Madres Paralelas

MADRES PARALELAS, Almodóvar et les femmes, nouveau chapitre – Critique

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Pedro Almodóvar nous revient en cette fin d’année 2021 avec Madres Paralelas, un film dans lequel il retrouve son actrice fétiche et continue d’exprimer toute son admiration envers les femmes.

Penélope Cruz de retour au premier plan

Cela faisait un long moment que Pedro Almodóvar n’avait pas confié un rôle important à son actrice préférée. Penélope Cruz était pourtant au casting du très personnel Douleur et Gloire sorti en 2019, mais en tant que personnage secondaire, celui de la mère du petit Salvador. Un choix symbolique et beau, qui ne dura le temps de quelques flashbacks seulement. Il devait donc y avoir une certaine impatience à l’idée de lui confier les rênes d’une nouvelle histoire, toujours dans le rôle d’une mère, mais bien différente cette fois-ci.

Janis est photographe professionnelle et tombe enceinte à l’aube de ses 40 ans, au même moment qu’Ana (Milena Smit), de 20 ans son ainée. Les deux femmes accouchent en même temps, puis reprennent leurs chemins, Janis faisant le choix d’éduquer seule son enfant, alors qu’Ana a été victime d’un viol et est toujours mineure. Peu aidée par une mère comédienne qui semble privilégier sa carrière, Ana apprend à devenir parent seule jusqu’à ce qu’elle recroise Janis à la terrasse d’un café.

Madres Paralelas
Copyright El Deseo / Studiocanal 2021

D’emblée, nous retrouvons une caractéristique inhérente au cinéma du célèbre cinéaste espagnol, dans l’écriture de ses personnages féminins : ils sont forts et d’une modernité salutaire. Ana est une jeune mère pas encore majeure, à peine troublée par le départ d’une mère qui s’en va monter sur les planches des différentes villes du pays, l’obligeant à quitter fille et petite fille temporairement. Janis fait le choix de devenir mère sans attendre la position du père, pourtant déjà marié et aux prises avec la maladie de sa femme. La présence des femmes est si forte que les rares hommes du film sont largement relégués au second plan. Ce ne sont pas eux qui intéressent Almodóvar ni son récit, du moins dans un premier temps assez long, soit la quasi totalité du métrage, avant un épilogue assez discutable sur lequel nous reviendrons. Un épilogue pourtant annoncé lors des toutes premières minutes du métrage, comme pour se dédouaner d’avoir filmé cette fin et finalement justifier que tout était prévu par le script dès le départ.

Du rouge et des couleurs

En matière de mise en scène, Almodóvar utilise énormément l’ellipse temporelle pour faire avancer son récit. C’est assez marquant au début du film lorsque Penélope Cruz passe de la fin d’une journée de travail à une chambre d’hôpital enceinte et à terme. Il y a une volonté d’aller à l’essentiel afin de dévoiler rapidement un scénario assez riche en révélations. En plus du montage, le cinéaste travaille sur ses décors et ses accessoires avec une couleur en particulier, qui se démarque de toutes les autres : le rouge, utilisé dans toutes ses intensités.

Cette couleur est présente sur l’affiche du film et dans presque tous les plans qui le composent. Elle pare un objet du décor, le cadre d’un tableau, une porte ou se retrouve sur la coque de protection qui habille l’iPhone de Janis. Traditionnellement assimilée à la couleur de la passion, du sang, de l’amour et bien d’autres, son utilisation aurait une signification plus subtile ici, en cela qu’elle à la fois discrète mais omniprésente. Le rouge est disséminé un peu partout dans le décor de manière presque insidieuse alors que souvent, sa teinte forte en saturation fait qu’il est difficile d’oublier sa présence.

À travers le destin croisé de ces deux mères parallèles, Almodovar continue d’exprimer son admiration envers les femmes, mais se fait piéger par un scénario trop ambitieux pour tenir dans un seul film.

Une manière de la travailler très intéressante, qui fait écho à deux situations fortes du récit, d’abord avec les deux bébés qu’élèvent Janis et Ana à distance, tandis que la première s’interroge sur le physique de sa fille, puis plus tard lorsqu’une révélation sera faite à Ana. Soit l’art de placer l’évidence sous nos yeux en détournant notre attention de l’essentiel. C’est cette alerte visuelle que s’amuse à nous lancer inconsciemment la couleur rouge présente partout. Plus tard, lorsque MADRES PARALELAS aura muté en une histoire d’amour et de passion, où l’érotisme s’invitera même, l’utilisation du rouge retrouvera une évidence de premier ordre et n’aura rien d’anodine au final.

Madres Paralelas
La couleur rouge est partout / Copyright El Deseo / Studiocanal 2021

Aux frontières du thriller

Imposant un art de l’ellipse temporelle parfois un peu rude (plusieurs mois passent en un simple plan de coupe), le scénario fait la part belle à de nombreux rebondissements qu’il serait criminel de dévoiler ici. Il flirte sans cesse avec le film de genre, c’est-à-dire une situation ancrée dans une réalité secouée par des éléments dissonants, officiant par petites touches qui vont compliquer la vie de Janis. Et tandis que MADRES PARALELAS avance vers une conclusion que personne ne pouvait prédire tant elle est désarçonnante, nous assisterons avant cela au refus total de son auteur de basculer définitivement dans le thriller, lors d’un climax qui pouvait s’y prêter parfaitement.

Mais Almodóvar n’est pas De Palma (Brian et non pas Rossy), et préfère garder la moralité de ses personnages féminins intacte. Car il les admire profondément. En ouvrant son film sur un arc qu’il prendra le temps de refermer lors des 20 dernières minutes, Pedro Almodóvar nous déconcerte et apporte des longueurs. Pour finalement se servir de sa conclusion assez hors-sujet comme d’un message de paix et d’espoir.

MADRES PARALELAS demeure un bon Almodóvar mais souffre de quelques erreurs d’immersion et d’un manque d’empathie lors de rares séquences. Tout va très vite de par le tempo imposé par le montage. Ainsi, les personnages auront souvent la faculté de se remettre bien vite d’une situation émotionnelle pourtant présentée comme traumatisante. Et puis il y a cette fin dont on cherche encore à la raccrocher à l’heure et demie à laquelle nous venons d’assister, à savoir le destin croisé de ces deux mères parallèles touchées par les aléas de la vie. Le scénario était probablement trop ambitieux pour tout raconter convenablement en un seul film, malgré la bonne volonté de son auteur.

Loris Colecchia

Note des lecteurs5 Notes
Titre original : Madres Paralelas
Réalisateur : Pedro Almodóvar
Scénario : Pedro Almodóvar
Acteurs principaux : Penélope Cruz, Milena Smit, Israel Elejalde, Rossy De Palma, Aitana Sánchez-Gijón
Date de sortie : 1er Décembre 2021
Durée : 2h04min
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