night moves critique

[critique] NIGHT MOVES

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Mise en Scène
8
Scénario
7
Casting
8
Photographie
7
Musique
7
Note des lecteurs4 Notes
6.5
7.4

[dropcap size=small]N[/dropcap]IGHT MOVES est un film compliqué à critiquer car, à l’instar d’un Eyes Wide Shut, ou d’un The Master, il est indissociable du reste de l’œuvre de son auteur, autant qu’il en redessine les contours, amène de nouveaux éléments pour développer un travail commencé précédemment.

Wendy & Lucy, et surtout La Dernière Piste (Je n’ai pas encore vu Old Joy), sont deux films qui m’ont énormément marqué. C’est quelque chose de très subjectif, mais la sensibilité de Kelly Reichardt en matière de cinéma me touche, me trouble beaucoup.

Le point commun à ces trois films, est d’explorer l’enfermement et la solitude de personnages évoluant dans un environnement qui paraît immense, mais qui pourtant, les écrase.
Kelly Reichardt sonde également la paranoïa d’individus poussés dans leurs retranchements, à force d’évènements qu’ils ne peuvent plus vraiment influencer.
Elle examine l’état de perdition qui découle de tout cela.
Sa mise en scène se construit donc en adéquation avec ce dont elle souhaite parler.

Quand je parle de mise en scène, il ne s’agit pas de technique ou d’audace formelle, mais bien de suggestion par l’Image.
Si les deux premiers aspects sont très sobres quoique sans faille, le dernier est clairement ce qui rend le film impressionnant.

Cela s’observe à travers la maîtrise du rythme du film, la narration anti-démonstrative, ainsi que dans le jeu trouble des acteurs.

Kelly Reichardt est une cinéaste du statique, de l’instant, du mouvement lent.
Ainsi, dans la première moitié du film, sa mise en scène cherche, dans l’étirement du temps, à créer une bulle funeste ou les personnages évoluent, comme s’ils étaient dans l’attente, puis dans la préparation d’un évènement bouleversant.
Dans NIGHT MOVES, cet évènement constitue le point culminant du film, le moment de basculement.
La mise en images de cet instant, d’ailleurs, se révèle tout à fait phénoménale, d’une intensité peu commune, très Spielbergienne dans sa gestion du suspens.
Car contrairement à ses précédents films, ou le suspens s’étale sur l’ensemble du métrage et s’évapore lorsque les personnages s’abandonnent à leur destin, dans NIGHT MOVES, ce suspens est concentré en un point précis, à la fois aboutissement et catalyseur, conclusion et nouveau départ, l’amorce de la deuxième partie du film.

Celle-ci est également troublante car elle se focalise sur la paranoïa et l’intimité d’un des protagonistes, provoque un resserrement jusqu’à l’étouffement, jusqu’au point de non retour, celui de l’abandon des personnages.
Abandon à la fatalité, abandon au pulsions destructrices.
Une seconde partie plutôt réussie, excepté lors de son petit climax, totalement raté. Comme je le disait plus haut, Reichardt 6est une cinéaste du mouvement lent. Sa caméra n’arrive pas à retranscrire le dynamisme nécessaire à ce point précis du récit. Dommage.

Concernant la narration, et les personnages, Kelly Reichardt aborde le Cinéma de façon quasi documentaire, en observatrice distante. Elle ne souhaite pas créer d’empathie envers les personnages. Ceux ci semblent lisses et vides car aucun dialogue ne vient réellement nous éclairer sur leur passé, leurs projets.
Il s’agit uniquement du présent, des différentes interactions avec lui. Il faut donc, pour le spectateur, chercher à comprendre au delà de l’apparence, reconstituer l’histoire et la psychologie complexe des personnages, à travers l’observation de détails, en décodant les bribes d’informations présentes dans les dialogues, les micro-évènements. La manière de prendre un objet, de le regarder. Un sourire très léger. Une volubilité qui masque une personnalité torturée…

Une forme de narration à deux vitesses, celle régie par les codes traditionnels du cinéma – ce que la caméra montre, l’interprétation des dialogues… Un cinéma qui, pris au premier degré, n’a rien d’exceptionnel.
Puis, et c’est la d’ou vient la puissance de ce NIGHT MOVES et du cinéma de Reichardt, des moyens détournés de raconter l’histoire : les détails du quotidien, le hors champ.

« NIGHT MOVES est un film hermétique mais façonné par une mise en scène qui cherche à stimuler l’intelligence du spectateur. »

Les acteurs aident beaucoup à l’élaboration de cette narration singulière : Eisenberg, génialement impénétrable, est dur à déchiffrer. Pourtant, l’acteur parvient grâce à son jeu subtil, à transmettre quelques éléments sur les sursauts intérieurs qui l’agitent. Fanning, volubile, sensuelle à sa manière, interprète un personnage à la fois plein d’assurance et torturé, instable. Skaarsgard, légèrement dans le surjeu, incarne tout de même un personnage intéressant : foutraque, mal organisé, il se révélera pourtant, au travers de quelques phrases téléphoniques, le plus lucide des trois.
Ces personnages, d’une façon assez troublante, font bien plus confiance à leur instinct qu’aux faits, à ce qu’ils imaginent du monde plutôt qu’à ce qu’il est vraiment. Ce qui en fait de bien piètres héros, stupides et immoraux lorsqu’il s’agit de cinéma et pourtant, assez réalistes, si l’on compare avec notre propre façon de considérer le monde.

