[dropcap size=small]G[/dropcap]érontophilie (nom, féminin) [du grec genom qui signifie « vieillard » et philie qui signifie « amour »] : paraphilie (trouble du comportement sexuel) dans laquelle un individu est sexuellement attiré par des partenaires très âgés. Vous l’aurez donc compris, le dernier film de Bruce LaBruce (NO SKIN OFF MY ASS, HUSTLER WHITE) traite d’un type de relation que l’on aurait tendance à qualifier d’impossible et d’impensable, mais qui est avant tout très mal perçue dans notre société où l’on fait encore trop souvent rimer beauté avec jeunesse. Plus accessible, plus mainstream et plus ouvert que ses réalisations précédentes, GERONTOPHILIA est sans aucun doute le meilleur film de Bruce LaBruce. Explications.
Lake, 18 ans, un garçon plutôt ordinaire, vit avec une mère névrosée et sort avec une fille de son âge un peu excentrique. Après avoir sauvé un homme de la noyade, il se découvre un penchant de plus en plus fort pour les vieux monsieurs ! Embauché dans une maison de retraite pour l’été, Lake tombe sous le charme de M. Peabody, un séduisant patient de 82 ans. Commence alors une passionnante histoire d’amitié et d’amour, avec la mort pour seule limite.
Sujet tabou, sujet casse-gueule, film trop ambitieux, les raisons qui auraient pu pousser Bruce LaBruce à renoncer sont diverses et nombreuses. Mais comme avec ses précédents films, le cinéaste et photographe canadien a voulu réaliser un film romantique. Oui, oui, ses films précédents sont également des films romantiques – à leur manière. Mais peu importe, le véritable challenge de GERONTOPHILIA est de montrer l’amour qui peut exister entre deux personnes, sans que cela ne soit explicitement montré à l’écran. Pari réussi puisqu’avec une narration en forme de comédie romantique, le film apporte une vision nouvelle de la gérontophilie. Et cela, sans jamais tomber dans la simple fascination, le fétichisme ou l’attirance sexuelle louche. La force de GERONTOPHILIA réside pour beaucoup dans son absence de moral. Le film est certes engagé mais ne se permet à aucun moment d’indiquer une ligne de conduite à suivre. Et c’est en cela qu’il s’avère très ouvert : même sans être concerné (combien d’entre nous ont déjà eu ne serait-ce que l’envie d’embrasser une personne âgée ?), le spectateur finit par se prendre d’affection pour les personnages principaux. Le premier doit gérer sa gérontophilie et sa possible homosexualité quand le second reprend goût à la vie en se sentant à nouveau désiré. Leur amour figure d’un geste libre qui vient directement s’opposer à un certain culte de la beauté et de la jeunesse. Loin des stéréotypes mais conscient des clichés qui existent, GERONTOPHILIA est plein d’ambition et narre parfaitement la fugue d’un couple atypique.
« Libre, irrévérencieux et pertinent, GERONTOPHILIA est un film tendre et sensible. »
Le film tend également à mettre en scène l’admiration et l’immense respect d’un cinéaste pour un type de personnes. Et pour permettre à un large public d’apprécier son œuvre, Bruce LaBruce n’y va pas de main mort sur l’ironie, la parodie et la critique. Œuvre sincère, GERONTOPHILIA ironise ainsi sur le fait qu’un garçon beau et désirable comme Lake trouve son bonheur auprès de quelqu’un de très différent. Le réalisateur parodie les codes de la comédie romantique sans jamais les altérer ou les dénigrer. Comme lors de cette scène ou Leake et M. Peabody marchent dans le parc sur une musique de Chilly Gonzalez. Du romantique en veux-tu, en voilà ! Enfin, le film émet une brève critique de notre société dans laquelle les préjugés vont bon train.
Qui dit film mainstream dit également absence de contenu sexuellement explicite. Bien que Bruce LaBruce ait un penchant pour le cinéma pornographique, son GERONTOPHILIA est une œuvre douce et aucunement choquante. Premier film qu’il tourne au Canada depuis 1994, le réalisateur s’est pas mal inspiré de SONATINE de Micheline Lanctôt pour l’approche adolescente et de LES BONS DEBARRAS de Francis Mankiewicz pour le rapport parents-adolescents. Aidé par un relativement confortable budget, Bruce LaBruce a pu apporter une touche très esthétique à sa mise en scène. Parfois peut-être un peu trop certes, le film n’en demeure pas moins très beau. Et ce, grâce à l’excellent travail de Nicolas Canniccioni, chef opérateur au talent certain.
Première dans la filmographie du réalisateur, les rôles principaux ont été attribués grâce à une agence. Le casting est donc pour la première fois entièrement constitué d’acteurs professionnels et cela se ressent dans les dialogues et les performances qui font moins archaïques et beaucoup plus réfléchis. Pour camper le jeune Lake, c’est Pier-Gabriel Lajoie qui a été choisi. Uniquement connu pour son rôle dans le feuilleton canadien 30 VIES, l’acteur de 19 ans apporte fraîcheur et innocence au personnage de Lake. Face à lui, l’acteur de théâtre Walter Borden, déjà aperçu dans la série THE EVENT, campe un M. Peabody drôle et charismatique à souhait. Ensemble, ils forment un duo atypique, original et incroyablement touchant. Accompagnée par un montage intelligent, leur alchimie n’en est que sublimée. L’association des deux hommes fonctionne à merveille et éclipse naturellement tous les autres rôles du film.
Libre, irrévérencieux et pertinent, GERONTOPHILIA est un film tendre et sensible qui a su adopter le style et le ton d’une parfaite comédie romantique. Bien écrit et bien interprété, le nouveau film de Bruce LaBruce résonne juste. Drôle et piquant, GERONTOPHILIA est un excellent film gay qui s’adresse à tous. Bref, une très belle leçon d’amour et de tolérance.
[divider]CASTING[/divider]
• Titre original : Gerontophilia• Réalisation : Bruce LaBruce
• Scénario : Bruce LaBruce
• Acteurs principaux : Pier-Gabriel Lajoie, Walter Borden, Marie-Hélène Thibault
• Pays d’origine : Canada
• Sortie : 26 Mars 2014
• Durée : 1h22mn
• Distributeur : MK2
• Synopsis : Lake, 18 ans, un garçon plutôt ordinaire, vit avec une mère névrosée et sort avec une fille de son âge, un peu excentrique. Mais il se découvre un penchant de plus en plus fort pour… les vieux messieurs. Embauché dans une maison de retraite pour l’été, il tombe sous le charme de M. Peabody, un séduisant patient de 82 ans.
[divider]BANDE-ANNONCE[/divider]