« Qu’est-ce qu’on fait quand on s’aime et qu’on peut plus se blairer ? ». C’est l’accroche maligne de l’affiche du dernier long-métrage de Ilan Klipper, LE PROCESSUS DE PAIX, à qui l’on doit le lunaire Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête. On retrouve la patte du réalisateur, son style bien particulier, et sa façon si touchante de ne jamais rendre parfait aucun de ses personnages. Mais précisément à cause de leurs défauts assumés, ils peuvent toujours être sauvés.
Le réalisateur a co-écrit le scénario avec Camille Chamoux, qui interprète Marie. Son mari Simon (Damien Bonnard) et elle ont beaucoup d’amour l’un pour l’autre mais la vie avec leurs deux enfants est une source permanente de conflits. Ils ne trouvent plus le temps ni l’envie d’être deux, les enfants occupent désormais toute la place, dans leur tête comme dans leur vie.
Modes de fonctionnement différents, charge mentale, valeurs éducatives : le film n’omet rien de la vie des jeunes parents d‘aujourd’hui. Avec son regard affûté de documentariste, le réalisateur Ilan Klipper se moque de ce fait de société et le malaxe brillamment dans tous les sens. Il s’amuse à montrer les deux héros s’insulter quotidiennement et se noyer dans leur quotidien et invite le spectateur à prendre parti pour l’un ou l’autre… tout en lui démontrant que c’est impossible !
D’autant que chacun doit aussi faire face à des aléas professionnels, qui rajoutent au stress commun et leur font encore plus perdre leurs repères et les pédales. Animatrice d’une émission féministe dans une station de radio, Marie est ainsi mise sous pression par son directeur Bruno (Laurent Poitrenaux), pathétique avec ses anglicismes à tout va. Camille Chamoux s’est écrit un rôle jubilatoire de confrontation à sa propre contradiction, que lui rappelle en permanence sa collègue Nadia (Jeanne Balibar), un peu lourde. Comment en effet peut-elle prôner la liberté et le désir des femmes alors qu’elle croule sous les tâches ménagères et que sa libido est au point mort ?
LE PROCESSUS DE PAIX se révèle une comédie dynamique et profondément authentique.
Avec humour, LE PROCESSUS DE PAIX interroge donc subtilement sur le paradoxe de l’amour entre deux êtres dont la logique veut souvent qu’il soit prolongé par la venue au monde d’un ou de plusieurs enfants… qui seront peut-être la source même de la fin de cet amour. Car le réalisateur saisit très bien que pour que l’amour soit solide à deux, trois ou quatre, il faut d’abord consolider l’amour de soi.
Ce qui n’est pas le cas ni de Marie, ni de Simon. Pour ce dernier, il y a même une inversion des schémas habituels : il est le gentil corvéable à merci de sa mère Michele (Ariane Ascaride). Celle qui assume tout à fait la liberté sexuelle dont elle a bien profité, n’est pas aussi exigeante avec sa fille Esther (Sabrina Seyvecou), dont le mariage avec Jérôme (Sofian Khammes, dans un rôle plus doux que d’habitude) n’est pas aussi idyllique qu’il n’y parait.
Ce qui est si réussi dans LE PROCESSUS DE PAIX, c’est d’avoir fait de Simon un professeur d’histoire à l’Université, spécialiste et passionné par le conflit israélo-palestinien. Alors qu’il analyse avec ses étudiants les difficultés de la mise en œuvre du processus de paix entre les deux pays, lui vient l’idée d’en faire de même avec son couple pour éviter une séparation. Il va ainsi puiser dans son expérience historique et culturelle pour proposer une adaptation des accords d’Oslo et faire des parallèles drôlissimes. Un processus de paix surtout avec lui-même, et peut-être aussi avec sa religion.
Deux belles scènes sont à relever au cœur d’une musique qui porte avec justesse tout le film. Celle de la tirade à la prison et celle de la danse, qui rappelle comme un clin d’œil malicieux celle de La Grande Bellezza de Paolo Sorentino. Malgré un côté très bobo parisien, LE PROCESSUS DE PAIX se révèle une comédie dynamique et profondément authentique. Nul doute que les parents s’y reconnaîtront et que les futurs parents en prendront de la graine !
Sylvie-Noëlle
• Réalisation : Ilan Klipper
• Scénario : Ilan Klipper, Camille Chamoux
• Acteurs principaux : Damien Bonnard, Camille Chamoux, Ariane Ascaride
• Date de sortie : 14 juin 2023
• Durée : 1h32 min