Photo du film LE SYSTÈME VICTORIA
Crédits : The Joker Films Distribution

LE SYSTÈME VICTORIA, les valeurs d’un homme – Critique

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Dans LE SYSTÈME VICTORIA, son dernier long métrage adapté du roman éponyme de Eric Reinhart, le réalisateur Sylvain Desclous propose brillamment de faire réfléchir le spectateur sur les notions d’éthique et de loyauté dans le travail.

David Kolski (Damien Bonnard) est architecte mais a dû se résoudre à accepter le lourd travail de directeur de chantier d’une grande tour. Comme souvent dans ses films (Vendeur, De grandes espérances), c’est d’abord par le biais professionnel que Sylvain Desclous aborde son personnage à un moment charnière de sa vie. Rencontré au dernier Festival du Film Francophone d’Angoulême aux côtés de l’acteur, il dit « aimer trouver la dramaturgie, le suspense et la pression à l’intérieur du métier ».

Photo du film LE SYSTÈME VICTORIA
Crédits : The Joker Films Distribution

Séparé de Gabrielle (Antonia Buresi), père d’une petite fille, David se retrouve écartelé en permanence. Avec le soutien précieux de son partenaire et ex-beau-frère Dominique (Cédric Appietto), il fait face avec dignité aux demandes oppressantes de respect des délais du client promoteur et aux tentatives de corruption. Le film évoque d’ailleurs très bien l’énergie que nécessite cette adaptation permanente, ainsi que les risques avec lesquels le personnage négocie et qui, malgré l’adrénaline qu’ils procurent, impacte aussi ses équipes surmenées.

Damien Bonnard « n’avait jusqu’alors pas exploré un personnage dans cet état de pression et de danger permanent, qui dégage en même temps une fragilité et une espèce de force, devenant une cible potentielle ». L’acteur reconnaît que sa crédibilité dans ce rôle lui vient de sa propre expérience sur des chantiers dans le bâtiment aux côtés de son père, avec lequel il avait créé une entreprise. « Ce métier me touche et fait écho dans ma vie, me rappelant à quel point c’est beau de finir un toit, qu’on a rêvé, dessiné et bâti, au même titre qu’une sculpture ».

Travailler avec des gens comme ça, sur un projet comme ça, c’était ce que je m’étais juré de ne jamais faire et c’est ce que je suis en train de faire.

Sylvain Desclous parvient très bien à susciter l’empathie du spectateur envers cet homme, de moins en moins aligné avec ses valeurs et les promesses qu’il s’était faites, et de plus en plus vulnérable. D’un point de vue métaphorique, si David participe au processus de construction d’une tour, c’est bien un effondrement personnel qu’il traverse. Un effet miroir qui va s’aggraver avec la rencontre opportune de Victoria Winter (Jeanne Balibar), femme envoûtante et fascinante, aux antipodes de pensée et de mode de vie de David.

Ce qui est passionnant dans LE SYSTÈME VICTORIA, c’est le décorticage de la méthode de Victoria qui, telle une mante religieuse, s’immisce dans la vie de David, au point de devenir son indispensable mentor. David ouvre ses rêves et son cœur à cette femme sans scrupules, qui l’impressionne par son audace, sa liberté et son sang froid. Elle le flatte, le conseille, le motive, le félicite, le teste aussi bien professionnellement que sexuellement. Femme de pouvoir qui créé, a priori, ses propres règles du jeu et qui calcule au millimètre de peau près, au souffle près, ce qu’elle donne, à qui et comment elle donne.

Photo du film LE SYSTÈME VICTORIA
Crédits : The Joker Films Distribution

LE SYSTÈME VICTORIA suit habilement le parcours de David, dans les bras et l’esprit de cette femme qui joue au jeu du chat et de la souris, alternant le chaud et le froid. Navigant dans les zones d’inconfort que procure la face sombre de Victoria dont il n’a pas les codes, il perd petit à petit les repères de sa boussole intérieure. En forme de clin d’œil, le réalisateur a offert le rôle d’un autre amant de Victoria à François Bunel et celui de son mari à Eric Reinhart, auteur du livre qu’il a lui-même adapté en tant que coscénariste.

L’alchimie crève l’écran entre les deux acteurs choisis par Sylvain Desclous. Damien Bonnard était une évidence, faisant suite aux quatre courts-métrages tournés ensemble sur des sujets qui abordaient déjà « des thèmes sociaux et des endroits de souffrance ». Quant à Jeanne Balibar, elle « sait très bien jouer et se balader dans toutes ces facettes d’imprévisibilité, d’intelligence, de froideur, de danger et d’ultra cynisme, en assumer le côté antipathique et le déjouer dans la seconde d’après par un trait d’esprit ou une intonation ».

Rencontre entre le monde des puissants et le monde des « pas puissants ».

La relation sensuelle entre les personnages, dont la première scène représentait un « fort enjeu » de crédibilité, est filmée avec autant de réalisme que de délicatesse. Conscient que le sujet ô combien actuel au cinéma des corps dénudés et de l’intimité doit être pris avec précaution, le réalisateur « a veillé à ne pas montrer de scènes d’amour gratuites. Il a beaucoup travaillé avec la chef opératrice sur ce qu’il voulait voir ou ne pas voir. Ils ont défini ensemble les axes et la manière dont la caméra allait se placer et ont beaucoup discuté en amont avec les acteurs, afin de savoir comment ces derniers appréhendaient les scènes et de faire en sorte qu’ils se sentent à l’aise ».

Damien Bonnard précise quant à lui « faire attention depuis ses débuts dans Rester Vertical, autant à l’autre qu’à lui-même dans ces moments et à ne pas être fragilisé. Pour éviter que ça ne traine pas dans la tête pendant des mois, il faut en parler au maximum avec les partenaires, tout chorégraphier, savoir à quel moment et comment on s’embrasse et ou est la caméra ». Il dit d’ailleurs être « son propre coordinateur d’intimité car il a mis en place un système de protection rigide qui ne se voit pas à la caméra et ne gêne personne, permettant d’être pleinement dedans et que rien ne soit mal vécu ». Film pudique sur le respect des engagements et des promesses qu’on se fait à soi-même, LE SYSTÈME VICTORIA embarque donc le spectateur dans l’aventure remarquable et haletante d’un homme au cœur blessé, qui apprendra en conscience à faire ses choix.

Sylvie-Noëlle

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