Les préjugés ont la vie dure. Année 2009. Sortie du film « LES BEAUX GOSSES ». Promo monstre. Pommade sur Canal +. Bande annonce formatée. LOL avec des garçons ? Non merci, je passe mon tour. Année 2010. Film entre les mains. Visionnage. Des larmes. Des larmes de rire.
Passé la bande annonce forcée du film qui, de plus, compilait les blagues les moins drôles, LES BEAUX GOSSES s’est révélé être une comédie formidablement jouissive et surtout instigatrice d’un nouveau genre. J’étais face à une comédie spéciale où l’auteur profitait de sa liberté pleine afin d’y mettre sa patte hors norme pour donner une tonalité au film absolument renversante et unique. Je découvrais alors Riad Sattouf (oui, je sais, il était temps !). Un auteur et un artiste que je suis depuis et qui m’a une fois de plus enchanté avec son nouveau film.
Je parlais de préjugés en introduction. Réutilisons donc avec intelligence cette notion (et vous allez voir à quel point tout était pensé et s’agence parfaitement). Les préjugés, les stéréotypes, les habitudes sont ici prises à revers et constituent le point de départ fort du film. Le réalisateur nous présente en effet une société où les rôles sont inversés. Ici, on observe une bulle sociétale où les femmes règnent. Au pouvoir, à la sécurité, partout, elles dominent, et les hommes, voilés, sont relayés au second plan, n’étant plus qu’utiles à attendre patiemment le retour de leurs compagnes à la maison en préparant le repas et en s’occupant des tâches ménagères. Même si l’idée parait simple, le procédé permet tout de même d’engager la réflexion sur notre société.
L’engagement est justement une clé du film. La dénonciation dirais-je même en allant plus loin. Riad Sattouf tape dans tout et s’attaque à de multiples problématiques, de front, et en même temps : l’organisation du pouvoir politique, le rôle de chacun, la religion, la considération de l’autre, l’organisation de la société, homosexualité… Le réalisateur fonce dans ces thèmes avec brio mais, cependant, on peut lui reprocher justement cette multiplicité thématique. En effet, certains aspects mis en exergue bénéficient d’une durée de traitement plus courte que d’autres. Ce qui nous amène à réfléchir à posteriori au film et ses combats. Le film est alors une simple présentation de questionnements et non pas une étude critique qui permette de tirer des réponses à ces questionnements Mais, quoiqu’il en soit, le travail est bien fait, et ne serait-ce qu’aborder ces sujets, qu’ils soient approfondis ou non, est déjà une bonne amorce utile et pleinement consciente.
Alors peut être qu’en lisant ces lignes vous vous dites : « Bon, bah si c’est un film engagé, je ne vais pas y mettre les pieds, c’est pas mon truc. ». Et vous seriez dans votre droit en regard de cette première partie de critique. Je vous l’accorde. Mais laissez-moi d’abord vous présenter la manière avec laquelle cet engagement est exposé. Car oui, j’ai dit certes que Riad Sattouf nous livrait un film aux engagements politiques et divers nombreux mais j’ai également précisé qu’il était un artiste qui m’avait fait pleurer de rire. Et comme vous vous en doutez alors, il est temps d’aborder la face comique de l’œuvre.
Plus qu’une simple dorure prétexte à développer un propos, l’humour est ici une force et une composante pleine du film. Le réalisateur ne s’en sert effectivement pas simplement pour faire passer ses idées. Si bien que le film pourrait être considéré aussi bien comme une comédie à part entière, qu’un film engagé d’un autre côté. Laissez-moi m’expliquer. Le long des 90 minutes qui composent le film on assiste aussi bien à des moments de comédies pure et gratuite qu’à des moments où la comédie se fait alliée du propos.
L’humour est certes très présent, mais aussi très particulier. L’univers de Riad Sattouf est unique et la qualité de l’humour l’est alors tout autant. Entre absurdité et poésie, le comique ici utilisé réussit la parfaite fusion des deux tout en y incorporant un héritage burlesque. Les blagues fusent, vous décontenancent et sont, de plus, amplifiées par leurs apparitions dépourvues de chronologie. La surprise avec laquelle l’humour débarque dans certains moments multiplie le potentiel comique de la scène et permet de nous rendre compte et d’apprécier tout le talent du réalisateur. Au talent intergalactique, Riad Sattouf nous livre un comique stratosphérique pour un film délicieusement prototypique. Grâce à un humour intelligent, recherché et original le film marque la consécration d’une liberté de ton et offre une bouffée d’oxygène et d’espoir dans le paysage de la comédie française.
Cette comédie française justement se porte bien et nous offre de nouveaux talents. Enfin, des talents déjà découverts qui confirment ici le potentiel qu’il leur avait été attribué. On retrouve en effet Vincent Lacoste et Anthony Sonigo, les révélations du casting des BEAUX GOSSES, en pleine forme et toujours aussi à l’aise lorsqu’ils sont dirigés par Monsieur Sattouf. Leur charmante gaucherie va toujours de paire avec l’esprit de l’œuvre présentée par le réalisateur. Comptons également un casting à la fois humoristique assuré avec Anémone, Didier Bourdon et Valérie Bonneton et qui prend des risques en nous livrant un Michel Hazanavicius parfaitement à sa place. La joie et le plaisir que prennent les acteurs sont communicatifs et sont essentiels au bon fonctionnement du film. Chacun y est fier de sa composition et donne tout pour nous livrer une prestation parfaite qui nous plonge encore plus dans l’histoire grâce à la caricature non outrancière, mais juste, des personnages.
Au talent intergalactique, Riad Sattouf nous livre un comique stratosphérique pour un film délicieusement prototypique.
Le casting, l’humour et le propos sont des éléments qui contribuent à la réussite du film mais ce trépied devient une chaise lorsque l’on se doit de féliciter la réalisation. Les décors nous plonge dans l’univers triste et dictatorial voulu par le réalisateur et sont agrémentés d’éléments iconographiques qui participent à l’immersion et qui ont à la fois une portée symbolique et messagère. Riad Sattouf réalise l’exploit de mettre en place tout un univers complexe et riche en codes et de nous y plonger en quelques instants grâce à une utilisation harmonieuse de la technique. On est jamais perdu mais toujours émerveillé par le génie avec lequel il nous fait nous sentir à l’aise dans cet univers parallèle : une mise en scène original pour un film qui l’est tout autant.
JACKY AU ROYAUME DES FILLES se révèle donc être une œuvre brute, unique et extraordinaire qui a une ample portée. Riad Sattouf réalise l’exploit de nous livrer un film personnel, intime, et qui a à la fois une puissance universelle. Numéro d’équilibriste réalisé sans filet, le film se trompe rarement, mais souffre alors de son originalité et de sa personnalité atypique qui peuvent se transformer en une hermétique incompréhension entre le public et son réalisateur.
Pour ma part, je te le dis (je me permets de te tutoyer), ton talent ne fait aucun doute et est un pur bonheur source d’émerveillement. Riad, avec tout mon amour, je t’embrasse.
(Car je sais que tu me lis.)
(Enfin, j’espère.)
Paul