Le golden papy du cinéma américain est de retour, honorant son nouveau rythme d’un film par an. Mais contrairement à ses collègues Woody Allen ou Claude Chabrol qui étaient tout aussi prolifiques, il ne se contente pas de tourner à la va-vite des projets qui auraient mérité un développement plus long ou de refaire inlassablement le même film…
Lui est constamment à l’affût de nouveaux projets et les fait mûrir lentement, en sous-marin, jusqu’à leur aboutissement qui intervient quand il peut (ce qui occasionne parfois un délai très court entre 2 films, même gros), parfois 10 ans après. C’est le cas ici puiqsue le film est tiré d’un livre, Team of Rivals, sorti en 2005 mais dont Spielberg avait acheté les droits… avant qu’il ne soit écrit (!), suite à une rencontre avec l’auteur en 1999. Il a touché à tous les genres, avec un succès inégal, à tel point qu’on avait pu se demander si c’était le même réalisateur qui avait fait ce mauvais pop-corn movie et inutile suite à Jurassic Park (Le monde perdu) et ce poignant drame en noir et blanc sur l’Holocauste (La Liste de Schindler). C’était encore le cas dernièrement lorsqu’il alternait encore une mauvaise suite, paresseuse et faite pour toutes les mauvaises raisons du monde (Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal) avec un film d’animation en 3D, superbe modernisation d’un mythe de BD (Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne).
Normalement, cette année, l’alternance devrait avoir du bon, si on considère que l’homme a rarement fait 2 mauvais films de suite et que son dernier opus, sorte de « Petit Poney s’en va-t-ten-guerre », qui semble avoir été fait pour les gamines qui rêvent de licorne, était une insupportable guimauve (Cheval de guerre). Bien que sa dernière tentative de traiter le sujet de l’esclavage n’avait pas été une réussite (Amistad), les attentes étaient grandes. D’autant plus que dans le rôle-titre, on a droit à une interprétation du trop rare Daniel Day-Lewis, qui semble se spécialiser dans le XIXè siècle après Le temps de l’innocence, Gangs of New York et presque There Will Be Blood.
Toute ressemblance avec les débats actuels sur le mariage gay est purement… amusante.
Contrairement aux apparences, le film n’est ni un biopic à proprement parler de Lincoln (il se concentre sur trop peu d’années), ni un film de guerre (de Sécession, en l’occurrence, ou guerre civile comme l’appellent les Américains) puisqu’elle sert uniquement de toile de fond, ne nous parvenant que par bribes, et en morse. On assiste plutôt à des manipulations politiques, on découvre les petits arrangements en coulisses pour faire voter une loi abolissant l’esclavage, qui tenait à cœur du président mais qui n’avait pas la majorité dans l’opinion (comme l’abolition de la peine de mort chez nous plus tard). On apprend qu’à l’époque, les Démocrates étaient plus réactionnaires que les Républicains et que c’est eux qu’il fallait convaincre de voter cette loi progressiste (qui nécessitait 2/3 des voix du congrès).
De facture plutôt académique, ce film s’inscrit comme un classique (avec ce que ça sous-entend de positif et de négatif) instantané. Favori dans la course aux Oscars, il devrait y rencontrer un large succès, tant il semble remplir les conditions: grand sujet, l’Histoire avec un grand H, interprétation haut de gamme (Daniel Day-Lewis parfait et mention spéciale à la moumoute de Tommy Lee Jones) et mise en scène très discrète. Vous vous rappelez Le discours d’un roi ? Autant d’arguments qui en font aussi un superbe prétendant au rang de « film à montrer dans les écoles ».
Le plus intéressant dans ce film est finalement qu’il résonne étrangement avec l’actualité. On y découvre un Lincoln adepte du storytelling (lorsqu’il rencontre un contradicteur, il s’assoit à côté de lui et lui raconte une anecdote destinée à le faire changer d’avis) qui sévit de plus en plus en politique (qui n’a pas entendu dernièrement une histoire de pains au chocolat?). Au cours des débats, on entend de farouches opposants clamer haut et fort que donner des droits aux Noirs va faire effondrer la société américaine puis demander ce qui va arriver ensuite:
« Et pourquoi pas un Noir député? »
Le pauvre bougre n’avait pas osé dire « président » mais il doit se retourner dans sa tombe.
« Et puis quoi, le droit de vote pour les femmes? »
On touche là du doigt le ridicule des arguments de ceux qui veulent que les autres aient moins de droits qu’eux. Toute ressemblance avec les débats actuels sur le mariage gay est purement… amusante. Il est encore temps de changer d’avis avant d’être présenté comme un ringard dans un film en 2100.
Romain