De Ida à She Said, en passant par Désobéissance, Rebecca Lenkiewicz a toujours placé la femme au cœur de ses scénarios. Ses personnages féminins sont souvent face à un monde qu’elles ont fui ou à un nouvel environnement auquel elles doivent se confronter, même si la ligne entre les deux est fine. Pour sa première réalisation, Rebecca Lenkiewicz poursuit son exploration de cette thématique, en s’attachant cette fois-ci à la figure symbolique de la mère.
Dans les yeux d’une mère et d’une fille
HOT MILK présente une relation mère-fille unilatérale marquée par un évident manque de communication. Rose (Fiona Shaw) et Sofia (Emma Mackey) se confrontent rarement, apparaissant même souvent dos-à-dos. Les seules fois où leurs regards se croisent, c’est uniquement en cas de conflit. À un moment donné, Sofia casse la glace au sens propre en brisant un bol pour répondre aux propos blessants de sa mère. Si la confrontation n’émerge que dans ces instants de tension, c’est parce qu’il y a un malaise familial profond. Celui-ci s’illustre notamment par l’étrange maladie de Rose, qui imprime sa présence tout au long du film.
La guérison par mimétisme
En suivant une étudiante en anthropologie, Rebecca Lenkiewicz propose une étude des êtres, voire une forme de thérapie, que ce soit avec les échanges entre Dr. Gomez et Rose, ou entre Sofia et Ingrid. Ingrid apparaît comme le reflet de Rose, notamment autour de la question du traumatisme lié à la perte d’un être cher.
Aux côtés de Sofia, Ingrid parvient à remplir ce désert émotionnel qui la traverse, en le symbolisant par l’arbre qui pousse au fil de leurs conversations sur le « meurtre » de l’aînée. Forte de cette réussite, Sofia tente de reproduire cette démarche avec sa propre mère. Cela prend cependant des proportions beaucoup plus grandes qui sont de mauvais goûts et qui dénotent avec le reste du film. Pourtant, cela colle parfaitement avec ce que le récit s’efforce de reconstruire en profondeur : Sofia.
Sofia, la fille-mère
Depuis l’âge de quatre ans, Sofia s’est toujours occupée de Rose, endossant le rôle de « fille-mère ». Elle incarne même davantage une figure maternelle que sa propre génitrice, qui se comporte souvent comme une enfant en multipliant les caprices. En conséquence, Sofia n’a jamais eu véritablement d’enfance. Elle retrouve parfois cet état perdu en adoptant des postures et des comportements régressifs : se mettre en position fœtale, s’asseoir sur une balançoire, ou répéter les mêmes erreurs comme avec la piqûre de méduse ou avec son père.
Sofia trouve alors en Ingrid tout ce qui lui a manqué : une amoureuse de vacance, l’amour et la jalousie qui va avec, une confidente, une personne à qui elle ne tourne pas le dos et avec qui elle regarde dans la même direction, et surtout une mère. Sofia grandit alors à toute vitesse, chose confirmée par les confrontations avec ses parents. La jeune femme se libère ainsi de cette cage formée par la maison louée par Rose, et retire sa laisse comme elle le fait avec le chien du voisin. Dans ce développement subsistent cependant deux problèmes : Ingrid et Rose, celles-là mêmes qui, paradoxalement, le rendent possible.
Des vacances trop mouvementées
Ingrid est un personnage fondamental, car elle aide Sofia à se libérer. Pourtant, HOT MILK en fait un peu trop. Sa première apparition, teintée de fantaisie, aurait gagné à rester dans le registre de l’illusion. Quant à la relation avec Rose, le film opère un basculement trop brutal, passant du tout au rien avec une intensité démesurée. Il est tout de même question de meurtre, sans que cela soit convenablement préparé, faisant passé le métrage du drame au thriller sans jamais assumer pleinement ce virage. C’est d’autant plus regrettable que le décor, entre l’océan et le désert, reflète parfaitement bien l’âme des personnages. Pour percer à jour les cœurs, il n’y a pas besoin d’esbroufe.
Dans HOT MILK, Rebecca Lenkiewicz plonge dans des eaux troubles. Elle parvient à trouver une clarté dans cette relation mère-fille, mais en même temps, elle agite les bras sans réelle nécessité, introduisant des éléments imprévus et parfois superflus. En restant dans une approche contemplative, la cinéaste tenait pourtant quelque chose de réussi.
Flavien CARRÉ