Photo du film HERE : LES PLUS BELLES ANNÉES DE NOTRE VIE
Crédits : Sony Pictures

HERE : LES PLUS BELLES ANNÉES DE NOTRE VIE, regards sur le monde – Critique

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3.5

La nature. Sauvage. Immaculée. La vie suit son cours tranquillement, jusqu’à ce qu’on entende du bruit. Des bruits de pas s’approchant. Le son monte, le cadre tremble… et des dinosaures apparaissent ! Puis, alors qu’ils vaquaient à leurs occupations, une comète frappe la Terre et balaie tout… L’âge glaciaire arrive… Puis la nature refleurit… Le temps continue de passer. On voit alors des indigènes, un aperçu de l’Amérique du 18e siècle… et enfin la maison d’une famille jusqu’à nos jours.

Musée des émotions

En cette fin d’année, c’est un réalisateur majeur, connu pour ses épopées familiales grand public couplée à une utilisation unique et souvent visionnaire de la technologie, qui revient avec un récit adapté d’une BD tout aussi unique : HERE. En effet, en 2014, l’auteur américain Richard McGuire publie un ouvrage basé sur six planches qu’il avait sorti en 1989. Le concept est ravageur : raconter des milliers d’années à travers un endroit unique, un plan fixe. Le spectateur ne demandant qu’à rêver devant son grand écran, ici réceptacle d’un dispositif peut-être jamais vu au cinéma, ne peut que se réjouir de voir le réalisateur de Forrest Gump ou Retour Vers le Futur s’atteler à la tâche. Si le septuagénaire s’est un peu perdu durant la dernière décennie, le réalisateur grand public noble qu’il est aura offert au monde les grands divertissements précédemment cités, des projets ambitieux tels Le Pôle Express ou des risqués tels Qui veut la peau de Roger Rabbit ?. Ici, au moyen notamment de trente-trois jours de tournage et deux décors construits aux studios Pinewood, l’artiste plante donc sa caméra immobile pour raconter une partie de l’histoire du monde puisque le récit commence aux temps des dinosaures et nous amène jusqu’à aujourd’hui. Zemeckis porte alors à l’écran les cases de McGuire, et littéralement puisque les cadres dans le cadre de la BD sont aussi utilisés ici. Toutes les qualités de conteur du réalisateur prennent vie à l’écran, à travers ses surcadrages qui découpent le temps et représentent une époque différente. La mise en scène si fluide de « Bob » lie alors tout ce beau monde relié par un lieu unique, au moyen de transitions élégantes (de montage notamment), comme il avait si bien su le faire dans la grande aventure émotionnelle qu’était Forrest Gump. La représentation tant vue de la famille américaine trouve un nouveau regard (à défaut d’un nouveau souffle), alors que la vie de plusieurs couples et familles défilent sous nos yeux. 

Case tirée de "Ici" de Richard McGuire
Crédits : Richard McGuire

I love it here

Mais c’est aussi le principal défaut de cette installation parfois factice. En effet, raconter une partie de l’évolution de notre planète et de l’humanité en seulement 1h44 occasionne forcément l’inévitable : la sensation de superficialité. Alors que les dinosaures, les indiens d’Amériques, William Franklin (fils de Benjamin) ou encore une famille afro-américaine contemporaine défilent sous nos yeux, le récit n’a tout simplement jamais le temps pour une véritable profondeur. On a alors la curieuse impression d’être dans un musée, observant des représentations travaillées mais factices, le rendu trop numérique de certains décors (notamment aux époques anciennes) empêchant l’investissement. Les bribes de vies disparaissent avant d’avoir eu le temps de se déployer au-delà du cadre spatio-temporel dans lequel elles sont figées, et les textures trop lisses vont même donner l’impression de se trouver devant une vitrine de La nuit au musée (que Silvestri avait d’ailleurs déjà mit en musique). La famille incarnée par Tom Hanks, Robin Wright, Paul Bettany et Kelly Reilly pour le quatuor principal, bénéficie du plus gros traitement puisque c’est à travers elle qu’Éric Roth et Zemeckis ancrent leur récit, et peut s’incarner grâce aux interprétations remarquables des acteurs portés par l’utilisation ici impressionnante du de-aging (rajeunissement numérique). Tous sont justes, et alors que c’est un des sujets les plus polémiques pour le septième art, Zemeckis rappelle sa pertinence et son humanité en donnant à la technique une des ses plus belles utilisations – les rendus sur Hanks et Wright notamment, qu’on voit régulièrement près de la caméra comparé aux autres, sont bluffants. Rejoignant sur certains aspects le Spielberg (autre grand réalisateur familial) de The Fabelmans, Bob Zemeckis vient lui aussi poser un regard touchant sur la sacro-sainte famille américaine, un regard porté par une composition élégante de son fidèle Alan Silvestri. Toujours inspiré, en partie chez Zemeckis mais pas que (cf le morceau Passage of Time – encore une histoire de temps – pour le premier Captain America), Silvestri rappelle le grand compositeur qu’il est. Dessinée par un superbe thème principal aux très jolies notes de piano, le compositeur de Forrest Gump, Seul au monde et nombre de grandes réalisations offre au film une partition évoquant les plus belles mélodies qui ont fait pleurer dans les chaumières et nous font dire, contemplant avec des yeux émus le foyer qui nous a vu évoluer : « j’adore, ici ».

Le grand conte bouleversant espéré n’est donc pas là, entravé par un scénario pas assez dense et une durée sûrement trop courte, mais comment ne pas s’émouvoir devant un si beau geste d’un réalisateur qui aura su émouvoir le monde et marquer l’imaginaire collectif ? D’autant plus quand celui-ci parvient à conserver l’émotion derrière le numérique. Il n’en faut pas moins pour ne pas qu’on s’oublie à travers le temps. Pour ne pas qu’on se perde ou s’effondre malgré les aléas de la vie. Pour qu’on puisse retourner dans notre maison, et se dire qu’on était bien ici.

Simon BEAUCHAMPS

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