high life
© 2018 WILD BUNCH DISTRIBUTION

HIGH LIFE, voyage à travers l’espace intérieur – Critique

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Après Un beau soleil intérieur, on retrouve Claire Denis et Juliette Binoche, cette fois-ci accompagnées de Robert Pattinson, pour une odyssée spatiale et expérimentale.

Un groupe de détenus, condamnés à mort, est envoyé dans l’espace pour une mission suicide, sillonner le vide interstellaire à la recherche de nouvelles sources d’énergie. Leur confinement prolongé reconstitué à bord du vaisseau sera l’occasion d’expériences diverses sur la reproduction. Pour son premier film en langue anglaise et dix-sept ans après Trouble Every Day, la réalisatrice fait une nouvelle incursion réussie dans le cinéma de genre.

Si Claire Denis utilise ici la science-fiction ce n’est pas tant pour son côté spectaculaire que pour sa propension à sonder l’âme humaine. Le voyage à travers l’espace intersidéral est ici imaginé comme un voyage intérieur propice au renouveau et à la renaissance. Recycler les déchets de l’humanité, assainir les eaux usées.

HIGH LIFE est conçu comme une purge par laquelle peut survenir le salut de femmes et d’hommes en perdition. Monte (Robert Pattinson) est victime de réminiscences terrestres, images évocatrices d’un passé dont il faut faire pénitence. L’univers carcéral est reconstitué à bord du vaisseau spatial, d’où se dessine une dualité entre l’espace intérieur clos et l’extérieur infini. Les plans du vaisseau qui dérive seul dans l’immensité immuable sont déchirants de désespoir, ils expriment à eux seuls tout le tragique de la condition humaine.

Photo du film HIGH LIFE
© 2018 WILD BUNCH DISTRIBUTION

Au cours de leur traversée, les prisonniers sont transformés en cobayes pour des expériences de reproduction que mène Dibs (Juliette Binoche). Elle procède aux prélèvements, féconde les femmes et s’occupe de la gestation des fœtus dont aucun ne semble survivre. Les relations sexuelles entre prisonniers sont proscrites, dès lors, les hommes ont recours à des rituels masturbatoires pour accomplir leur dessein reproducteur. Monte, surnommé le moine, se détourne de ces rituels, privant Dibs de sa matière première. Avec ses longs cheveux noirs, cette dernière revêt les apparats d’une prêtresse shamanique de la fécondité, récoltant la semence des hommes jusqu’au creux de ses mains et maîtrisant par la contrainte le corps des femmes.

Médée sort de sa demeure, vêtue d’une robe sans ceinture, un pied nu, ses cheveux tombant de sa tête nue sur ses épaules.

Ovide, Les Métamorphoses, livre VII vers 178-205. Dans l’édition de Gallimard datant de 1996, Jean-Pierre Néraudau explique qu’il s’agit là d’une « tenue rituelle propre aux actes religieux ou magiques ; […] La nudité de la tête est aussi une manière de ne rien interposer entre la magicienne et les forces naturelles. ».

Le film prend des allures de récit mythologique dans une réactualisation de la figure antique des Argonautes. Claire Denis reconstitue une galerie de personnages caractéristiques pour peupler son mythe contemporain, on y retrouve la grande prêtresse, le moine, les nymphes mais aussi les satyres avec leur tendance à l’hyper-sexualisation. La puissance cathartique des scènes de viol et de meurtre, associée à la figure de l’inceste annoncé, confère à ce voyage spatial une dimension de conte des origines.

Photo du film HIGH LIFE
© 2018 WILD BUNCH DISTRIBUTION

Par ailleurs, l’iconographie présente dans le film convoque, par bien des aspects, le cinéma de Tarkovski. On pense évidemment à Solaris, mais également à son chef-d’œuvre, Le Miroir, dans cette même utilisation des souvenirs venus hanter le présent. Avec sa manière de composer certaines images évocatrices chargées d’un fort symbolisme, Claire Denis s’inscrit dans une filiation revendiquée. Un plan issu d’un souvenir, celui dans lequel Monte se revoit jeter une pierre au fond d’un puits, entre en résonance avec la séquence des cadavres d’astronautes qui flottent éternellement dans l’espace infini. Une analogie allégorique censée ramener l’homme face à son vertige du vide existentiel.

A travers cette figure de style transparait la peur d’un acte fondateur qui se reproduirait indéfiniment. Cette crainte de la reproduction du crime originel explique le refus de filiation exprimé par les personnages. Le recyclage de l’humanité doit alors passer par l’arrêt de la répétition irrémédiable de ce même schéma. Et même s’il faudra transgresser les tabous structurels, HIGH LIFE nous invite à déconstruire la société ainsi que son socle fondamental, celui de la famille, afin de réinventer l’individu.

Photo du film HIGH LIFE
© 2018 WILD BUNCH DISTRIBUTION

Et lorsque l’équipage croise la route d’un vaisseau semblable au leur, Monte ne trouve à bord qu’une meute de chiens sauvages livrée à elle-même. Dans un jeu de miroir déformant, le détenu se retrouve face à sa propre animalité. Une bestialité primitive que ce dernier refuse de ramener avec lui, de peur de contaminer ce qui, peut-être, a été purifié.

Bien loin des conceptions héroïques associées généralement à la conquête spatiale, Claire Denis préfère envoyer dans le cosmos les rebuts de l’humanité pour mieux la transcender. A travers une quête eugéniste déroutante mais non moins intéressante, HIGH LIFE part sonder l’espace infini de l’âme humaine, entre expériences cliniques et invocations divinatoires.

Hadrien Salducci

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Note des lecteurs7 Notes
Titre original : High Life
Réalisation : Claire Denis
Scénario : Claire Denis, Jean-Paul Fargeau, Geoff Cox
Acteurs principaux : Robert Pattinson, Juliette Binoche, Mia Goth, André Benjamin
Date de sortie : 07 novembre 2018
Durée : 1h51min
4
Excellent

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