Crédits : Wayna Pitch

NOÉMIE DIT OUI, ou la généalogie de la violence – Critique

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Avec NOÉMIE DIT OUI, Geneviève Albert expose à travers sa caméra la banalité de la prostitution et la normalité d’un esclavagisme sexuel en secret de polichinelle. Kelly Depeault est bouleversante. Un premier film réussi.

Le film s’ouvre sur le visage angélique de Noé (sublime Kelly Delpeault). Noé pour Noémie, une jeune fille de quinze ans au regard perçant et cerné. En étendard, elle porte un tee-shirt jaune à l’effigie d’un groupe de métal féminin, un tee-shirt qu’elle ne lâchera jamais. Depuis le centre de jeunesse dans lequel elle vit depuis 3 ans, Noé s’agace en recomposant inlassablement le numéro de sa mère qui ne décroche pas. Sa mère, de Noé, elle n’en veut plus. Et c’est ici que tout commence. Dans un visage. Un visage aux traits purs comme celui des filles encore un peu enfant, un visage en suspend qui soudain se tort de douleur, de haine et de désespoir.

Il ne faudra pas plus d’une minute, d’un plan et du son d’un répondeur pour que NOÉMIE DIT OUI nous plonge sans tergiversation dans la violence la plus inouïe, celle du rejet et de l’abandon d’une mère, berceau de toutes les (autres) violences. Toute la suite, la fugue, les rencontres, l’espoir et la prostitution partiront de là…

Avec NOÉMIE DIT OUI, Geneviève Albert, réalise son premier long métrage et si certains aspects mineurs du scénario, notamment le traitement des personnages secondaires tend à formater le récit, elle réalise un film coup de poing à la réalisation précise qui parvient à prendre le spectateur aux tripes.

Photo du film NOÉMIE DIT OUI
Crédits : Wayna Pitch

NOÉMIE DIT OUI, c’est l’histoire d’une jeune fille livrée à elle même qui consent à la prostitution. Un oui, lancée non sans résistance à son amoureux proxénète, à la seule condition que ce oui soit une promesse de liberté, mais plus encore, une promesse tenue.

Sur le papier, le sujet de la prostitution peut avoir un air de déjà vu. Depuis toujours, le corps, surtout celui des jeunes femmes, leur désir et leur sexualité s’inscrit comme un objet obsessionnel transverse au cinéma, la plupart du temps traité par la caméra d’hommes réalisateurs qui parfois scrutent, tâtent, décortiquent et cherchent à percer le secret d’un plaisir caché, d’une nymphomanie latente à laquelle les femmes et les jeunes filles, même en insistant un peu finiraient par se rendre. On pense à Kechiche, à Arnaud des Pallières, et tant d’autres. Mais le sujet n’est pas les autres. Dans NOÉMIE DIT OUI, le sujet c’est les femmes, leur force, leur puissance et sous l ‘œil de Geneviève Albert, pour la première fois, NOÉMIE DIT OUI, parle d’un oui, qui dit non. Un oui, non pas qui adhère mais qui affronte. A travers son récit en forme de parcours initiatique, la culture du viol, la domination des hommes sur le corps des femmes et la mécanique d’une prostitution montréalaise aux airs d’eldorado, Geneviève Albert les affiche, les confond et les aborde frontalement, à coups de cadres décadrés qui laissent l’invisible et l’indicible se faire entendre alors. Sublimées par photographie veloutée de Léna Mill-Reuillard, chaque plan de NOÉMIE DIT OUI se fait aussi ode à la lumière, une lumière dont la réalisatrice travaille à traquer le moindre vacillement, l’éclat ou l’extinction, la noirceur ou la lueur persistante.

Dans NOÉMIE DIT OUI, Geneviève Albert retrace méticuleusement la généalogie de la violence.

Fraîchement évadée de son centre de jeunesse Noémie retrouve Léa, une ex-pensionnaire reconvertie dans l’escorte. Sur les hauteurs d’un appartement en roof-top qui surplombe Montréal, Noé se met à rêver de liberté et peut-être aussi d’une autre famille, une famille choisie, mais la respiration est de courte durée puisque les garçons d’à peine vingt ans, biturés et en surnombre se mettent à chahuter une poupée gonflable jusqu’à lui infliger les pires sévices. La réalisatrice reste à bonne distance, dans un plan quasi fixe, neutre, seul le visage de Noémie nous parle de l’horreur. Et c’est là la grande force de NOÉMIE DIT OUI. La caméra. Cette caméra qui ne lâche pas le visage de son héroïne mais qui révèle dans des contre-champs habiles en plan large ces hommes, ceux qui vendent, consomment, paient, utilisent les jeunes filles. Des plans qui nous plongent à hauteur de femmes au cœur d’un processus, au fond, si simple. « C’est que du cul » entent-on à plusieurs reprises dans la bouche de ceux qui veulent argent et plaisir. Seulement du cul. Alors La réalisatrice montre les faciès. Et ceux-là, ce ne sont ni des monstres, ni des anges, des hommes, le tout-venant, du père de famille, au trader, des gros, des jeunes, des vieux, des timides ou des don Juan. Chez Geneviève Albert, ces hommes ne sont, ni cachés, ni pointés du doigt, ils sont vus, ils sont vus pour qu’ils se regardent.

Photo du film NOÉMIE DIT OUI
Crédits : Wayna Pitch

Mais avec NOÉMIE DIT OUI, Geneviève Albert ne propose en aucun cas un film misérabiliste, en toile de fond, l’histoire de la famille et de la filiation. Celle qu’on ne choisit pas, celle qu’on croit choisir et finalement celle qui nous protège. Porté par une déjà très grande Kelly Depeault, NOÉMIE DIT OUI, révèle une actrice mais sans conteste une cinéaste. Et si le film s’inscrit dans un projet au féminin avec une équipe technique majoritairement féminine, NOÉMIE DIT OUI est un film éminemment dans l’air du temps qui sous-tend bien plus l’idée d’une sororité salvatrice qu’un féminisme à tout bout de champ. Même s’il manque parfois de nuances dans la construction de ses personnages secondaires et se veut à quelques endroits un peu convenu, NOÉMIE DIT OUI mérite d’être vu, car il est de ces films qui fixe une réalité pour qu’on puisse en faire quelque chose. Le cinéma c’est aussi de la conscience.

Sarah Benzazon

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Titre du film : Noemie dit oui
Réalisation : Geneviève Albert
Scénario : Geneviève Albert
Acteurs principaux : Kelly Depeault, James-Edward Metayer, Emi Chicone
Date de sortie : 26 avril 2023
Durée : 1h56min
2.5
Réussi

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