Un casting quatre étoiles pour la première de Steve McQueen dans le domaine du thriller. Porté par un discours féministe plus que moderne, le film dépasse-t-il le simple exercice de style ?
Artiste avant d’être cinéaste, Steve McQueen a réussi à mettre ses instincts issus de l’art contemporain au service du cinéma. En trois films, il a pu prouver qu’il tenait une place à part entière dans l’industrie, nous offrant des propositions exigeantes sur la forme, avec en fond un regard affuté sur l’être humain.
Son quatrième essai, Les Veuves, fait suite au splendide 12 Years A Slave, pour lequel il décrocha l’Oscar du Meilleur Film. Adaptation moderne de la série éponyme, le film suit 3 veuves forcées de faire un casse après que leurs maris respectifs, des malfrats, soient morts lors d’un coup ayant mal tourné. Livrées à elle-même, elles se doivent de s’adapter pour prouver leur force de caractère dans un Chicago corrompu.Lorsque ses nouvelles acolytes demandent à Veronica pourquoi leur meilleur atout principal est leur sexe, sa réponse pourrait à elle seule résumer toute la portée politique des Veuves : « Personne ne pense qu’on aura les couilles d’aller jusqu’au bout. » Une réplique qui vaut toutes les notes d’intentions du monde. Elle a raison. Personne ne pourrait penser que ces femmes, abandonnées par leurs compagnons vont monter un coup risqué pour dérober un butin à hauteur de 5 millions de dollars.
Personne, y compris la société moderne, gouvernée par des mâles se disputant le pouvoir pour ce qu’il représente symboliquement plutôt que pour faire bouger les choses. Pauvres ou aisées, d’origines ethniques diverses, elles restent dans l’ombre des hommes de leur vie, subissant les retombées de pratiques qu’elles n’ont pas combattues le moment venu. Steve McQueen s’empare de ce sujet politique pour parler de toutes ces femmes à qui on n’offre pas la chance de réussir. À l’image de cette coiffeuse, forcée de pactiser avec un homme politique, pour avoir le droit de croire en son rêve en ouvrant son propre salon.
On ne peut retirer à Steve McQueen son envie de dire des choses, de mettre le genre au service de l’époque pour soutenir des combats importants.
Là où l’acte de McQueen est particulièrement intéressant, c’est qu’il se sert d’un postulat de série B pour exprimer son geste politique. Pas vraiment un terrain de jeu sur lequel on l’attendait. Mais autant dire que ce n’est pas sur son traitement des codes du genre qu’il se démarque dans ce long-métrage. Parce que le scénario, qu’il co-écrit avec Gillian Flynn, fait des choix douteux et offre des twists balancés par-dessus la jambe.
Sans spoiler, ce que l’on découvre sur le personnage de Liam Neeson paraît totalement inutile. Le film aurait tout aussi bien fonctionné sans toutes ces manipulations dont on ne saisit pas leur profond intérêt. Les Veuves avait tout à gagner à s’en tenir à son simple point de départ sans en rajouter par-dessus des couches et des couches. Pour le première fois dans sa filmographie, Steve McQueen n’a pas l’air de totalement savoir quoi faire du matériau qu’il a entre les mains et se perd sur des sentiers qui ne servent pas toujours son propos. Ce qui se joue dans l’intrigue se décompose en deux parties, avec d’un côté le pur film de casse aux vapeurs féministes et de l’autre un combat de coqs sur fond de campagne électorale. On comprend, dans l’intention du moins, que Steve McQueen a tenté de dépeindre l’entièreté d’un système qui empêche les femmes de s’émanciper. Ce qui le force à faire deux films en un sans trouver d’équilibre dans la gestion de tous les axes narratifs. Sans compter qu’il n’a pas l’air grandement à l’aise dans sa manière d’appréhender la mise en scène de ces strates, filmant l’évolution de la préparation du casse sans y injecter un véritable style formel.
On avait hâte de voir comment il allait aborder les codes de la série B et force est de constater qu’il n’a pas vraiment opté pour une option franche, n’usant pas de sa sensibilité ou de sa personnalité pour rediriger le genre vers des contrées plus alternatives. Il s’efface totalement derrière les passages obligatoires, les filmant par obligation plutôt que par conviction.
Il se retrouve davantage inspiré, en revanche, lorsqu’il reste aux côtés de ses héroïnes pour filmer la rage qu’elles gardent intériorisée dans ce périlleux exercice qu’est le deuil. À ce petit jeu, Viola Davis livre une prestation solide. Déchirante lorsqu’elle pleure la mort de son mari et portée par une volontaire de fer dans le gestion des opérations, elle tient à merveille son rôle de pivot.
On ne peut retirer à Steve McQueen son envie de dire des choses, de mettre le genre au service de l’époque pour soutenir des combats importants. Sauf qu’il le fait mal, à grand renfort d’effet scénaristiques parfois grotesques. Le plus triste, pour un réalisateur de sa trempe, est de ne pas voir l’émancipation de sa zone de confort payer, à tel point que son style se dilue ou tombe à plat dans un thriller moins percutant qu’espéré.
Maxime Bedini
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• Réalisation : Steve McQueen (II)
• Scénario : Gillian Flynn, Steve McQueen (II) d'après l'œuvre de Lynda La Plante
• Acteurs principaux : Viola Davis, Michelle Rodriguez, Elizabeth Debicki
• Date de sortie : 28 novembre 2018
• Durée : 2h09min