Photo du film LA PASSION DE DODIN BOUFFANT
Crédits : Carole Bethuel / Curiosa Films / Gaumont / France 2 Cinéma

LA PASSION DE DODIN BOUFFANT : vite, l’addition ! – Critique

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Dodin Bouffant est un personnage littéraire devenu un emblème de la gastronomie française. Né sous la plume de Marcel Rouff en 1924, il incarne l’archétype du gourmet intransigeant : passionné par la qualité des produits, animé par l’ambition d’élever la cuisine au rang d’art majeur. Avec LA PASSION DE DODIN BOUFFANT, Trần Anh Hùng – cinéaste révélé par L’Odeur de la papaye verte (1993) et À la verticale de l’été (2000) – transpose cette passion culinaire à l’écran. Benoît Magimel et Juliette Binoche y incarnent un couple de cuisiniers dont la vie entière semble motivée par la recherche du goût parfait. Mais à force de sacraliser la cuisine, tant sur le fond que sur la forme, le film se mue en récit ésotérique et monotone, reléguant l’intrigue et la dynamique dramatique à l’arrière-plan.

Une mise en scène si parfaite qu’elle en devient irréelle

Dès les premières minutes, la beauté des images saisit : les gestes sont chorégraphiés avec soin, les textures captées avec sensualité, les plats filmés comme des natures mortes en mouvement. Trần Anh Hùng retrouve ici l’extrême minutie visuelle qui avait marqué L’Odeur de la papaye verte (1993), et qui lui avait valu, à l’époque, la Caméra d’Or au Festival de Cannes.

Tout évoque une peinture du XIXe siècle : des plans composés comme des tableaux, pensés pour flatter l’œil — des tons bruns du bois ciré aux éclats dorés des ustensiles, en passant, bien sûr, par les couleurs vives des mets. La nourriture, d’ailleurs, capte la lumière comme une héroïne silencieuse, bien plus que les personnages eux-mêmes.

On est loin des cuisines modernes, froides et tendues à la The Bear, où les ordres fusent dans le chaos : ici, la nature est encore présente, les produits sont incarnés, les échanges empreints de douceur.

À tel point que la cuisine se confond fréquemment avec un sanctuaire. Le silence, les mouvements lents, les dialogues rares donnent à l’ensemble une tonalité contemplative, presque hypnotique – au point d’évacuer toute forme de tension. Le film devient alors une succession de tableaux, superbes, mais figés.

Des dialogues trop écrits, presque désincarnés

L’écriture affiche une ambition théâtrale manifeste. Mais ce n’est ni du Molière, ni du Racine, ni même du théâtre tel qu’on le verrait aujourd’hui : les échanges, souvent à deux voix, paraissent récités plus que vécus.

L’effet recherché — élever la cuisine au rang de philosophie — a le mérite d’une certaine audace : faire parler les personnages comme des lettrés du Grand Siècle, c’est offrir à la gastronomie un vernis intellectuel, quasi sacré. Pourtant, le résultat confine à l’artifice. Ce langage trop léché, trop écrit, transforme parfois les dialogues en dissertations déguisées, comme si le film cherchait à convaincre plutôt qu’à raconter.

À force de styliser chaque échange, chaque geste, le film donne l’impression de vouloir faire de la gastronomie une pratique savante, à la fois ésotérique et sacrée. Ce n’est plus une passion ni un métier : c’est une voie d’élévation.

Une narration étouffée par la contemplation

Le cœur battant du film réside dans la relation entre Dodin et Eugénie, respectivement interprétés par Magimel et Binoche. Ce lien, mêlant amour et passion, partagé par deux êtres semblant se connaître parfaitement, donne lieu aux plus belles scènes du film.

Mais dès que l’intrigue tente de se déployer, elle est aussitôt réabsorbée dans une forme de contemplation figée.

L’apparition tardive d’un enjeu dramatique est bienvenue, mais il arrive trop tard et trop timidement. On aurait aimé que ces passages soient étoffés, que les seconds rôles (notamment l’apprentie) aient davantage d’épaisseur, que l’on sorte de la cuisine de temps en temps, pour que le monde autour de Dodin Bouffant prenne véritablement forme.

Malgré un couple d’acteurs justes et une ambition formelle indéniable, LA PASSION DE DODIN BOUFFANT se referme peu à peu sur lui-même, fasciné par sa propre révérence. Il finit ainsi par ressembler à ses plats : harmonieux, mais inertes. On aurait aimé sentir le feu sous la cocotte.

Nathan DALLEAU

Auteur·rice

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