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LA PRISE D’OTAGES DE GLADBECK, l’horreur en direct – Critique

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On pense parfois avoir tout vu, on se sent parfois lassé de l’actualité, des histoires qu’on nous raconte ou des films que l’on visionne. Et puis arrive un jour, comme un rayon de soleil aveuglant au milieu d’un ciel gris, une histoire qui change tout, bousculant jusqu’au plus profond de notre être.

Dans la lourdeur de l’été 1986, l’Allemagne de l’Ouest va retenir son souffle pendant trois jours dans un scénario que les plus grands auteurs n’oseraient même pas imaginé. Le matin du 16 août deux hommes pénètrent dans une banque de Gladbeck municipalité de la banlieue d’Essen en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Ce qui aurait pu être un banal casse comme souvent en RFA1République fédérale d’Allemagne ou Allemagne de l’Ouest jusqu’en 1989 à l’époque devient rapidement un petit feuilleton médiatico-judiciaire quand les deux gangsters quittent la banque avec comme otages les deux employés de la petite agence de la Deutsche bank. C’est ainsi que la BMW dans laquelle les quatre protagonistes circulent va sillonner la région sans trop de but, de snacks en épiceries, les deux compères gangsters allant même jusqu’à laisser sans surveillance les deux otages sur des parkings. Malgré cela, la police n’intervient pas pour les libérer et reste à distance. Cette course-poursuite se mue peu à peu en un voyage irréel dans les méandres les plus crasses de l’âme humaine, plus dérangeante que n’importe quel thriller. Au fur et à mesure des 54 heures de prise d’otage, au gré de rebondissements, de moment lunaires, d’échanges révulsants, le spectateur s’enfonce dans une réalité alternative où l’impunité et la violence sont lois et dans laquelle le contrat social2Pacte nécessaire aux individus pour vivre en société en se basant sur la démocratie, la liberté, l’intérêt général et l’égalité. Notion fondamentale en sciences sociales conceptualisée de la sorte par J.-J. Rousseau dans son ouvrage Du Contrat social en 1762 a été rompu.

Dans cette histoire-là, la police est figurante dans une pièce où les héros sont ces deux paumés asociaux et camés prêts à tout pour s’en sortir. Les journalistes s’engagent, eux, dans un dialogue avec les malfrats, jusqu’à organiser des interviews des preneurs d’otages devant ceux-ci : flingue à la main, le leader du groupe, Hans-Jürgen Rösner, s’assoie dans la voiture d’un journaliste, se fait offrir cigarettes et café pour quelques mots devant la caméra ou un duplex avec une télé de Cologne. Il y a des images qui ne s’oublient pas, des gestes, des mots, des plans qui nous font nous demander pourquoi est-on en train de voir ces images. Qui les a prises ? A quel prix ? Qui sont ces gens effrayés devant l’objectif déshumanisant des journalistes ou les sourires avides de scoop des photographes de presse ?

Photo du film LA PRISE D'OTAGES DE GLADBECK de Volker Heise
Crédits : Netflix

La prise d’otages culmine le 17 août à Brême quand les deux preneurs d’otages sont rejoints par une femme qui les aide à braquer un bus municipal. Nous n’irons pas plus loin dans le récit pour garder l’intérêt filmique et narratif de l’œuvre qui traite de ce fait divers unique. Cette horreur, brute, glaçante, insupportable augmente au fur et à mesure que le film – sans concession – déroule les évènements qui mèneront à sa fin. Difficile de dégager un responsable du chaos et de l’atrocité qui nous est donné à voir. En réalité, le film montre à quel point toutes les parties ont œuvré – inconsciemment – de concert pour mener à la tragédie que fut cette évènement.

La police évidemment qui n’a pas su agir quand il le fallait, mais aussi les journalistes qui se sont faits intermédiaires directs ou selon Der Spiegel : « les larbins » des criminels. La présence de la presse au plus près de la scène de crime jure avec la gestion des moment sombres que d’autres pays notamment la France ont connu. En effet, aujourd’hui il serait impensable de voir des journalistes en pleine prise d’otage faire des allers-retours, discuter avec les criminels, au nez et à la barbe des forces de l’ordre. Il y a d’abord un cadre et une procédure judiciaire qui l’empêche mais aussi une déontologie journalistique et une morale qui devraient pouvoir juguler cet attrait presque maladif pour l’image. Les journalistes de Der Spiegel le dénonce d’ailleurs « Tout à leur impatience, les journalistes perdent leur distance d’observateurs, se transforment en larbins des criminels et deviennent eux-mêmes leurs complices. Avec négligence, ils franchissent la frontière entre informer et agir »3Dieter Bednarz et Bruno Schrep, « „Ich bin ‘n Verbrecher – du bist ‘n Bulle“ Was bei der Gladbecker Geisel-Affäre alles schieflief (II): Geldübergabe und Flucht » sur spiegel.de, Spiegel Online. Ce documentaire gêne profondément car il nous met directement face à notre responsabilité, à ce besoin pervers qui nous pousse à vouloir voir quand le bon sens nous dit d’arrêter. Cette volonté de toujours voir plus, de personnifier l’objectif de la caméra comme une extension de l’œil comme le reflexe primitif de l’outil extension de la main, rend le propos du film volontairement obscur. En étant composé exclusivement d’images d’archives, d’enregistrements de la police ou des journalistes, ceux-là même que l’on vomira à la fin du visionnage, l’œuvre est une sorte de strip-tease exigeant dans lequel les notions de bien et de mal se brouillent à mesure que la pellicule se déroule jusqu’à se demander qui est coupable de quoi. Les imbroglios, les images chocs, la déshumanisation des otages par les journalistes pour se concentrer sur les auteurs seraient presque risibles dans une fiction car trop peu réaliste, une histoire sans empathie ne pourrait être une bonne histoire, allons.

