Ce n’est pas un sermon que nous adresse Gareth Evans avec LE BON APÔTRE, c’est une bonne grosse claque. Sortez vos pelles, mes frères, ce sont nos illusions qu’on enterre.
Jusqu’à présent, dans l’équipe du Blog, nous étions globalement déçus par le cinéma estampillé Netflix. Que ce soit des films financés ou simplement achetés pour leur diffusion en France, ces longs-métrages n’ont pas offert à la plateforme, une renommée comparable à celle que lui ont apporté ses prestigieuses séries. Duncan Jones, Alex Garland, Andrew Niccol, etc, Netflix affiche un tableau de chasse alléchant en matière de réalisateurs, mais on ne peut pas dire pour autant que ces derniers ont signé en 2018, des films à la hauteur de leurs talents respectifs. Gareth Evans, lui aussi surveillé de près par les cinéphiles après le phénomène The Raid, vient enfin briser la loi des séries avec LE BON APÔTRE. Il n’a clairement pas succombé au chant de la sirène Netflix pour venir signer un téléfilm de luxe, mais bien pour garantir une œuvre cinématographique dans tout ce que cela implique de puissance, de verve et de violence.
Dès les premières minutes, Evans pose les bases d’un monde âpre, dont les garants de l’ordre, aussi bien représentés par la couronne du Royaume-Uni, le capitalisme industriel ou les églises, ne font pas illusion longtemps. Le chaos suinte déjà à l’écran, dans le teint maladif du protagoniste toxicomane, comme dans une forme inintelligible de rage s’insinuant progressivement dans la bande-son et le grain de l’image. Si le contexte historique est assez présent dans la mise en place, le récit s’en détache progressivement pour épouser les contours d’un conte noir, d’une légende venue de la nuit des temps, qu’aucune forme de modernité ne pourra remettre en question.Le cinéaste britannique a choisi une photographie très léchée, détaillée, numérique, propice aux plans larges et à une humeur contemplative qui font honneur aux décors de cette île septentrionale. Mais on pressent déjà que l’image sera rattrapée tôt ou tard par une mise en scène plus à vif, plus viscérale et rugueuse. On retrouve alors le pedigree du réalisateur de The Raid, dans les sévices infligés aux corps, dans la meurtrissure de la chair qui scelle ici définitivement les illusions de l’esprit. Là où l’âme du protagoniste devrait s’élever, elle semble finalement de plus en plus appesantie, ramenée vers le sol, vers l’enfer qui gronde sous ce sol, vers l’affligement de l’humain condamné à éprouver sa mortalité, blessure après blessure, avant d’en succomber. À l’écran, le monde se fait boue, humus et sang épais, dans l’esprit du protagoniste, dont le chemin vers la foi est un parcours du combattant, le monde devient un gigantesque incendie.
On peut regretter que la première heure du BON APÔTRE traîne en longueur, et retarde le basculement vers le fantastique. Comme s’il cherchait à rattraper son retard, ce basculement semble d’ailleurs quelque peu soudain, nous donnant l’impression que ce qu’il y avait de plus insidieux jaillit brusquement suite à une poussée de fièvre, transformant un rêve étrange en véritable cauchemar. Néanmoins, on excuse assez vite les problèmes de rythme, dès lors que la seconde partie du film permet le déploiement d’une mythologie, qui prolonge de manière cohérente les pistes religieuses et métaphysiques installées dans la première partie.Gareth Evans adresse au public une claque en bonne et due forme, sans pour autant pécher par manichéisme ou balourdise par souci d’efficacité. Le chaos qui règne dans son univers nous laisse la possibilité d’interpréter LE BON APÔTRE sous deux angles différents, voire de superposer ces deux lectures. On peut voir le paganisme comme un cauchemar pour les chrétiens, et plus largement pour les monothéistes croyant en un Dieu anthropomorphe et législateur. Ou au contraire, trouver dans ce monde païen, l’accomplissement des idéaux de rédemption et de miséricorde, et le considérer ainsi comme une sorte de royaume divin, représentée par une nature qui rappelle l’homme à sa nature originelle.
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• Réalisation : Gareth Evans
• Scénario : Gareth Evans
• Acteurs principaux : Dans Stevens, Michael Sheen et Lucy Boynton
• Date de sortie : le 12 octobre 2018 sur Netflix
• Durée : 2h09min