4685292.jpg r 1920 1080 f jpg q x - J'ACCUSE, Polanski sur le banc des accusés - Critique
© 2019 Gaumont

J’ACCUSE, Polanski sur le banc des accusés – Critique

C’est en pleine tempête médiatique que sort J’ACCUSE, le dernier film de Roman Polanski pourtant adoubé du Grand prix du jury à la Mostra de Venise.

Neuf ans après leur dernière collaboration sur The Ghost Writer, Roman Polanski retrouve Robert Harris pour adapter l’affaire Dreyfus dans un système cinématographique bien rodé. Le réalisateur Franco-Polonais nous plonge en pleine IIIe République et revient sur un évènement majeur de l’histoire de France dont l’empreinte matricielle façonnera en profondeur le XXe siècle à venir.

À lire également, zoom arrière sur R.Polanski et R.Harris

C’est en 1894 que le capitaine Alfred Dreyfus est condamné au bagne à perpétuité. Retenu prisonnier sur l’île du Diable, il est accusé d’avoir divulgué des secrets militaires à l’Empire allemand. En 1895 le lieutenant-colonel Georges Picquart prend la tête du service de renseignement militaire. Il mène en secret une contre-enquête et découvre le véritable traître de l’affaire, Ferdinand Walsin Esterhazy. Ce dernier est protégé par l’État-Major de l’Armée Française et c’est Picquart qui est arrêté puis emprisonné au fort du Mont-Valérien.

En 1898 l’affaire Dreyfus connaît son célèbre rebondissement grâce à la fameuse prise de position d’Émile Zola publiée dans le journal l’Aurore. C’est en 1899 que la cours de cassation renvoie Alfred Dreyfus en Conseil de guerre. Il n’est toujours pas acquitté, à la place il est condamné à dix années de réclusion. Finalement gracié par le président Émile Loubet, il ne sera réhabilité que six ans plus tard.

Roman Polanski et Robert Harris choisissent le lieutenant-colonel Picquart pour incarner leur récit. Un point de vue qui détermine immédiatement le genre du film tourné vers l’enquête et le thriller, chers aux deux auteurs. Dès lors, le réalisateur peut déployer l’ensemble de ses outils de mise en scène pour reconstituer une affaire aussi passionnante qu’essentielle. On retrouve le motif de prédilection de Polanski, celui de l’homme face à la machination, perdu dans les rouage d’une organisation qui le surplombe. Toutes les caractéristiques de son cinéma fonctionnent à merveille dans le cadre de l’affaire Dreyfus.

4699332.jpg r 1920 1080 f jpg q x - J'ACCUSE, Polanski sur le banc des accusés - Critique
Jean Dujardin est le Colonel Georges Picquart © 2019 Gaumont

Le film s’articule autour de trois actes distincts, le premier est celui dédié à l’enquête. Jacquart découvre l’ampleur de l’erreur judiciaire, voire du complot manigancé dans les plus hautes sphères de l’État-Major. En suivant la piste Esterhazy, il met en lumière les malversations d’une armée gangrenée par la corruption, prête à agir dans l’ombre pour sauver les apparences.

J’ACCUSE rend bien compte du poids de l’armée et sa toute puissance sur la France de l’époque. Nous sommes au lendemain de la défaite de 1870 contre la Prusse et l’esprit de revanche est omniprésent. C’est une période d’exaltation des sentiments patriotiques, la France est une puissance militaire et c’est à travers elle qu’elle voit sa grandeur. Le mensonge de l’armée devient raison d’État et la vérité recherchée par Jacquart ne saurait être reconnue.

L’obstination de l’État ne fera que révéler un antisémitisme déjà latent prêt à se répandre sur une société tout entière. Ce qui nous conduit au deuxième acte, le mal se réveille et se retourne contre celui qui cherche à le dénoncer. La vérité se confronte au mensonge et l’appareil étatique peut alors user de tout son arsenal pour la contrer. On retrouve une nouvelle fois un motif récurrent chez Polanski, l’individu face aux forces quasi telluriques du pouvoir. Le dernier acte s’ouvre avec la célèbre anaphore de Zola dont les coups de bélier sont soutenus par les accords martiaux d’Alexandre Desplat. Les Dreyfusards entrent en scène, le combat peut enfin avoir lieu au grand jour. La France se déchire, à jamais irréconciliable.

Cette séquence magistrale permet également de montrer l’importance du rôle qu’a joué la presse dans cette affaire. Les campagnes de l’époque sont très violentes, des diatribes antisémites et nationalistes se déversent dans les pages des quotidiens. Ce sont les journaux qui alimentent le feuilleton et amènent l’opinion publique à se positionner. L’affaire prend une place démesurée dans la société, jusqu’à cristalliser sur elle tous les enjeux politiques. L’instabilité de la IIIe République est telle que l’affaire Dreyfus contribue au bouleversement du paysage politique. Deux éléments qui préparent soigneusement le nid des populismes en cette fin de XIXe siècle.