Tous les autres protagonistes personnifient le « Réel », personnage à part entière de cette bulle hors du temps et de l’espace, un protagoniste sans réelle consistance mais qui provoque les avancées rythmiques et scénaristiques, psychologiques.

Il s’agit donc, par cette mise en scène, de faire confiance à l’intelligence du spectateur pour reconstituer une histoire, des profils comportementaux.
Une notion stimulante que j’apprécie beaucoup au Cinéma, comme je l’écrivais à propos de L’ANGE BLEU, de Josef Von Sternberg.
Ainsi, animé par la volonté de faire correspondre cette critique à ma vision du film, je suis resté volontairement flou quant aux ressorts scénaristiques, aux différents développements des personnages.

Photo du film NIGHT MOVES

Le film, cependant, provoque dans cette étrange vision du cinéma, quelques éléments potentiellement dérangeants pour le spectateur, en fonction de son affinité avec l’univers de la réalisatrice :

Kelly Reichardt n’est visiblement pas intéressée par le militantisme écologique et le terrorisme associé. Ce n’est qu’un prétexte, un décor dans lequel elle place ses personnages.
Le film peut donc se voir comme un simple objet de mise en scène, génial et stimulant, mais dénué de toute réflexion politique, malgré un point de vue en apparence très « documentaire »…
Dommage que celui-ci ne s’applique pas du tout au sujet du film, mais bien aux personnages, à leur psychologie.

– Le spectateur souhaitant créer une connexion avec le film à travers ses personnages, ou via la puissance émotionnelle de son histoire, sera déçu. Son manque de générosité en fait un objet cinématographique peu accessible.
NIGHT MOVES constitue une continuité dans l’oeuvre de la cinéaste, et donc, ne propose pas les clés pour comprendre ce qui à déjà été décodé.

NIGHT MOVES est, somme toute, un film hermétique car Kelly Reichardt donne trop peu d’indices au spectateur pour appréhender son univers, sa vision de l’Homme confronté à l’inéluctable.
Néanmoins, ce long métrage façonné par une mise en scène stimulante, se révèle d’autant plus passionnant lorsque son rythme élastique se confronte à un suspens intense et prenant, ce qui constitue une singularité dans le cinéma de Reichardt.
Un film qu’il est donc important, voire primordial, de considérer par rapport à ses prédécesseurs.
Aussi, je déconseille le visionnage de la bande annonce qui comme souvent, privilégie le spectaculaire et l’excès d’informations à la vraie nature du film, une oeuvre complexe à déchiffrer.

[divider]CASTING[/divider]

Titre original : Night Moves
Réalisation : Kelly Reichardt
Scénario : Jonathan Raymond, Kelly Reichardt
Acteurs principaux : Jesse Eisenberg, Dakota Fanning, Peter Sarsgaard, James le Gros
Pays d’origine : Etats Unis
Sortie : 23 Avril 2014
Durée : 1h52mn
Distributeur : Ad Vitam
Synopsis : Un couple de militants écologistes, avec l’aide d’un troisième type au passé trouble, préparent une opération spectaculaire et radicale, destinée à « ouvrir les yeux du monde »

[divider]BANDE-ANNONCE[/divider]

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Mise en Scène
Scénario
Casting
Photographie
Musique
Note finale

  1. Je suis assez d’accord sur bien des points, mais je pense néanmoins qu’il y a bel et bien un message écologiste dans son film. Mais elle fait davantage appel à l’intelligence du spectateur. A travers sa mise en scène, elle magnifie les décors naturels tout en soulignant le caractère contradictoire des personnages (ce magnifique plan où Jesse Eisenberg se débarrasse des « preuves » dans une décharge). Comme tu le dis dans ta critique, je pense également qu’elle ne s’attache à aucun des personnages, à part peut-être la trop naïve Dakota Fanning, et de ce fait, le spectateur ne peut pas vraiment s’identifier à un des protagonistes… surtout dans la deuxième partie. Seules une ou deux répliques semblent être censées, et ne viennent que du propriétaire de la ferme. Mais c’est avant tout dans le symbolisme des plans que le film transmet son message écologiste. C’est incroyable comment son cinéma est devenu plus métaphysique alors qu’elle flirte de plus en plus avec le cinéma de genre.

  2. Je suis assez d’accord sur bien des points, mais je pense néanmoins qu’il y a bel et bien un message écologiste dans son film. Mais elle fait davantage appel à l’intelligence du spectateur. A travers sa mise en scène, elle magnifie les décors naturels tout en soulignant le caractère contradictoire des personnages (ce magnifique plan où Jesse Eisenberg se débarrasse des « preuves » dans une décharge). Comme tu le dis dans ta critique, je pense également qu’elle ne s’attache à aucun des personnages, à part peut-être la trop naïve Dakota Fanning, et de ce fait, le spectateur ne peut pas vraiment s’identifier à un des protagonistes… surtout dans la deuxième partie. Seules une ou deux répliques semblent être censées, et ne viennent que du propriétaire de la ferme. Mais c’est avant tout dans le symbolisme des plans que le film transmet son message écologiste. C’est incroyable comment son cinéma est devenu plus métaphysique alors qu’elle flirte de plus en plus avec le cinéma de genre.