Photo du film LE CLAN DES BÊTES
Crédits : Patrick Redmond

LE CLAN DES BÊTES, Jack a dit « Prend le fusil ! » – Critique

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4

C’est l’histoire de Michael (Christopher Abbott) et Jack (Barry Keoghan), voisins et concurrents de pâturages, tous deux affligés de daddy issues…

En conséquence d’un terrible accident, son père Ray – interprété par un Colm Meaney plus tradi que jamais – est tout ce qu’il reste à Michael. Il lui a violemment inculqué le droit à la propriété, l’obligation de ne pas sortir du rang et le devoir de vengeance. Et Michael ferait n’importe quoi pour le satisfaire. De l’autre côté de la clôture, Jack vit avec ses deux parents, Caroline (Nora-Jane Noone) – qui s’avère être l’ex de Michael – et Gary (Paul Ready), devenu sournois et cruel plutôt que suffisamment courageux pour affronter la dure réalité de sa situation paysanne. Alors Jack s’interroge : est-ce vraiment le modèle que je suis censé suivre ?

Sur fond de rivalité entre les tandems père-fils, un tel condensé de masculinité et de brutalité pousse parfois ces personnages mélancoliques à flirter avec la toxicité, à reproduire des comportements arriérés, animaux et donc à frôler des écueils de narration vus et revus : en cas de conflit, on sort les poings, les couteaux et les fusils de chasse.

Mais Michael, Jack, Ray et Gary peuvent être justifiés : ils ont été élevés ainsi, c’est leur réalité faite de traditions et de liens de filiation qui les enferme, les place dans une société qui les exploite et les empêche de s’exprimer. C’est d’ailleurs évident : les lignes de dialogues tiennent sur quelques pages de scénario. Si ces hommes sont avares de mots, les échanges se lisent dans les regards, sur les visages, dans les corps de ces acteurs brillants, qui distillent subtilement leurs émotions dans les plans qu’ils habitent, plaquant ainsi, avec toute cette tension et cette lourdeur, le spectateur contre son siège. Spectateur qui retient son souffle jusqu’à la dernière minute.

Une toxicité du modèle paternel qui est aussi nuancée par Gary, qui, contrairement à ses rivaux, laisse exprimer ses failles et sa vulnérabilité dans les moments difficiles : il pleure, il boit, il vole ; et se heurte même à la force de sa femme qui le dépasse complètement. Elle est indépendante, résiliente, intègre – et n’hésite pas à le gifler s’il le faut. Alors quand Gary fuit le conflit, et que son fils Jack en est témoin, c’est lui qui prend les choses en main. Quand il voit son père démuni, au pied du mur, il va vers cette solution qui semble ordinaire et inéluctable : il accepte de se laisser happer à son tour par cette violence intrinsèque.

Et c’est là que Barry Keoghan excelle : malgré cet abandon à la force brute, il sait faire ressortir, tout en détail et en subtilité, les doutes, les réticences et la sensibilité qu’il a hérité de son père et qui le font se questionner sur son propre rôle. Il canalise tout ce que le film raconte de social : le questionnement des mentalités traditionnelles inhérentes à l’activité agricole, les difficultés financières auxquelles les ouvriers font face à cause du développement du tourisme notamment, la jeunesse désabusée qui erre sans réussir à trouver sa place et se réfugie parfois, souvent, dans la drogue et les petits trafics.

Un bémol cependant. Ce sont trois générations d’hommes qui se font face : Ray, qui aurait l’âge d’être grand-père et qui s’inquiète alors de son héritage ; son fils Michael et son voisin Gary les quadragénaires ; et enfin le fils de ce dernier, Jack. Si celui-ci est donc supposé être un grand adolescent / jeune adulte, difficile d’y adhérer quand Barry Keoghan est clairement physiquement marqué par ses 32 ans, il a donc moins de dix ans d’écart avec les interprètes de sa mère et de Michael. Si cela peut rendre certaines scènes partagées par les deux acteurs un peu incongrues, cela participe aussi à créer un lien étrange et pourtant très convaincant entre les deux personnages. Ils se reconnaissent, s’apprivoisent, se comprennent, et fabriquent ainsi une relation à la fois fraternelle et filiale, qui brouillerait presque les certitudes des véritables liens père-fils établis entre les personnages.

Pour un premier film, Christopher Andrews démontre déjà une maîtrise méticuleuse de la cohérence entre composition, valeur, éclairage et enchaînement des plans, au service d’une esthétique à la fois grandiose et resserrée, toute porteuse de cette tension et de cet enfermement dans des paysages pourtant vastes, assortie d’un sound design puissant et électrique. Car à la campagne, sous le ciel qui gronde, personne ne vous entend pleurer. Si l’expérimentation d’une chronologie non-linéaire peut, à un moment en particulier, surprendre le spectateur, et le déconnecter de la narration le temps qu’il retrouve ses repères, le film reste un ensemble d’une intensité percutante qui, malgré ce qu’il raconte de la violence qui infuse dans ces terres vallonnées, accorde toute sa place à la beauté de la nature et n’enlève en rien l’envie d’aller y faire du tourisme.

Margaux BALLAND

Auteur·rice

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