méticuleuse lorsqu’elle se maquillait, devient brouillonne lorsqu’elle se douche violemment comme si elle souhaitait effacer l’apparence animalière que les autres lui ont collés.

DIAMANT BRUT nous renvoie à notre voyeurisme quotidien. En effet, nous nous abreuvons, nous aussi, du contenu de personnalités d’Internet que nous ne connaissons pas. La différence ici est que nous adoptons le regard d’Agathe Riedinger et celui-ci est sans jugement. Dans cette cage d’environ 6 pouces, la réalisatrice nous montre des humains, même si une prison restera toujours une prison, quand bien même elle représente la liberté pour celle ou celui qui s’y trouve.

Flavien CARRÉ

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