mark dixon
Crédits : 20th Century Fox

MARK DIXON, DÉTECTIVE, haute subversion dans les bas-fonds – Critique

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La réouverture des salles mi-2021 voit le retour d’un cinéma de patrimoine plus riche et éclectique que jamais. Une occasion de (re)découvrir quelques trésors cachés. Des films de cinéastes célébrés à la carrière dissertée et balisée dans les moindres recoins. Ce mercredi 16 juin à la Filmothèque du Quartier Latin, Ciné Sorbonne continue son cycle hommage à la 20th Century Fox sur quatre œuvres du studio avec la diffusion de Mark Dixon détective. Séance de rattrapage donc pour les aficionados du réalisateur américano-autrichien, Otto Preminger, maître du film noir et cet artéfact du genre, longtemps écrasé par l’ombre de Laura.

A l’orée d’une décennie nouvelle vient la synthèse de la précédente. S’accompagne aussi les germes de la suivante. Et les fifties n’y font pas exception dans l’ensemble du cinéma mondial. Après tout, 1950 sonne l’année de Rashōmon qui bouleverse les règles de la narration classique, Orphée celles du genre fantastique couplé à l’expérimental et Los Olvidados celles de la chronique néoréaliste froide presque nihiliste. Le trouble parasite les schémas mythologiques établis. Les certitudes volent aux éclats, ainsi que les acquis moraux. Même si les postures idéologiques et les dogmes religieux perdurent, l’effritement des valeurs guette.

À Hollywood, cette mue s’observe à travers le portrait d’anti-héros manipulateurs et sans pitié, désireux de plier la société à leur ego. White Heat de Raoul Walsh (1949) témoigne d’une radicalisation profonde du gangster, diabolique et cruel, prêt à tous les excès de violence jusqu’au bouquet final. Eve de Joseph Mankiewicz tord les attentes de la success story à Broadway pour mieux y dépeindre le monstre arriviste s’y créant. The Asphalt Jungle de John Huston propose ce casse raté où chaque membre, aussi professionnel soit-il, dévoile sa veulerie au fur et à mesure de son délitement. Mais c’est surtout In a Lonely Place de Nicholas Ray qui place la figure d’Humphrey Bogart, scénariste chaotique soupçonné d’homicide, dans une position dérangeante. Au sein de l’Amérique de Truman, l’Homme de cinéma reflète cette perte de repères identitaires. Plus que jamais vive depuis le début de la guerre de Corée en juin 1950, presque 10 ans après Pearl Harbor, 8 ans après la création des camps nippo-américains et 5 ans après la bombe atomique. Le reflet de cet échec humain s’immisce malgré lui dans ces long-métrages, s’inscrivant chacun dans un genre précis. Contrairement à ses illustres modèles cités plus haut, Where the Sidewalk Ends (MARK DIXON, DÉTECTIVE) ne jouit pas de la même postérité mais appartient aussi à ce sérail de travaux pionniers et contestataires dans leur style.

« Votre boulot est de traquer les criminels, pas de les punir ». Une phrase lourde de sens, prononcée au détective Dixon, connu pour sa brutalité au sein de la Police et dans les rues de New-York. Ce dernier enquête sur le meurtre d’un riche Texan par le gang de Tommy Scalise, un truand que Dixon s’obsède à coffrer. Durant l’interrogatoire d’un homme de main, l’enquêteur perd son sang-froid et tue le suspect par accident. Dixon, horrifié par son acte, coule le corps dans les docks, en vain. À la découverte du cadavre, un chauffeur de taxi est accusé à tort. Le détective déchu se trouve partagé entre l’envie d’avouer son crime, son amour pour la veuve de sa victime (aussi fille de l’innocent chauffeur) et sa soif de vengeance envers Scalise. Quelle route va-t-il choisir ?

De ce carrefour fataliste, Otto Preminger en tire un récit efficace et gratifiant, tant pour le mélodrame intimiste qu’il convoque que pour sa mise à mal des codes du roman noir. En 90 minutes, le scénario brillant de Ben Hecht (Scarface, His Girl Friday) brasse une complexité d’émotions inouïe. Une dynamique d’amour / haine s’installe entre le spectateur et Mark Dixon, tributaire de la pitié ressentie à son égard comme de la répulsion face à sa descente aux enfers. Lui, la figure d’autorité impure. Le justicier corrompu. Le condamné du destin. Sa trajectoire dessine une ironie sadique et un bouleversement moral dès la fin du premier acte. Il franchit la ligne jaune. Pire, il la maquille ! Trait d’inventivité dramatique dont le cœur sera repris un an plus tard dans A Place in the Sun. Seul bémol propre à certains scripts de cette période : la conclusion douce-amère convenue, faisant office de rédemption forcée. Là où un bain de sang opératique aurait été de bon aloi. Nous attendrons les sixties et la fin du code Hays pour cette folie.

Côté mise en scène, Preminger creuse avec une économie de moyens le combat intérieur des protagonistes. Jouant sur le positionnement spatial des acteurs, la caméra enferme Dixon entre deux silhouettes, des ombres et des lignes, aidée par des travellings avant ou latéraux accentuant, en un geste, la potence inéluctable. Une atmosphère cohérente jusque dans le casting dont le funeste destin noircit le tableau. Revoir Gene Tierney reste une source de joie (tant l’actrice incarne le sommet de l’âge d’or hollywoodien) comme une grande tristesse à l’image de sa fin de vie tragique. Son visage parfait et sa sensibilité à fleur de peau contrastent avec les trognes bourrues de Dana Andrews et Karl Malden, répondant avec intelligence au clair-obscur du chef-op’ Joseph LaShelle. L’espace d’une scène au téléphone, cette composition lumineuse vacille au-dessus du crâne de Scalise, symbole du couperet céleste.

Il n’y a pas de hasard. Dans toute tragédie, le sort est déjà scellé avant le premier mot, la première action, la première faute. Rien ne demeure. Hormis les ombres. C’est à cette règle qu’obéit MARK DIXON, DÉTECTIVE, jetant un œil sur les parias au-delà du trottoir. Ceux du caniveau. Et leurs drames sous lampadaires éteints.

Julien Homère

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Titre original : Where the Sidewalk Ends
Réalisation : Otto Preminger
Scénario : Ben Hecht, Frank P. Rosenberg
Acteurs principaux : Dana Andrews, Bert Freed, Karl Malden
Date de sortie : 22 août 1951 - 16 juin 2021
Durée : 1h35min
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