After all, there is nothing real outside our perception of reality, is there?

Videodrome, David Cronenberg

Il existe nombre de films qui questionnent le rapport à l’image mêlant horreur et peur notamment comme les found footage comme Blair Witch Project (1999) ou Rec (2007), mais aussi par le documentaire ou le film politique comme les cinéastes Raymond Depardon4Voir notamment le documentaire Urgences (1988) ou Guy Debord5Voir notamment La Société du Spectacle (1973) et In girum imus nocte et consumimur igni (1978) dans deux styles très différents. Ce que l’on voit n’est jamais anodin dans une œuvre filmique, c’est un choix réfléchi des auteurs, mais ce qu’on choisit de voir l’est tout autant et engage cette fois-ci notre propre responsabilité. Accepter de regarder GLADBECK c’est accepter de prendre part à l’horreur, d’une manière différente peut-être, pour comprendre ou réfléchir dessus mais ce n’est pas un acte innocent. Nous ne regardons pas ce film a priori pour son questionnement de notre rapport aux images et son producteur – Netflix – ne le présente pas ainsi mais bien comme un film haletant, une sorte de thriller grandeur nature. De même que nous ne souhaiterions pas connaître l’issue ou les différents retournements de l’histoire en lisant la page Wikipédia de ces trois jours, c’est aussi pour cela que nous avons décidé d’arrêter le récit des évènements à peine à la moitié, car il y a tout de même cette idée que tout cela est avant tout du spectacle. De même nous avons choisi d’illustrer l’article avec des images d’archives issues qui ont sont diffusées depuis 1986 y compris dans le documentaire, nous tenions à le préciser par respect pour les victimes. Le film, par les faits qu’il raconte et l’horreur qu’il dépeint n’est pas autre chose qu’une histoire à raconter mais avec des enjeux humains et substantiels.

Photo du film LA PRISE D'OTAGES DE GLADBECK de Volker Heise
Crédits : Netflix

Loin de nous l’idée de réinventer la roue mais plutôt de rappeler certaines problématiques inhérentes à la société des images dans laquelle le spectacle est devenu la règle. La dangerosité de cette mise en scène de la réalité prend corps complètement dans cet évènement que présente GLADBECK. Il reflète le moment de bascule entre l’information et le spectacle, entre la mise en contexte et la mise en scène de l’espace public. Là où la perversité devient plus grande que la curiosité.  Les journalistes de Der Spiegel explique que « la représentation du crime et de la violence ne connaît aucun tabou »6Dieter Bednarz et Bruno Schrep, « „Tot sein ist schöner als wie ohne Geld“ Was bei der Gladbecker Geisel-Affäre alles schieflief (I): Der Banküberfall », sur spiegel.deSpiegel Online, 26 juin 1989 dans cette affaire mais aussi en général et quand dans des films critiquables volontairement outranciers comme A Serbian Film ou Salò, les atrocités montrées servent de paraboles politico-historiques, dans la captation et la diffusion des images par journalistes lors de cette affaire n’est pas une volonté de réfléchir mais de montrer. Le travail journalistique implique le fait de montrer de manière la plus objective possible mais aussi de réfléchir l’actualité et l’information, c’est cela qui a été totalement oblitéré par les journalistes à Gladbeck et que montre ce film.

Enfin, nous pouvons nous demander si ces images ne sont pas à rapprocher du genre du Snuff movie plus que du documentaire. Le documentarisme est une mise en scène, a pour but de délivrer un message, il est une œuvre cinématographique à part entière quand le snuff lui ne se complaît que dans la représentation d’une abjection violente n’ayant comme seul objectif que de montrer l’horreur, le gore, le choc et l’infamie. Comment ne pas sentir ce malaise propre au snuff quand on voit les images de cette BMW garée au milieu d’une grande rue de Cologne entourée d’une foule de badauds, voiture dans laquelle une femme joue sa vie un pistolet enfoncé dans le cou. Comment ne pas se sentir sale et trahi en sortant du visionnage de ce film dans lequel tout semble avoir disparu, les hommes, les femmes, la justice et même l’idée de mort.

Etienne Cherchour

Note des lecteurs1 Note
Titre original : Gladbeck: The Hostage Crisis
Réalisation : Volker Heise
Date de sortie : 10 juin 2022
Durée : 1h31min
4
Inoubliable

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  • 4
    Voir notamment le documentaire Urgences (1988)
  • 5
    Voir notamment La Société du Spectacle (1973) et In girum imus nocte et consumimur igni (1978)
  • 6
    Dieter Bednarz et Bruno Schrep, « „Tot sein ist schöner als wie ohne Geld“ Was bei der Gladbecker Geisel-Affäre alles schieflief (I): Der Banküberfall », sur spiegel.deSpiegel Online, 26 juin 1989
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