I care a lot
Rosamund Pike as “Martha” © Seacia Pavao / Netflix

I CARE A LOT, le vide personnifié – Critique

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Il y a quelques jours, Rosamund Pike a reçu le Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie. L’occasion de revenir sur I CARE A LOT, le dernier long-métrage de J. Blakeson, qui lui a permis d’obtenir ce prix. 

Dans I CARE A LOT, Rosamund Pike incarne une tutrice sans scrupules qui arnaque des personnes âgées fortunées pour mettre la main sur leur épargne. À la tête d’une combine légale qui utilise les dérives d’un système libéral cynique, la femme d’affaire va s’attaquer à la mauvaise proie, s’attirant les foudres d’un caïd de la mafia russe.

À travers ce scénario, le réalisateur propose pour la première fois un personnage féminin qui joue au même niveau que les hommes et n’hésite pas à avoir recours à des méthodes douteuses pour arriver à son objectif, quitte à tomber dans la violence. Déterminée et structurée à l’image de son carré blond, Marla Grayson est une femme dans un monde d’hommes. C’est pour cette raison que ce film a souvent été décrit comme étant “féministe” mais Rosamund Pike n’incarne aucun féminisme si ce n’est celui fantasmé par des hommes misogynes qui se sentent menacés par les revendications féminines et leur désir d’égalité. Pour eux, l’égalité entre les sexes n’est en réalité qu’une façade pour le désir de supériorité et de vengeance des femmes qui vont se placer au-dessus du sexe masculin afin de l’assouvir et l’exploiter. 

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Rosamund Pike as “Martha” and Dianne Wiest as “Jennifer” © Seacia Pavao / Netflix

Mais au-delà de ce problème d’étiquetage qui frôle le feminist-washing, I CARE A LOT pose problème en ne réussissant pas à offrir un personnage féminin de qualité. Malgré les recours à la voix-off, la “bad girl” est finalement aussi mauvaise que son titre. Car à part ses leçons de morale, Marla Grayson n’a aucun charisme sur lequel raccrocher sa cupidité. Bien loin de son personnage dans Gone Girl qui était tout aussi manipulateur, Rosamund Pike incarne ici une femme détestable et détestée en raison de son manque d’écriture. Le réalisateur choisit la solution de facilité en montrant que les hommes n’ont pas le monopole des sales coups sans pour autant prendre le temps de leur créer de véritables personnages féminins : on ne sait rien d’elle, on ne sait rien des raisons qui se cachent derrière son avidité, on ne sait rien de ses relations.

Cette superficialité se retrouve d’ailleurs dans les scènes de sexe lesbien qui incarne l’incapacité de J. Blakeson à montrer la violence et la puissance féminine sans y projeter des préoccupations masculines à coups de male gaze rétrograde qui vide beaucoup de scènes de leur substance pour finalement ramener les femmes à leur simple apparence. Les femmes ne sont qu’un corps à l’instar du personnage de Fran (Eiza Gonzalez) qui n’a droit à aucun arc narratif malgré la profondeur et la complexité qu’elle aurait pu apporter au long-métrage.

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Eiza González as “Fran” © Seacia Pavao / Netflix

Ainsi, malgré leur omniprésence dans le film, aucun des personnages féminins du réalisateur n’est réellement construit, ce qui n’est pas le cas des hommes. Dès sa première apparition à l’écran, le personnage de Peter Dinklage a droit à de nombreuses scènes attestant de son attachement à sa mère, de ses lubies culinaires ou encore de son caractère. Finalement, Marla Grayson n’existe que parce que les hommes auxquels elle s’oppose existent eux aussi. Le réalisateur montre ainsi que la violence féminine n’existe que dans une dynamique de revanche dont la femme fatale venimeuse et sexy incarnée par Rosamund Pike est l’illustration. Si la violence a souvent une charge politique qui n’est pas négligeable, elle n’est absolument pas légitimée lorsqu’il s’agit de violence féminine car c’est souvent vu comme une caractéristique naturellement masculine. Pour reprendre le parallèle avec Gone Girl, le personnage de Ben Affleck est très rapidement soupçonné de violence envers sa femme quand cette dernière est toujours vue blanche comme neige. 

