L’Inde nous avait offert cette année une production brutale avec Monkey Man. Cette première réalisation de Dev Patel frappait durement sur le système de castes, toutefois elle le faisait avec les gants de l’oncle Sam. Pour KILL, Nikhil Nagesh Bhat garde ces protections américaines mais les utilisent si violemment que les mains indiennes apparaissent, et ce complètement tâché de sang.
De l’amour naît la violence
Tanya Maniktala et Lakshya forment dans KILL un couple que nous pourrions retrouver dans les séries dans lesquelles ils se sont fait connaître. C’est le récit d’un amour impossible qui nous est d’abord conté avec tous les effets mièvres possibles, sauf que cela ne dure qu’un temps. KILL, c’est la romance bollywoodienne qui sort de son illusion, qui sort de sa chaleur pour la froideur extrême. Le film est notamment coupé en deux pour marquer le passage d’un état à un autre. Dans les deux cas, il n’y a aucune demi-mesure et c’est pour cette raison que cela marche aussi bien. Le personnage interprété par Lakshya, Amrit, passe d’un amoureux transit à un véritable monstre combattant non pas pour survivre, mais pour tuer. Se substitue ainsi à la lumière chaude passionnelle une lumière froide vengeresse rendant le commando un tueur de film d’horreur. D’une sorte de Before Sunrise mélangé à Bullet Train, KILL passe à un choc entre The Raid et Dernier train pour Busan.
Un combat politique sanglant
Dans ce train qui va à toute allure, nous sommes pris dans l’étau de l’amour et de la violence. La force de KILL se trouve dans la caractérisation de ses personnages. En effet, que nous soyons dans le camp du héros ou des assaillants, nous sommes face à des familles qui s’aiment. Les voleurs auraient pu n’être que de la chair à canon, mais ce n’est pas le cas : ils existent. Les séquences d’amour et de souffrance se répondent ainsi avec la même portée émotionnelle alors que ce sont deux Inde très différentes qui s’opposent. Les voleurs, qui représentent la caste des plus pauvres, n’ont aucune peine vis-à-vis des passagers, toutefois Baldeo Singh Thakur, le père de Tulika (Tanya Maniktala), ne semble pas faire preuve de davantage de grâces. Selon les assaillants, le sort que le leader des transports indien leur réserverait serait identique à celui qu’ils infligent aux otages, voire pire. Amrit, par son statut en plus de soldat, devient en quelque sorte une arme gouvernementale qui s’abat sur eux. Bien qu’il agisse de son plein gré et que les voleurs ne sont aucunement des enfants de chœur, ce qu’il leur inflige est hors du commun. En ressort de KILL un constat très amer sur la situation du pays. Alors qu’ils ont tant de point communs, ces deux Inde irréconciliables se retrouvent seulement dans la mort.
Diviser pour mieux régner
Un des points communs liant ces deux entités est celle du conservatisme, toutefois deux êtres vont s’en émanciper. Amrit et Fani sont ceux qui vont s’opposer à ce système alors qu’ils ne font pas partie du même camp. Ce sont deux personnages qui vont contre leur famille, contre les préceptes indiens et, naturellement, contre leur société. Pour Fani, cette rébellion est plus simple car c’est un voleur, toutefois il est drôle de constater que les valeurs précédemment énoncées soient suivies chez les hors-la-loi. La tradition est tellement ancrée chez les Indiens que même les criminels s’y tiennent. Concernant Amrit, cela est moins évident par le fait qu’il est un commando d’élite et donc dans le système. L’amour va devenir le moteur de sa rébellion car il ira contre le mariage forcé de sa bien-aimée. Sa demande en mariage dans les toilettes du train, bien que peu subtile, est très symbolique de ceci. Cette demande dans ce lieu incongru est plus forte que la fête traditionnelle vu auparavant. Le train, ce lieu entre deux mondes, devient alors le théâtre de cette révolution. Plus qu’un combat contre l’autre, c’est un combat contre le système entier. Néanmoins, c’est un affrontement qui est lui-même orchestré par ce dernier ce qui fait qu’il ne peut qu’être l’unique vainqueur.
Le meilleur film d’action de 2024 ?
KILL entre dans une arène bien fournie en combattants. Parmi les films d’action sortis cette année, le métrage indien se démarque par son cadre spatio-temporel. Le train est un lieu où les mouvements sont restreints. Y tourner des combats semble quasiment utopique. KILL réussit néanmoins son pari en proposant des affrontements fluides aidé par un montage vif nous empêchant de nous étouffer. Ainsi, des cabines aux couloirs, le film utilise toujours à bon escient son environnement. En revanche, il n’échappe pas à la plus grande contrainte de tourner dans un lieu unique : la répétitivité. Au lieu d’être une ligne droite, KILL est une boucle où les péripéties se répètent inlassablement. En comparaison, il ne peut pas rivaliser avec City of Darkness à cause de ce défaut. Lui aussi tourné dans un environnement étroit, le métrage de Soi Cheang est davantage libre et varié, un comble pour une œuvre se basant sur une boucle. Par contre, martialement parlant, KILL réussit à lui tenir brièvement tête tout en mettant aisément K.O. Monkey Man.
Aux allures de film bas du front allant à cent à l’heure, KILL est finalement une œuvre tapant du poing sur une Inde divisée. En revanche, le métrage n’est pas non plus cérébral. Il y va fort sur tout ce qu’il entreprend, voire même plus que de raison. Toutefois, c’est exactement par ce déferlement de violence et d’émotion que le métrage parvient à transmettre son message.
Flavien CARRÉ