Photo du film MOI CAPITAINE
Crédits : Greta De Lazzaris

MOI CAPITAINE, un exode en direction de notre cœur européen – Critique

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Après l’adaptation d’un conte populaire avec Pinocchio, Matteo Garrone revient au conte social avec MOI CAPITAINE. C’est un retour en arrière radical pour le réalisateur italien car il se rallie dans ce nouveau long-métrage à des thématiques abordées au tout début de sa filmographie. La différence majeure est que, dorénavant, il ne traite pas d’immigration, mais d’émigration.

Une odyssée africaine

MOI CAPITAINE débute telle une odyssée africaine où les jeunes Seydou (Seydou Sarr) et Moussa (Moustapha Fall) partent en direction de l’Europe pour que leur rêve devienne réalité. S’ils décident d’émigrer, c’est parce qu’ils ne se trouvent pas à leur place au Sénégal. Nous pouvons le constater par le biais de Seydou, lui qui est distant avec sa famille comme en témoigne le premier plan du métrage ou lorsqu’il annonce la nouvelle de son départ à sa mère. Il n’y pas véritablement de plans où le jeune homme est entouré de sa famille, à l’exception d’un : lors de la fête. La musique est le moteur principal du bonheur de Seydou et Moussa, et ce n’est que lorsqu’il y en a que se dégage un sentiment de communauté. C’est d’ailleurs cet art qui les pousse à partir. Ainsi, à l’instar d’un mythe, les jeunes partent de chez eux pour vivre la vie musicale qu’ils souhaitent vivre. Néanmoins, pour atteindre le rêve, il faut passer par le cauchemar.

Le dernier prophète

L’aventure pleine d’espoir qu’entreprennent les deux jeunes garçons se transforme au fil du temps en fuite périlleuse digne de l’Exode. Le parcours des deux cousins possède un sens religieux. Si c’est effectivement le cas, c’est tout d’abord car les deux sont à la fois musulmans et héritiers des croyances de leurs ancêtres. Ensuite, la notion de foi est fondamentale dans une telle entreprise car il faut croire fortement à son rêve pour qu’il puisse se réaliser. MOI CAPITAINE va d’ailleurs traiter de ce manque de foi via les deux cousins. Si initialement c’est Moussa qui motive Seydou, bien plus tard ce sera l’inverse. Nous pouvons clairement y voir dans ces personnages le peuple juif marchant des dizaines de jours dans le désert, doutant du Dieu auquel ils ont fait allégeance. Cette souffrance se lit dans les plans de nuits où leurs ombres mêlées au sable les rapproche davantage des morts que des vivants. La douleur s’accentue même par la suite par la torture et l’esclavagisme. Toutes les raisons sont bonnes pour abandonner, toutefois quelqu’un va mener ce peuple : Seydou. Ce dernier, qui subit longuement tous ces tourments, va devenir un guide. Si au début c’était la musique qui le liait aux autres, là c’est cette terrible épreuve. Son objectif change car il ne veut plus aller en Europe pour lui, mais pour autrui. La barre en main, il fend la mer non pas avec un bâton mais avec son bateau pour sauver son peuple. Seydou devient un capitaine.

Invictus

MOI CAPITAINE raconte l’évolution d’un jeune matelot jusqu’à devenir capitaine. Ce mot, « capitaine », possède plusieurs sens et ne se limite pas qu’au monde maritime. Capitaine, Seydou l’est de facto car son père est décédé. Seul homme de sa famille, il doit prendre ses responsabilités et partir pour le bien de ceux qui lui sont cher. Cependant, ce n’est que durant le voyage qu’il le comprend, en particulier dans les « deux » déserts. En effet, celui de sable et d’eau sont liés. Ils le sont déjà par l’image car nous ressentons dans les plans d’ensemble tout le vide qui entoure ces aventuriers, et par conséquent tout le danger d’une telle traversée. Ils sont aussi liés narrativement puisque dans le Sahara, Seydou ne réussit pas à sauver une femme, tandis que dans la Méditerranée, il sauve tout le monde. Enfin, les maillots de football sont présents à chaque instant. Ce ne sont pas que des vêtements, mais un symbole. Dans une équipe il y a toujours un capitaine, et Seydou prend le brassard pour un groupe aux maillots divers et variés.

Lettre à l’Union Européenne

Cette intrigue que nombre d’africains vivent intervient dans une période de durcissement de la politique migratoire européenne. Ce métrage, Matteo Garrone l’a réalisé à dessein pour faire appel à notre humanité. Le film est dans cette optique volontairement fabuleux avec des migrants bienveillants et le retour totalement miraculeux d’un personnage vis-à-vis de ce qu’il a vécu. Car oui, MOI CAPITAINE est aussi très dur et n’hésite pas à nous montrer de terribles images. Pour grossir le trait et capter entièrement nos sentiments, le réalisateur fait appel à de nombreux gros plans sur Seydou. Nous lisons sur son faciès toute l’épreuve que lui et ses compères vivent, mais aussi ses quelques moments de joie. Le dernier plan est particulièrement évocateur. Il est ambigu car nous discernons un visage interrogatif pour la suite. Cette suite, nous ne la connaîtrons pas car nous la connaissons déjà. La conclusion de cette histoire se trouve dans la réalité.

Matteo Garrone, qui a longtemps observé les migrants sur ses terres italiennes, est cette fois-ci monté sur le bateau avec eux. Il y a choisi un capitaine et l’a suivi durant ce long périple. Ce dernier dépasse le cadre de la fiction car ce guide emmène non pas son peuple en Europe, mais dans nos cœurs.

Flavien CARRÉ

Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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