Chacun des personnages masculins représentent individuellement une facette du spectre de la masculinité toxique. Le choix de Peter Dinklage pour incarner le mafieux russe n’est pas anodin. Une manière de tourner en dérision l’archétype du mâle alpha, figure qui se construit dans l’agressivité et impose son autorité par la violence. Il y a également le personnage qu’interprète Chris Messina, avocat véreux, propre sur lui, séducteur qui use essentiellement de son charme et de sa belle gueule pour arriver à ses fins. Sans oublier Macon Blair, le looser bedonnant. Tous représentent une masculinité défaillante régnant sur un monde dont l’équilibre est prêt à vaciller face à la détermination de Marla Grayson. Du point de vue de ces hommes, l’empowerment du protagoniste féminin est une menace à éradiquer. Le réalisateur a recours à une analogie animalière pour schématiser le propos du film, Rosamund Pike refuse le statut de victime qui lui est assigné et, pour ne pas rester l’agneau au milieu des loups, devient elle-même prédatrice. Un discours politique sur les rapports de domination pas inintéressant en théorie mais plus laborieux dans son déploiement.

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Peter Dinklage as « Rukov » © Seacia Pavao / Netflix

Comme nous l’avons souligné, le réel problème du film réside dans un cruel manque d’identification au personnage principal dont la caractérisation, beaucoup trop sommaire, semble ne provoquer que répulsion. Construire une anti-héroïne ne suffit pas à susciter l’adhésion du spectateur qui ne trouve aucune aspérité pour s’y accrocher. Le réalisateur ne parviendra jamais à renverser ce processus d’inimitié, pire encore, il semble le nourrir tout au long du film. Ces errances de scénario finissent par rendre le propos de J. Blakeson passablement trouble voire confus. La condamnation morale que rencontre le personnage principal nous laisse songeur quant aux réelles intentions du réalisateur. Cette punition inéluctable qui advient dans les derniers instants du récit apparaît étrangement satisfaisante. Le manque de profondeur du personnage associé à son aspect entièrement univoque lui fait endosser le masque d’antagoniste dans sa propre histoire.

L’amoralité prônée par le personnage principal aurait pu être une force. Cette composante n’a jamais été un frein pour des personnages masculins certes détestables mais ô combien attachants. On pourrait par exemple citer Jordan Belfort dans Le Loup de Wall Street. Mais ce qui permet l’attachement à de tels personnages négatifs, c’est la profondeur dans l’écriture des caractères. Les différents conflits intérieurs qui les tiraillent, une motivation secrète, intime, qui s’enracine dans une backstory étoffée mise en lumière par une psychologie travaillée. C’est malheureusement tout ce qui manque à I CARE A LOT, des enjeux moraux qui contre-balancent toute cette charge négative.

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Rosamund Pike as Marla © Seacia Pavao / Netflix

Le film s’ouvre sur la description de l’arnaque qui en elle-même est extrêmement immorale. Difficile d’obtenir l’adhésion du public après une telle démonstration de cynisme. Il aurait fallu redoubler d’effort pour retrouver un équilibre, ce que ne tente jamais J.Blakeson. Et lorsque le piège finit de se refermer sur Jennifer Peterson, interprétée par Dianne Wiest, impossible de ne pas se ranger de son côté et de détester Marla Grayson. À ce moment précis de la fin du premier tiers, le spectateur ressent un immense sentiment d’injustice. Une émotion très intense en termes de catharsis qui engendre une frustration. Cette frustration appelle un soulagement qui devra nécessairement advenir pour libérer le spectateur. Dès lors, le réalisateur place un couperet au-dessus de la tête de son héroïne. Le spectateur n’aura plus qu’une obsession, se délecter de la chute programmée de Marla Grayson. De manière consciente ou non, le réalisateur nous place dans une position perverse où l’on se surprend à désirer la fin tragique du personnage principal. C’est à cet endroit que les intentions de J.Blakeson apparaissent, si ce n’est maladroites, au moins problématiques.

