Dans un futur proche, la terre est menacée par une intrigante lune rouge en orbite. Ce postulat engendre une dystopie poétique, qui séduit par sa fraîcheur et son audace.
Quelque chose n’a pas fonctionné. C’est ce que suggèrent les premiers plans désertiques d’une tour Eiffel effondrée. L’image est forte, riche de sens. Elle permet l’émergence d’un potentiel fictionnel jusqu’ici peu exploré par le cinéma français contemporain. Le récit post-apocalyptique n’est connu du grand écran que par l’intermédiaire de ses porte-étendards hollywoodiens. Disons-le d’emblée : Le Dernier voyage n’a pas à rougir de la comparaison, bien au contraire. Outre ses partis pris osés, le premier film de Romain Quirot est un réjouissant condensé d’action articulé autour de sublimes visions de science-fiction.
La narration gravite autour du marginal Paul W.R (Hugo Becker), ancien astronaute déchu. En fuyant la témérité d’un père présomptueux, sa route croise celle d’Elma (Lya Oussadit-Lessert, très convaincante dans son premier rôle), curieuse héroïne toute aussi esseulée, qui le suivra dans sa quête. Tout deux cohabitent pour échapper au frère de Paul (magnifiquement interprété par le prometteur Paul Hamy), étrange télépathe complexé, comme le laissent entendre les différents flashbacks qui alimentent l’intrigue. Cette alternance offre une réelle profondeur à ces visages marqués, au travers de nombreux plans fixes significatifs. Si Bienvenue à Gattaca est cité, c’est avant tout pour en proposer une sorte de reflet difforme, loin de l’avenir très lisse et froid pour lequel optait Andrew Nicoll. En cela, le film se rapproche davantage du pessimisme fantaisiste d’un Jean-Pierre Jeunet à ses débuts.
Paul W.R avance dans un univers inconnu très authentique, qui prend consistance dans l’éclat d’une lumière agressive. Plutôt que de céder à la panique ambiante propre à une possible fin du monde, Elma s’interroge sur l’absence de nuages. Lorsque son tuteur soliloque sur la vie, la jeune fille l’ignore et s’en va en quête d’une fiction plus grande, un besoin terriblement d’actualité. Il n’est pas anodin que le point d’accomplissement de l’aventure se cristallise dans le décor d’un cinéma, seul lieu duquel la vie peut encore surgir au sein de ce microcosme brisé. C’est d’ailleurs l’expérience de visionnage vécue par Paul qui engendre le souvenir-clé, l’élément déclencheur résolvant son arc narratif. Une nécessité, en somme, qui intervient à l’heure où les salles sont à l’agonie. Une jolie et subtile coïncidence, pied-de-nez jubilatoire à une actualité brûlante.
Ainsi, le récit obéit davantage aux conflits moraux qui construisent ses personnages qu’à l’extravagance des effets attendus dans une dystopie. Un minimalisme d’une beauté suspendue qui fait écho à la pudeur du récit. Lorsque le film débute, le duo n’a rien d’un modèle d’équilibre ou de complicité, mais une tendresse platonique éclot progressivement en son sein. Elma et Paul obéissent à une conviction commune, terriblement d’actualité, une croyance sans faille en la vie qui s’incarne dans un carnet de dessin. A lui seul, il est l’allégorie du tour de force opéré par Romain Quirot. La succession de plans larges laisse entendre une appétence certaine pour les divagations fascinantes de Frank Herbert ou Moebius et, à elles-seules, certaines visions renvoient à un cinéma très dessiné, l’expression totale d’un imaginaire exalté qui fascine par son éclatante sincérité.
Il y a dans Le Dernier voyage une vraie agilité dans l’entremêlement des références subtiles à une mythologie préexistante et une forme d’expressionnisme lyrique intergénérationnel. Pour cette raison, le film réussit là où l’esbroufe Valérian et la cité des milles planètes, dernière œuvre science-fictionnelle française en date,échouait. Il ne s’agit plus de redorer le blason de stéréotypes douteux mais de concevoir le récit en laissant infuser une inspiration salvatrice, à l’image des visions enfantines de Paul dans le film. On serait tenté de croire Barbara qui, dans sa chanson accompagnant le générique, prophétise « ces mondes nouveaux, qui montent à nos cerveaux ». On espère que ce fascinant dernier voyage en annonce de prochains, pour Romain Quirot mais aussi pour les salles.
Emeric