L’histoire : Ivan et Pepa, deux comédiens de doublage, prêtent leur voix aux grandes stars du cinéma et se jurent chaque matin dans la pénombre du studio un amour éternel. Mais Ivan abandonne subitement Pepa. Celle-ci va mener son enquête et découvrir la double vie de l’homme qu’elle aime.
Décidément, la programmation du Festival Lumière 2014 consacrée à Almodóvar est passionnante. Elle permet de voir plusieurs facettes du réalisateur, et celui-ci continue de nous impressionner par sa façon d’aborder avec succès, un genre chaque fois différent.
– Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier donnait un aperçu original de la femme madrilène 80’s, centré sur la recherche du plaisir quelque soit sa forme.
– Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? donnait un aperçu social de l’Espagne, à partir d’une famille miséreuse, et notamment du point de vue de la femme/mère/belle-fille.
– Matador (mon préféré avec celui-ci) étudiait les différentes possibilités entre quatre personnages, et prenait plusieurs formes : drame, polar, théâtre filmé, comédie.
– La Loi du Désir observait l’influence de la passion sur la psyche et le processus créatif. Un film passionnant pour (TOUS) ses personnages masculins, mais plus classique par son sujet – le triangle amoureux.
FEMMES AU BORD DE LA CRISE DE NERFS prend quant à lui, des atours de vaudeville. Vaudeville ? Oui, mais un vaudeville-grand-huit servi par un scénario aux ramification très très très nombreuses. Du grand Almodóvar.
Dès le début, Almodóvar s’amuse à nous perdre.
Déjà, par l’auto-citation… Le titre du film – qui promet un certain spectacle voyeuriste – n’est-il pas également, un résumé de la plupart des personnages féminins de sa filmographie ? Ce film sera t-il donc plus spectaculaire que ses précédents ?
La réponse arrive sous forme de pied de nez : Almodóvar ne propose pas d’intro-signature !
La fameuse scène-voyeuriste-de-sexe-explicite est remplacée par une sorte de clip ; un magnifique travelling latéral N&B dans lequel un homme crooner rencontre de nombreuses femmes, chacune différente de la précédente, et les caractérise d’une phrase .
Le ton est donné : dans FEMMES AU BORD DE LA CRISE DE NERFS, l’esthétique est toujours là, mais l’humour remplace la provocation.
On observe également, un retour aux origines : Almodóvar replace la Femme (les femmes) au centre de l’histoire. Les deux hommes principaux n’ont qu’une importance scénaristique ; l’un n’est quasiment présent que par la voix – après tout, c’est un doubleur – une voix séductrice, mais dont on ne peux jamais vérifier les intentions du fait de sa distance. Ce personnage sert de moteur à l’histoire sans presque jamais intervenir physiquement ! une trouvaille fort bien mise en valeur.
L’autre, son fils, est à l’instar du spectateur, un observateur distant qui ne comprend pas toujours tout et doit démêler ce patchwork féminin via moult questionnements.
”FEMMES AU BORD DE LA CRISE DE NERFS est un Almodóvar léger. Attention ! Léger ne signifie pas mineur, au contraire : il s’agit de l’un de ses meilleurs films.”
Les caractéristiques du réalisateur sont en partie là – écriture des dialogues dense, précise et dynamique, et personnages secondaires géniaux – la nouveauté vient de la suppression de tout élément tabou, synonyme de légèreté. Mais ce retrait n’est pas pour autant une perte de qualité, ou de personnalité. Pour moi il signifie que le réalisateur s’intéresse plus à satisfaire le spectateur par la surprise que par orgueil. Plutôt que de tomber dans une quelconque forme de répétition, un accent du film est développé au maximum. Ainsi, le scénario de FEMMES AU BORD DE LA CRISE DE NERFS est un bijou.
Almodóvar éparpille les pièces de son histoire comme un puzzle. Mais un puzzle issu d’un Bosch ou d’un Ou est Charlie (ou Ivan)!
Avec malice, il prend un malin plaisir à nous présenter toujours plus d’éléments n’ayant aucune logique ni relief… Au début en tous cas.
Le génie attractif du film provient de la manière dont ces éléments nous sont amenés par le réalisateur : via une mise en scène toujours plus inventive qui maintient subtilement notre attention, sans pour autant redoubler d’effets.
Ici, un plan jouant avec l’éclairage crépusculaire d’un paysage urbain, là, un travelling latéral composé avec précision… Un jeu constant sur la fameuse voix d’Ivan, des courses poursuites ponctués de dialogues hors-sujets, événements imprévisibles… FEMMES AU BORD DE LA CRISE DE NERFS est un film ludique d’abord dans la mise en image !
Ensuite, Almodóvar organise une reconstruction méthodique du puzzle qui mènera à la résolution du mystère.
Attention ! FEMMES AU BORD DE LA CRISE DE NERFS fait partie de ces films ou le chemin vers la solution est bien plus intéressant que la solution elle-même.
Le spectateur perdu peut également compter sur la géniale Carmen Maura pour appréhender cette histoire. L’actrice nous accroche de la première à la dernière seconde, non pas par son hystérie (elle est au contraire, très sobre) mais par son naturel. L’intelligence mêlé d’instinct de son personnage font d’elle l’une de ces femmes uniques, personnage total de cinéma et pourtant si proche. Son interprétation tout en nuances la rend d’autant plus mémorable dans ce rôle !
En bref, FEMMES AU BORD DE LA CRISE DE NERFS est un Almodóvar léger. Mais léger ne signifie pas mineur. Le réalisateur y déploie des trésor d’inventivité pour maintenir un rythme élevé, tant dans la mise en scène que dans la profusion d’éléments scénaristiques.
Un film magnifiquement écrit au sommet duquel trône, comme toujours, Carmen Maura. l’actrice, bien plus sobre qu’a l’accoutumée est la clé qui provoque, subit et éclaircit le mystère concocté par Almodóvar. Soit une association qui fait des étincelles, comme d’habitude.
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