Le thriller « scolaire » est en vogue ces derniers mois, et ce dans divers localisations différentes. Dans cette tendance, LA SALLE DES PROFS de İlker Çatak réussit à se détacher en apportant un regard allemand sur ce lieu universel qu’est l’école. L’expérience vécue est commune à toute la population mondiale, sauf qu’elle diverge radicalement selon l’histoire et les coutumes d’un pays, comme en témoigne ce long-métrage.
Un peu trop d’innocence
LA SALLE DES PROFS est la continuité de ce qu’a pu réaliser Hirokazu Kore-eda avec L’Innocence en fin d’année dernière. Néanmoins, le métrage allemand ne va pas aussi loin que son homologue japonais. Effectivement, nous sommes en présence d’une œuvre anti-climatique. Tous les éléments d’un thriller policier se trouvent dans cette école, toutefois l’intervention extérieure perpétuellement annoncée n’arrive jamais. Les enfants savent qu’il ne faut pas crier au loup sans raison, mais le métrage le fait, ce qui l’empêche d’exploser. En revanche, le fait de rester perpétuellement dans l’enceinte de l’établissement apporte une dose d’angoisse bienvenue, appuyée par ailleurs par ce format d’image irrespirable.
Les failles de l’éducation
Si nous ajoutons la multiplicité des points de vue de L’Innocence, nous pouvons penser que LA SALLE DES PROFS est une œuvre moins aboutie. Ce n’est guère le cas car le film de İlker Çatak prend un parti tout aussi intéressant : celui de ne suivre que Carla Nowak (Leonie Benesch), la professeure. Ce simple choix offre une autre vision du thriller « scolaire », bien qu’il se fasse au détriment des élèves. Nous passons la quasi-entièreté du visionnage à apprendre à la connaître. Nous remarquons dès les premières minutes que c’est une personne droite prônant l’égalité et la justice. Ce sont des valeurs qu’elle essaye d’inculquer à ses élèves, toutefois elles seront bafouées quand elle accusera Friederike Kuhn (Eva Lobau) de vol. Carla a agi à la hâte, elle qui disait à sa classe qu’il ne suffisait pas d’avoir des preuves pour prouver quelque chose. Ce fâcheux événement va ainsi souligner les failles de la professeure, en particulier dans son enseignement.
L’alchimie du début avec ses élèves est factice car ils n’apprécient pas ce qu’elle fait avec eux. Cette déconnexion se propage même dans la salle des professeurs. Alors que ce sont ses collègues, elle pratique le vouvoiement avec eux et reste en retrait. L’affaire de vol prenant de plus en plus d’ampleur, cela va même tourner à l’isolement total et ce avec les deux partis. Cette idée est montrée visuellement par le fait qu’elle observe souvent les autres par la vitre, mais surtout par cette caméra au format carré qui à la fois l’enferme et la conforte dans son cocon. Lors d’une intervention extérieure, ce dernier se voit déchirer, la caméra bougeant vers la personne susdite. C’est d’autant plus remarquable lorsqu’il y du grabuge à l’instar de la sortie du journal ou de l’interview qui la précède.
Ces éléments prouvent que LA SALLE DES PROFS n’est pas immobile et qu’il utilise au contraire judicieusement le mouvement pour montrer que la situation échappe à Carla. Enfermée dans son cocon elle va réussir malgré tout à s’en sortir, et ce au moment où elle aura compris qu’il fallait qu’elle se mette à la place de l’autre. Si en tant que professeure elle est une figure d’autorité pour Oskar (Leo Stettnisch), le fils de l’accusée, et bien qu’elle ait tenté de le protéger, ce n’est qu’à la fin qu’ils vont se lier. En décidant de s’enfermer avec lui dans la classe, laissant ainsi les autres professeurs impuissants derrière la vitre, Carla passe de l’observatrice à actrice ; de maîtresse à élève.
L’école sous un régime totalitaire
La caméra possède un rôle essentiel dans LA SALLE DES PROFS, aussi bien celle dans la diégèse que la nôtre. Il est notamment interdit de filmer dans l’enceinte de l’école, pourtant dans notre cas nous pouvons le faire. Ce côté est même accentué par le nombre conséquent de surcadrage qui donne une sensation de contrôle comme celui où Carla observe les enfants faire du sport à travers la vitre après avoir allumé sa webcam dans la salle des professeurs. Dans ce métrage, la caméra est un outil d’encadrement politique. L’autoritarisme et le fascisme reviennent régulièrement, que ce soit par les interventions en classe, la vidéo, la censure, etc. C’est d’autant plus appuyé par le fait que nous suivons une polonaise. À travers ses yeux, nous voyons de l’intérieur une Allemagne faisant face à un passé qui n’échappe pas aux nouvelles générations. Cette dernière est la principale victime car elle subit cet héritage en créant des camps aux idéologies diverses. İlker Çatak questionne ce passé et tente d’y trouver des réponses non pas par des décisions radicales, mais par la discussion.
LA SALLE DES PROFS n’est certes pas aussi extrême qu’il aurait dû être, il n’empêche qu’il porte un regard froid sur son pays. Le passé allemand est tellement lourd qu’il touche inconsciemment des êtres ne l’ayant jamais vécu, dont nous-mêmes. De ce fait, la proposition de İlker Çatak reste digne d’intérêt dans des productions en milieu scolaire de plus en plus conséquentes.
Flavien CARRÉ
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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