Roman d’anticipation cruel et glaçant, MARCHE OU CRÈVE compte parmi les plus grandes réussites littéraires de Stephen King. Malgré un concept simple, l’adaptation de Francis Lawrence parvient à retranscrire toute la force et l’horreur de ce récit, sans jamais ménager, ni épargner son spectateur.
L’un des plus grands romans de Stephen King
Dans une sorte de post-apo peu explicité, le défilé de MARCHE OU CRÈVE rassemble de très jeunes hommes, âgés d’à peine 20 ans, dans une randonnée mortelle à travers les États-Unis. Tirés au sort parmi la population, ils doivent marcher au rythme de 5 km/h et ne s’arrêter sous aucun prétexte. Sinon ? L’escouade qui les accompagne se charge de leur loger une balle dans la tête. Évidemment, le dernier survivant remporte la course. Dans un contexte de misère économique profonde, cet ultime gagnant obtient le privilège de voir exaucé son vœu le plus cher et la possibilité de sortir des difficultés financières.
Dystopie cruelle sur le totalitarisme, Marche ou crève fait certainement partie des plus grands romans de Stephen King. Sorti en 1979 sous le pseudonyme de Richard Bachman, il s’agit pourtant d’une œuvre de jeunesse, écrite dans la seconde moitié des années 60. Loin des récits d’horreur fantastiques de l’auteur habituellement adaptés au cinéma, comme Ça, The Thing ou Carrie, il se rapproche davantage de la plongée dans la folie et l’oppression subie de Misery, Rose Madder ou Cujo (oui). Et comme Stand by me, il débute comme une bluette adolescente, avant de nous précipiter dans l’abominable.
L’art de la dystopie adolescente
Et déjà en 1979, l’idée d’adapter ce succès littéraire au cinéma se profile assez vite. Le réalisateur culte George Romero est même évoqué, mais le projet reste sans suite. Plus tard, en 2007, Frank Darabont, réalisateur de La ligne verte et des Évadés, acquiert les droits d’adaptation, qui échouent finalement à la New Line. Nous sommes en 2019, et cette fois, c’est le cinéaste André Ovredal (The Jane Doe Identity) qui est pressenti à la réalisation. Nouvelle arlésienne. Jusqu’en 2023, où Lionsgate confie MARCHE OU CRÈVE à Francis Lawrence, professionnel de l’adaptation depuis Je suis une légende en 2007.
Professionnel de l’adaptation littéraire, mais aussi de la dystopie adolescente, après ses quatre épisodes de la saga Hunger Games – le Battle Royale édulcoré sauce américaine. Lawrence semble donc être l’homme de la situation. Et il l’est d’autant plus qu’il s’accapare le récit de Stephen King à bras le corps, dans une violence aussi graphique que morale. D’entrée de jeu, MARCHE OU CRÈVE éclate des têtes d’enfants, leur broie les jambes et les laisse se vider leur sang. Rien n’est épargné au spectateur, pas même les ennuis digestifs des protagonistes, dans une cruauté fidèle à l’œuvre de King.
Une métaphore du capitalisme
De son matériau original, le film préserve aussi sa métaphore du capitalisme, système mécanique et froid, sans empathie, qui finit par broyer les individus dans son effort collectif. Une métaphore mise en forme dans le huis-clos mouvant de la marche, milieu ouvert dont on ne peut pourtant pas s’échapper, sinon par le suicide. Malgré sa longue liste de mises à mort déchirantes, MARCHE OU CRÈVE reste, de ce fait, un film de dialogues, où naît l’empathie pour des personnages dont on connaît par avance le destin funeste. Un défi terriblement casse-gueule, que Lawrence relève avec les honneurs.
En effet, le risque était de lasser, de perdre en rythme, voire de rusher la chute. MARCHE OU CRÈVE parvient à éviter tous ces pièges, sans pour autant verser ni dans le spectaculaire à outrance, ni dans le contemplatif. Malheureusement, il se laisse aller par instants au tire-larmes facile, que l’on attribuera cependant au récit original de King, encore jeune au moment de la rédaction du roman. Une œuvre pessimiste et nihiliste, qui trouve un écho prophétique à travers ce groupe de jeunes hommes sacrifiés… sur l’autel d’un système vieillissant que l’on s’acharne encore à déifier.
Lilyy NELSON




