Le destin s’abat sur Adrien : bloqué en plein repas de famille et largué définitivement par sa petite amie, on lui demande de préparer un discours à l’occasion du mariage d’une sœur qu’il ne connaît plus. Un prétexte pour un alignement de gags, plus ou moins réussis, qui laisse le goût amer des regrets.
Kyan Khojandi l’admet en interview. S’il a été séduit par ce projet, c’est bien parce qu’il y a perçu des points communs avec sa série phare, Bref. Le rythme effréné du prologue, imposé par une voix off redondante lui donne raison. L’omniscience de la narration, très similaire à la série de Khojandi, permet l’accumulation de souvenirs et d’anecdotes, et l’on cerne rapidement le caractère très atypique du conteur. Peu enclin à vivre en société, Adrien est avant tout un marginal qui ne fait que peu d’efforts pour s’adapter au monde qui l’entoure. Son inaptitude à communiquer est à l’origine de jolis gags, mais c’est aussi ce qui empêche le spectateur de s’attacher à cette étrange personnalité.
Dès lors, on se moque de savoir si Sonia va répondre à ses SMS. Laurent Tirard reste malheureusement trop fidèle au support qu’il adapte et ne prend pas le temps de rendre ses personnages dignes de compassion. Au contraire : on aimerait qu’une certaine forme de fatalité fonde sur cet ensemble édulcoré et qu’une noirceur acerbe imprègne ce scénario bien trop sage. Adrien râle beaucoup et ne réfléchit les êtres qui gravitent autour de lui que sous un angle foncièrement manichéen, sans prendre le temps de se remettre en question. Cet exposé, long et répétitif, ne permet pas à Benjamin Lavernhe de montrer l’étendue de son talent, limité par l’attitude bornée de celui qu’il interprète. Les malaises engendrés par ses prises de position font parfois rire et cette envie de concevoir le comique par le malaise est louable. Toutefois, le format cinéma ne se prête pas à retranscrire le potentiel humoristique des différentes situations qui se suivent, trop brèves pour pleinement fonctionner.
A l’instar de Bref, une série d’épisodes courts aurait sûrement pu servir davantage la démarche opérée par Tirard. On regrette qu’il ne puisse développer pleinement de belles idées. La répétition des discours donne lieu à des situations de malaise délectables, tout comme le running gag de la chenille. On apprécie aussi la violence spontanée avec laquelle Adrien blesse son hôte, lors d’une fête costumée, déguisé en Wolverine. Le film est toutefois moins à l’aise lorsqu’il doit montrer les étapes de la vie d’un couple et le personnage de Sonia aurait mérité d’être mis en retrait, au profit du sujet éponyme. Le récit est ainsi ralenti par des digressions inutiles, comme si Tirard devait remplir le cahier des charges de la comédie populaire. C’est aussi ce qui l’empêche de se rapprocher d’un Jeunet ou d’un Salvadori, car si un imaginaire débridé est sous-entendu par instant, notamment par le traitement des couleurs, le film reste bloqué dans les carcans du vaudeville.
En consacrant sa dernière partie à la résolution de l’ensemble des conflits qui unissent tous les membres autour de la table, le récit achève de ruiner nos espoirs. L’affection pour ce microcosme hypocrite dénote avec les gags générés par ces personnages archétypaux. On aurait préféré que le discours final soit plus outrancier et le résultat laisse un goût amer : celui d’être passé à côté de quelque chose de plus grand. Ne reste qu’une comédie plaisante et prévisible, très bien interprétée, malheureusement trop littéraire et en deçà de ce que le cinéma aurait pu proposer en termes d’adaptation.
Emeric
• Réalisation : Laurent TIrard
• Scénario : Laurent Tirard, FabCaro
• Acteurs principaux :Benjamin Lavernhe, Kyan Khojandi, Sara Giraudeau, Julia Piaton
• Date de sortie : 9 juin 2021
• Durée : 1h28min