Drôle, intelligent, kitsch et tellement brouillon, Le Ciel Étoilé Au Dessus De Ma Tête, d’Ilan Klipper est une véritable pochette surprise.
Ce premier long métrage de fiction est une folie douce qui dénote avec son genre et conte la douce folie de Bruno (Laurent Poitrenaux), auteur d’un premier roman à succès qui cherche depuis vingt ans à en écrire un second. Dans son monde intérieur, en tête à tête avec lui-même, Bruno cherche l’inspiration, échafaude des théories sur tout et n’importe quoi et se raconte des histoires du matin au soir sans bouger de chez lui, en slip ou kimono fleuri. Loufoque ? Sans doute, mais brillant aussi, et peu étonnant lorsque l’on apprend que Le Ciel Étoilé Au Dessus De Ma Tête vient clôturer une sorte de triptyque du réalisateur sur « l’errance psychique, la création et l’enfermement » composé également d’un documentaire (Sainte-Anne) et d’un court-métrage (Juke-Box).À nul autre semblable, ce long métrage nécessite toutefois, pour l’apprécier, de ne pas céder à la tentation de quitter la salle lors de son premier quart d’heure. Huit-clos décousu et étouffant au montage incompréhensible, difficile de comprendre au départ dans quel sens (propre ou figuré) appréhender les scènes incongrues, voire incomplètes, qui se succèdent. S’agit-il d’un flashback ou de la continuité de la scène précédente ? Est-ce un rêve du protagoniste ou sa réalité atypique ? Où somme nous ? Où allons nous ? Mystère… Et pour ajouter à ce tableau apocalyptique et surréaliste, une jolie militante FEMEN complètement allumée qui vit en colocation avec Bruno fait quelques apparitions…Puis le jour se lève, et alors qu’on espère changer de décor et quitter cet antre de la folie, un événement hors du commun se met en place au sein même de cet appartement et nous cueille avec délectation pour le restant du film.Révélant une analyse parfaite des écueils du processus créatif, Le Ciel Étoilé Au Dessus De Ma Tête est un passionnant voyage dans le cerveau d’un auteur. Par le biais de dialogues aussi drôles qu’incisifs entre Bruno et son entourage, on découvre alternativement l’interprétation libre et idéaliste que Bruno confère à ses actes, et la façon cartésienne et normée avec laquelle ils sont jugés par le monde extérieur. Chacun sa vérité, tout le monde est de bonne foi et de bonne intention mais personne, hormis sa colocataire déconnectée de la réalité et le personnage interprété par Camille Chamoux, ne parviennent à saisir le versant poétique et inéluctable du comportement de Bruno.
« Ilan Klipper propose un film dont la forme s’apparente à un OVNI mais dont le fond révèle une sensibilité artistique profonde ainsi qu’une vraie réflexion psychologique et philosophique sur la création.. »
A coup de métaphores et de discours psychologiques qui restent assez subtils pour ne pas tomber dans les clichés, on perçoit clairement la difficulté et le risque qui découlent du nécessaire isolement que requiert le processus d’écriture. Fatalement, si l’on reste trop longtemps à dialoguer avec soi-même, à errer dans les méandres de ses pensées pour chercher l’inspiration, sans se confronter, de temps en temps au moins, au regard de l’Autre, sans concrétiser quoi que ce soit, l’isolement social s’installe. A partir de cette déconnection qui se fait à pas de loup, peuvent découler progressivement l’incompréhension, la peur, la paranoïa, etc… C’est précisément cette marginalisation involontaire, ce glissement inconscient, qui est perçu différemment par les uns et les autres. Pour Bruno, son mode de vie reflète une liberté totale de vivre tel qu’il l’entend, au service de son art, sans contraintes sociales ou physiologiques (jour et nuit ne font aucune différence), il se considère comme étant un idéaliste insoumis dont le seul maître s’appelle l’amour. De leur côté, les proches de Bruno perçoivent cette « liberté » avec arrogance, c’est un pied de nez à leurs petites vies «ordinaires » qu’ils trouvent profondément injuste mais aussi anormale.C’est sans jugement qu’Ilan Klipper nous propose d’entrer dans ce paradoxe, d’éprouver de l’empathie envers chacun de ses tendres personnages tour à tour émouvants, hilarants, hystériques ou géniaux. Sans jamais aller là où on l’attend, ce réalisateur pour le moins atypique et créatif propose un film dont la forme s’apparente à un OVNI mais dont le fond révèle une sensibilité artistique profonde ainsi qu’une vraie réflexion psychologique et philosophique sur la création. Mais Le Ciel Étoilé Au Dessus De Ma Tête doit aussi sa qualité à Laurent Poitrenaux – étrange croisement entre Nicolas Bedos et Alain Chabat, aussi peu académique que le réalisateur qui le dirige, et tout bonnement parfait dans ce rôle qui semble taillé sur mesure pour révéler l’étendue de son talent…
Stéphanie Ayache
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• Réalisation: Ilan Klipper
• Acteurs principaux : Laurent Poitrenaux, Camille Chamoux, Alma Jorodowsky
• Date de sortie : 23 mai 2018
• Durée : 1h17min