À travers ce récit, Roman Polanski et Robert Harris décortiquent un processus d’épuration raciste installé dans les appareils de l’État. Une expérience originelle qui préfigure le racisme systémique mis en place sous l’occupation. Le film parvient à saisir dans cette photographie reconstituée, les enjeux politiques qui traversent la France et annoncent le siècle sanglant qui arrive. J’ACCUSE rappelle très justement ce qui fait de l’affaire Dreyfus, un événement majeur de l’histoire de France.

4671252.jpg r 1920 1080 f jpg q x - J'ACCUSE, Polanski sur le banc des accusés - Critique
© 2019 Gaumont

Au début du film, alors que Picquart vient d’assister à la dégradation du Capitaine Dreyfus, le Général Gonse lui demande ce qu’il a pu voir au cours de cette cérémonie. Le Lieutenant Picquart lui répond: “Ce que j’ai vu c’est un corps sain se libérer du mal qui l’avilissait”. Cette phrase, volontairement ambigüe puisqu’elle traduit l’antisémitisme primaire de Jacquart, semble en réalité contenir l’essence du projet cinématographique de Polanski. À travers l’itinéraire de son enquêteur qui met en lumière les racines du mal et les déterre pour les éradiquer, il y a une forme de geste expiateur. Expulser le mal pour qu’il retourne se tapir dans les méandres de l’inconscient collectif avant de se réveiller quelques générations plus tard sous une forme éternellement renouvelée.

Comme bien souvent avec ce genre d’entreprise, regarder vers le passé, comme à travers le reflet d’un rétroviseur, permet également d’observer notre époque. Interroger la part sombre de nos sociétés et les bas instincts prêts à ressurgir de la nuit de l’oubli. Il n’y a qu’à constater les résurgences d’un antisémitisme, certes protéiforme, mais jamais réellement éteint. La montée des populismes, des crispations identitaires et des sentiments nationalistes. Sans oublier la violence de certains discours décomplexés qui s’expriment en continu à travers un échiquier médiatique omniprésent. Bien évidement chaque période est différente et notre époque n’est pas plus le reflet de cette fin de XIXe que des années 30, mais il y a néanmoins des leçons à tirer des errements du passé.

Une nouvelle fois accusé de viol, par une ancienne mannequin âgée de 18 ans au moment des faits, il est désormais impossible de ne pas évoquer le contexte explosif de cette sortie tant les analogies entre fiction et réalité se multiplient. Si les qualités de ce film sont indéniables, l’impossibilité à cloisonner l’œuvre de la vie de son auteur l’est tout autant. En effet, il est plus que difficile de ne pas discerner dans ce film une volonté, à demi avouée, de dresser des parallèles entre la vie du réalisateur et celle de Dreyfus. C’est par ailleurs l’une des raisons qui a poussé Valentine Monnier a confier son récit à la journaliste Catherine Balle dans les colonnes du Parisien.

Il y a une semaine Adèle Haenel replaçait l’affaire Polanski au centre des débats lors de son entretien avec Mediapart. Aujourd’hui la promo du film vient d’être abandonnée après des annulations d’interview en cascade, tandis que l’avant-première a été perturbé par des manifestations de militantes féministes. Le film de Polanski possède manifestement plusieurs degrés de lecture, si l’une est louable, l’autre est nettement plus ambigüe. Et il serait extrêmement malsain de prolonger les similitudes afin de se servir de l’affaire Dreyfus pour faire dire au principal intéressé que l’acharnement médiatique et judiciaire dont il est l’objet serait le résultat d’un antisémitisme jamais totalement évacué. Car il est absolument insupportable et indécent de voir des bourreaux s’octroyer le statut de victime.

Hadrien Salducci

[button color= »white » size= »normal » alignment= »center » rel= »nofollow » openin= »samewindow » url= »#comments »]Votre avis ?[/button]

Note des lecteurs10 Notes
4194086.jpg r 1920 1080 f jpg q x - J'ACCUSE, Polanski sur le banc des accusés - Critique
Titre original : J'accuse
Réalisation : Roman Polanski
Scénario : Robert Harris, Roman Polanski
Acteurs principaux : Jean Dujardin, Louis Garrel, Emmanuelle Seigner, Mathieu Amalric, Melvil Poupaud
Date de sortie : 13 novembre 2019
Durée : 2h12min
3.5
passionnant

Auteur·rice

Nos dernières bandes-annonces

Rédacteur
S’abonner
Notifier de
guest

1 Commentaire
le plus récent
le plus ancien le plus populaire
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires
Gautier Michèle
Gautier Michèle
Invité.e
24 novembre 2019 21 h 02 min

Je n’ai pas encore vu le film, mais j’ai trouvé excellente cette présentation qui expose bien le problème, les enjeux et le dilemme posé par les différents niveaux de lecture possible. Polanski est un très grand artiste, et dans tous les cas, la spectatrice que je suis sera mal à l’aise. Ne pas aller voir un si bon, et même sans doute, grand film, qui décortique avec tant de pertinence le mécanisme de l’antisémitisme, n’est-ce pas déjà minimiser ce combat, le trouver secondaire? Et y aller, n’est-ce pas aussi un peu sembler exonérer l’homme, sembler cautionner le fait que le génie excuse tout?

1
0
Un avis sur cet article ?x