Photo du film KNIT'S ISLAND
Crédits : Norte Distribution

KNIT’S ISLAND : L’ÎLE SANS FIN, un documentaire français des plus modernes

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Knit’s Island est un documentaire français réalisé entièrement dans l’univers d’un jeu vidéo. Guilhem Causse, Quentin L’helgoualc’h et Ekiem Barbier partent à la rencontre des joueurs et joueuses qui habitent le monde virtuel de DayZ, un jeu de survie post-apocalyptique peuplé de zombies et offrant d’importantes liberté narratives. Les trois jeunes documentaristes proposent ainsi une exploration des interactions sociales et des communautés qui émergent dans cet espace virtuel. 

La nature de ce long-métrage ne se révèle pas avec évidence lors du visionnage, et c’est là sa grande réussite. En effet, l’aspect documentaire, d’abord proéminent, se dilue progressivement à mesure que l’objet du film prend vie et finit par s’imposer sur la dynamique initialement définie par les réalisateurs. 

KNIT’S ISLAND : L’ÎLE SANS FIN parvient à brouiller la frontière entre une « réalité documentaire », reflet des intentions didactiques des réalisateurs, et une « réalité métadiégétique », imposée par l’identité, la mythologie et l’ethos que chaque communauté s’est efforcée de construire. Ainsi, le documentaire, tout en restant fidèle à sa structure, semble se transformer à mesure qu’il se nourrit des récits de ces communautés. Par moment, ce sont elles qui semblent prendre les rênes du film, comme si le long métrage se réinventait à chaque rencontre, épousant les contours de l’histoire qu’elles souhaitent raconter. Cette expérience unique interroge autant notre rapport à la virtualité qu’à la narration contemporaine. 

Entre virtualité et expérience humaine : Un documentaire protéiforme 

À la question « Qui joue à ce type de jeu ? », KNIT’S ISLAND : L’ÎLE SANS FIN semble répondre que cela peut être n’importe qui : votre voisin, vos parents, ou même votre kinésithérapeute. La diversité des personnalités rencontrées contribue grandement à la richesse du récit proposé par les documentaristes.  

Ces joueurs constituent un échantillon fascinant pour observer les dynamiques sociales dans un environnement virtuel. À travers leurs interactions, le documentaire met en lumière des comportements variés : certaines communautés se plongent dans une expérience fictionnelle assumée, où le jeu devient un espace de liberté totale, tandis que d’autres adoptent une approche plus « loisir », centrée sur le divertissement que procure le jeu. Cette dualité rend l’expérience aussi surprenante que dynamique. En effet, ces différentes manières d’aborder le jeu imposent un rythme particulier, qui varie selon les rencontres : une dynamique chaotique et intense au sein d’une communauté anarchiste, cannibale et sadomasochiste, contraste avec la quiétude d’un couple jouant en amoureux après avoir couché leur enfant. Cette dualité rend l’expérience aussi surprenante que dynamique. 

La figure du journaliste, ici,  s’apparente même parfois à celle d’un reporter de guerre. Si cette posture s’inscrit parfaitement dans l’univers d’un jeu de survie, elle instaure également une distance comique, le spectateur ayant conscience qu’il s’agit avant tout d’une guerre virtuelle, et donc d’un reporter de guerre fictif.  

Cette double lecture se retrouve dans tout le film. Les réalisateurs du documentaire KNIT’S ISLAND : L’ÎLE SANS FIN aime le cinéma, et cela se voit. Bien que l’esthétique pixelisée de DayZ puisse initialement dérouter, elle est rapidement sublimée par des choix visuels saisissants et inspirés : des paysages magnifiés et contemplatifs à la Terrence Malick, portés par une musique éthérée de violoncelle désaccordé, qui évoquent autant les jeux vidéo à forte fibre narrative comme The Last of Us que les grandes fresques cinématographiques.  

Cette approche esthétique s’entrelace avec une structure narrative qui alterne aussi les genres : des moments de tension presque horrifiques, des séquences légères proches de la comédie, et des malaises ou silences volontairement laissés en plans rapprochés sur les visages, à la manière du mockumentary 

Autant de prismes qui captivent le spectateur et invitent le critique à s’interroger sur la véritable nature de l’objet qu’il observe. 

Au cœur de l’isolement : l’intimité brute de KNIT’S ISLAND : L’ÎLE SANS FIN

Les communautés rencontrées dans KNIT’S ISLAND : L’ÎLE SANS FIN se distinguent donc par leur diversité, mais elles convergent vers un objectif commun : l’évasion.  

Durant les interviews, en particulier avec les communautés pour qui l’expérience du jeu s’articule autour d’une séparation entre leur identité réelle et celle qu’ils incarnent en ligne, le documentaire met en lumière une dimension théâtrale saisissante. Ces joueurs interprètent des rôles associés à leurs avatars, et les questions hyper réalistes posées par les documentaristes viennent parfois briser brutalement cette méta réalité. Engagés dans une forme de performance théâtrale, ils hésitent à quitter leur rôle pour répondre à des interrogations sur leur vie réelle, créant un malaise captivant. 

Toutefois, même face à des profils plus ancrés dans une perspective ludique et consciente, le contraste est tout aussi marquant : ils embrassent cette réalité alternative, souvent violente et extrême. Pour eux, ce monde virtuel agit comme une catharsis avancée : la simple représentation ne suffit plus, et le rôle qu’ils jouent devient une intensification nécessaire pour atteindre une forme de libération émotionnelle. 

Il est difficile de ne pas ressentir une certaine tristesse générale face à la ferveur avec laquelle les joueurs s’agrippent à cette échappatoire. Elle devient pour eux une bouffée d’air essentielle, une nécessité vitale après une journée ressentie comme une immersion oppressante dans la réalité. Cela semble suggérer une réalité si aliénante qu’elle en devient insupportable, au point de réunir des individus pourtant si différents autour de cet exutoire virtuel.

Les trois jeunes réalisateurs reprennent ici le dispositif qui avait marqué leur première réalisation, Marlowe Drive (2018), court-métrage également tourné dans un univers vidéoludique, celui de GTA 5. Avec KNIT’S ISLAND : L’ÎLE SANS FIN, ils confirment définitivement leur talent en transformant à nouveau le jeu vidéo en une expérience cinématographique unique.  

Ce film nous fait passer par toutes les émotions : rire, tristesse, questionnement, fascination et parfois même un sentiment d’étrangeté. Il parvient à convaincre même les plus sceptiques du potentiel cinématographique du jeu vidéo. Non seulement les réalisateurs réussissent cette prouesse avec un jeu loin des superproductions AAA dotées de budgets colossaux et d’animations spectaculaires, mais ils utilisent également ces contraintes esthétiques et techniques pour servir l’histoire. En alternant les genres, ils offrent une expérience d’une richesse remarquable tout en rendant hommage au cinéma.  

Le résultat suscite l’envie de plonger dans l’univers de DayZ. Si Guillermo Del Toro a déclaré à propos du cinéma d’animation que « c’est du cinéma, ce n’est pas un genre pour les enfants », on pourrait soutenir que Guilhem Causse, Quentin L’helgoualc’h et Ekiem Barbier ont redonné ses lettres de noblesse au jeu vidéo, dépassant l’aspect purement ludique pour nous offrir à la fois du sens et du beau.

Nathan DALLEAU

Auteur·rice

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