C’est bien dommage parce que le personnage qu’interprète Rosamund Pike laissait miroiter un fort potentiel. Le film ne va pas au bout de ses intentions et échoue à dépasser le stade de simple esquisse archétypale, prolongeant ainsi de vieilles représentations.

Sarah & Hadrien

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Note des lecteurs94 Notes
Titre original : I Care A Lot
Réalisateur : J.Blakeson
Scénario : J.Blakeson• Acteurs : Rosamund Pike, Eiza Gonzalez, Dianne Wiest, Peter Dinklage, Chris Messina, Isia Whitlock Jr, Macon Blair, Alicia Witt
Date de sortie : 18 février 2021
Durée: 1h58 minutes
2
raté

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Note finale

  1. Très déçue par ce film qui rate sa cible. Le début pouvait pourtant laisser présager un affrontement entre 2 générations de femmes (Marla et Jennifer), ce qui ouvrait des pistes intéressantes. Il n’en est rien. Les femmes puissantes sont forcément grandes, minces et sexy, les vieilles sont faibles et paumées. S’ajoute à la vacuité des personnages féminins,un scénario cousu de fil blanc (qui pense vraiment qu’un puissant mafieux russe découvrirait par hasard la situation et qu’il la gérerait de façon aussi calamiteuse). Bref, à oublier.

  2. Ce film me laisse un goût d’inachevé et je rejoins votre avis général, notamment sur le manque d’écriture du personnage principal.
    Cynique et c’est tout . ah si c’est une lionne et une battante, on l’entend au début puis à la fin, aucun tenant et aboutissant, enfin vous l’écrivez mieux que moi mais je l’ai trouvée vide, méchante et le pire c’est le personnage de sa compagne dont je ne me souviens plus le nom, elle aurait été un animal de compagnie, un/e vieillard/e , une voiture, cela n’aurais absolument rien changer au film.
    Je m’attendais à un truc un peu déjanté avec ce scénario, mais non, c’est dommage.

  3. J’espérais trouver une critique éclairée et je trouve une vision déformée par un prisme sexiste.
    Si vous n’aviez pas poster tout le blabla sur le sexe des personnages pour ne considérer que l’oeuvre vous auriez presque eu mon adhésion.

    Presque car, quelque soit le sexe du protagoniste principal (et des autres) je sais que j’aurais eu autant de plaisir a espérer sa chute. Je ne partage pas votre envie de voir le réalisateur rendre celui ci plus attachant pour les spectateurs. J’ai même craint, avant la toute fin, que ca en reste « là ».

    1. Prendre en compte la différence de traitement et de construction qu’il peut y avoir entre des personnages en raison de leur genre n’est pas sexiste. L’analyse des représentations médiatiques au prisme du genre est d’autant plus importante qu’il faut aujourd’hui reconnaître l’influence de la culture populaire, tout discours étant un discours politique.
      Je regrette que le parti pris de cette critique (aborder l’œuvre par le prisme du genre) ne vous ai pas intéressé mais il est plutôt absurde de considérer qu’elle est sexiste sous prétexte qu’elle dénonce des stéréotypes de genre.

  4. Je n’ai pas apprécié ce film certes, mais je déteste mille fois plus votre critique.

    Exprimer autant de vide avec autant de vocabulaire relève tout simplement de l’exploit, avec en plus mention spéciale pour l’utilisation d’anglicismes !

    Sarah et Hadrien, vos mots transpirent le parisianisme progressiste et la condescendance puante des néo donneurs de leçons biberonnés aux réseaux sociaux et à la discrimination positive.

    Le blog du cinéma ça fait sérieux pourrait on s’imaginer….

    1. Vous savez, moi ce que je déteste mille fois c’est plutôt le fait que la PMA ne soit toujours pas autorisée pour tous.tes.x. Mais bon… chacun.e.x son combat !