NEWS FROM HOME est un film central de la filmographie de Chantal Akerman : quand l’envie de découvrir le monde se mêle aux besoin et à la pudeur familiale.
Deux années après son plus grand film, Jeanne Dielman 23, Quai Du Commerce, 1080 Bruxelles, qui placera Chantal Akerman comme une des réalisatrices les plus importantes de sa génération, la cinéaste Belge revient avec un film documentaire intime et personnel, NEWS FROM HOME.
Expérience cinématographique unique, qui part d’un principe simple : filmer New York sous toutes ses formes, en narrant ses correspondances avec sa mère de 1971 à 1973, lorsque la jeune réalisatrice décida d’aller vivre à l’autre bout de l’Atlantique, loin de sa Belgique natale.
Une expérience visuelle avant tout
Grâce à sa caméra, Akerman va nous plonger dans un New York du début des années 70 et son atmosphère unique. Composé, dans sa première moitié, quasiment uniquement de plans fixes, cette caméra nous emmènera partout. Des rues désertes du Bronx, au centre ville tentaculaire de Manhattan, des restaurants complets, aux bars vides, aux lieux de vie éteints. Chantal Akerman va filmer la vie, la routine, mais aussi la vacuité de la métropole, sans aucun artifice et avec une sincérité étonnante. Des regards, des sourires, un trajet en métro, mais aussi l’ennui, la monotonie, la mélancolie, le film nous montre l’impalpable, l’indicible.
On se sent comme hypnotisé, à l’image d’un Koyaanisqatsi quelques années plus tard, le film nous plonge dans le tumulte, le déséquilibre et l’immensité urbaine qui semble nous dépasser. Cependant, l’œil de la réalisatrice sait rester neutre. À chaque plan, on ressent le recul du regard de la cinéaste sur ce qu’elle filme, la fascination et l’amour qu’elle porte pour cette ville, mêlé à son chaos et son agitation déroutante.
Un film intime
Chaque image, ou presque, sera accompagnée de la voix de la réalisatrice qui liera les lettres de sa mère, envoyées sur une durée de 2 ans. Des lettres remplies d’amour et de questionnement, des lettres chaleureuses qui contrasteront parfois à la froideur des images new-yorkaises. C’est grâce à ces lettres que le métrage va prendre toute sa dimension. Au fil de celles-ci, le spectateur pourra remarquer que leur structure sera toujours plus ou moins similaire. La mère exprime son manque, son besoin de revoir sa fille, se plaint des réponses toujours très tardives de celle-ci, puis tente de noyer sa peine dans des banalités. Elle y raconte sa vie, ses vacances, le mariage de ses amis, puis, ponctue chacune de ses lettres par un mot d’amour, d’affection : « Ta maman qui t’aime. ».
Le film nous transporte dès lors dans un état de regret et de mélancolie palpable. Là où le film réussit son tour de force, c’est en alliant le point de vue d’Akerman aux mots remplis de douleur, mais également de tendresse, de sa mère.
Mais au fil du film, ces mots qui résonnaient vont s’éteindre et disparaître petit à petit, sous le brouhaha incessant et assourdissant de la vie urbaine. Des mots qui s’effacent, s’estompent et s’échappent dans la cohue new-yorkaise.
Le film nous plonge alors dans une solitude immense, un vide, aussi bien moral qu’affectueux. La cinéaste se questionne, se remet en question. Une telle relation peut-elle survivre à une telle distance ?
« Ma chère fille, j’aimerais tellement te prendre dans mes bras. »
Pour conclure
NEWS FROM HOME est un film profondément personnel et intime pour sa réalisatrice, mais aussi très thérapeutique pour cette dernière. Bien que ce long métrage soit rempli de bonnes idées, il n’en demeure pas moins une expérience extrêmement exigeante pour son spectateur, qui en laissera — ça ne fait aucun doute — plus d’un sur la touche. Malgré son impact émotionnel certain et sa structure atypique, ce film reste une expérience sensorielle pour le moins clivante, qui saura trouver son public, mais qui n’est pas destiné à tout le monde.
Un film qui laisse une trace néanmoins, un brin de mélancolie et de chaleur. En témoigne ce dernier plan : travelling arrière sur un ferry, qui laisse disparaître, doucement, l’immense métropole dans une épaisse brume grise, au son des vagues et des oiseaux qui chantent…
Tom JUNG
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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• Réalisation : Chantal Akerman
• Scénario : Chantal Akerman
• Acteurs principaux : Chantal Akerman
• Date de sortie : 8 juin 1977
• Durée : 1h39min