Cette comédie dramatique est un film très doux, pudique et mélancolique, à l’image de la relation entre les deux protagonistes. Ils se tiennent compagnie, se créent une bulle depuis laquelle ils se protègent et se remettent en question, entre réserve et laisser-aller.
Vous souvenez-vous de votre passage à la vie d’adulte ? Les responsabilités qui s’accumulent peu à peu, les décisions majeures à prendre toutes les dix minutes, les problèmes d’argent qui n’en finissent plus ? Imaginez, maintenant, si vous aviez expérimenté cette situation bien avant vos dix-huit ans, à un âge auquel vous profitiez encore naïvement d’une enfance préservée. C’est ce qu’a vécu Fifi, dont le film éponyme raconte l’été de ses quinze ans. Fifi. Un surnom enfantin, pour une ado déjà si adulte.
Sophie (Céleste Brunnquell) est une jeune fille plongée depuis toujours dans un chaos familial, au quotidien agité et violent. Elle vit avec une mère irresponsable, un beau-père potentiellement alcoolique et cinq autres enfants (trois sœurs, un frère et une nièce) dans un HLM à Nancy. Son été n’est pas du tout synonyme d’oisiveté, détente et loisir comme les autres filles de son âge, mais rime plutôt avec débrouille, pauvreté et instabilité.
Lorsqu’une ancienne amie du collège l’invite chez elle et lui apprend que sa famille part en vacances les deux prochains mois, Sophie vole par réflexe la clé de leur maison. Elle s’y rend le lendemain pour profiter du calme de la baignoire et du confort du frigo plein. Le grand frère de la famille, Stéphane (Quentin Dolmaire) rentre alors, comptant lui aussi profiter de la maison pendant l’été, et la surprend. Au lieu de la chasser, Stéphane propose à Sophie de partager son job d’été (mettre sous pli du courrier pour une association) et elle accepte, trop heureuse de trouver un refuge tout en se faisant un peu d’argent.
Alors qu’ils font irruption dans la vie l’un de l’autre, une relation ambiguë commence entre les deux adolescents, dont l’écart d’âge (il a 23 ans et elle en a 15) semble réduit par la maturité de Fifi. Cette comédie dramatique est un film très doux, pudique et mélancolique, à l’image de la relation entre les deux protagonistes. Ils se tiennent compagnie, se créent une bulle depuis laquelle ils se protègent et se remettent en question, entre réserve et laisser-aller.
Sophie et Stéphane apportent à chacun ce dont ils manquaient avant cet été charnière. Lui est trop dans sa tête, torturé, en introspection constante sur ses choix de vie tel un hamster tournant indéfiniment dans sa roue (ce qui est, il faut l’avouer, légèrement agaçant). Sophie, elle, n’a pas jamais eu le luxe de se poser ces questions existentielles, chaque heure de sa journée étant remplie par des problèmes concrets. Beaucoup de leurs échanges prennent la forme de silences. Ils s’observent, se toisent comme des bêtes étranges. Entre deux regards, ils échangent des phrases très simples, presque naïves, mais qui ont une résonance très profonde parce qu’elles ont toute la sincérité de deux jeunesses qui se confrontent.
Ce premier film des réalisateurs Jeanne Aslan et Paul Saintillan est porté par la complicité du duo, authentique et spontanée. Le charisme brut de la jeunesse intranquille de Céleste Brunnquell est magnétique. L’actrice était déjà brillante dans En Thérapie, série sur Arte dans laquelle elle jouait un rôle poignant avec franchise et éclat.
Quentin Dolmaire, acteur talentueux qui crevait l’écran dans Trois souvenirs de ma jeunesse, d’Arnaud Desplechin, nous donne à nouveau son énergie de nouvelle vague et son air détaché. On l’imagine très bien donner la réplique à Brigitte Bardot dans Le Mépris, dommage que les machines à remonter le temps n’existent pas (encore).
FIFI est donc un film initiatique réussi. Il nous montre comment les événements extérieurs, notamment une rencontre amoureuse, influencent le développement d’une adolescente, le temps d’un été, à un moment charnière de sa construction psychologique. Le spectateur regarde les jeunes personnes apprendre au contact l’un de l’autre, grandir, et retient une leçon à son tour : faire des rencontres éloignées de son milieu d’appartenance permet de relativiser, de sortir de sa zone de confort et d’ouvrir ses horizons. Une jolie morale pour un film tendre, solaire et bienveillant.
Agathe ROSA
• Réalisation : Jeanne Aslan
• Scénario : Paul Saintillan
• Acteurs principaux : Céleste Brunnquell, Quentin Dolmaire, Megan Northam
• Date de sortie : 14 juin 2023
• Durée : 1h48min