Le temps passe. Une bonne banalité pour commencer ne fait jamais de mal. Il y a un an, je prenais mes fonctions en tant que rédacteur pour ce blog. Et j’inaugurais cela en déclarant tout mon amour pour les comédies romantiques lors de ma première chronique. Aujourd’hui, pour fêter mon anniversaire, me voilà à la rédaction de la critique d’une romance qui nous parle du temps, de l’éternel recommencement… C’est beau.
Je vous fais grâce de la minute de silence et vous propose d’attaquer directement la critique du nouveau Jim Jarmusch qui nous sert ici une des meilleures romances qui soit. Le réalisateur nous livre en effet une histoire à la puissance universelle. Une portée et une force cosmiques qui s’instillent doucement le long du film afin de prendre encore plus d’ampleur sur la fin. Mais nous reviendrons sur la qualité de la réalisation plus tard. Mentionnons ici plutôt la beauté ravageuse et séductrice de cette histoire qui, derrière des dorures tape à l’œil type vampires et bande son, prend le spectateur aux tripes et le sonne par la férocité franche et radicale du propos. ONLY LOVERS LEFT ALIVE, le titre est parfait : dernier rempart et seule chose stable et sûre en ce monde, l’amour.
Cette histoire puise sa force dans la nature intrinsèque de ses personnages. Vampires aux âges impensables, ils ont tout vu, tout vécu. Ils connaissent tout du monde. Ils l’ont vu se bâtir et tomber à maintes reprises. Et face à cet éternel cycle, la seule chose tangible est l’amour réciproque qu’ils se portent. Tout vacille, sauf leurs sentiments. La portée intemporelle du propos est alors mise en exergue par la survie face au temps de l’histoire des protagonistes. Face aux nombreux évènements (qui pour certains sont d’ailleurs rappelés lors de quelques conversations) qui ont pu chambouler l’humanité, l’amour porté à l’autre par chacun est la seule et unique chose encore debout et toujours aussi semblablement forte et vraie.
Si le film acquière cette puissance liée à la nature de ses personnages, c’est évidemment grâce à la qualité de son casting : John Hurt, Tom Hiddleston, Tilda Swinton… Et on félicite bien entendu cette dernière pour sa prestation. Enivrante, fascinante, énigmatique, elle campe avec brio une Ève qui nous régale tout le long du film. Elle dégage une antithétique conviviale froideur. Par sa distance et sa singularité, elle attire. Mais sa prestation n’est pas la seule qui vaille le déplacement. Le casting entier est effectivement très bon et se prête au jeu sans problème. Les scènes où on les retrouve tous affublés de lunettes de soleil dans un bar sont justes irrésistibles. Et que dire de Jeffrey Wright qui apparait lors de courtes séquences burlesques ?
Bien que l’aspect romantique soit l’aspect principal, le côté humoristique n’est effectivement pas en reste. Le réalisateur a su distiller un humour polymorphe pour toujours mieux desservir son propos ou même pour rire tout simplement. On baignera par exemple alors dans un humour raffiné et fin lors de discussions référencées à l’Histoire afin d’étayer la thèse de l’auteur (Shakespeare, Chopin, Eddie Cochran…), ou, parfois, on plongera dans un humour plus direct et franc n’ayant d’autre but que de se suffire à lui-même (relation entre Ava et Adam, relation avec Ian…).
Par la justesse de son propos et la multitude des thèmes qu’il aborde frontalement et efficacement, le film séduit.
L’alternance des scènes comiques et romantiques repose sur un équilibre parfait servi par une réalisation à la fois élégante et surprenante. Jim Jarmusch nous sert en effet sur un plateau une leçon de mise en scène pure et simple. Le talent du réalisateur est absolument indéniable. S’appuyant sur une photo sublime et des décors raffinés, il arrive à nous plonger dans de multiples ambiances tout aussi bien traitées les unes que les autres : magnifier Tanger, créer un microcosme identifiable dans un appartement, tout y est. Le film avance sur un rythme extrêmement personnel et nonchalant qui est unique, fascinant et étrange à la fois. Il prend son temps et est capable de créer des distorsions temporelles inconscientes qui viennent alors toujours un peu plus appuyer le propos. Le film navigue au rythme de sa bande son, à la fois mélancolique et rock. On se ballade au gré d’un rythme dissonant qui, pourtant, nous fait nous sentir bien et à l’aise dans cet environnement.
Très particulièrement rythmé, le film surprend aussi par le message qu’il porte et qu’il ne réfute jamais. On est clairement face à un film qui veut nous transmettre une réalité et qui ne s’en cache pas : la brièveté de l’existence, le poids du vide, la bêtise humaine, la société… Tout y passe et le film devient alors une réflexion philosophique pour le spectateur. Pourtant abordés finement, ces thèmes nous hantent alors au détour de quelques répliques bien placées servies par une mise en scène impeccable. Jim Jarmusch se paye même le luxe de rire de ce qu’il dénonce (le manque d’évolution, le recommencement continuel) lors d’une scène finale ahurissante conclue par une réplique hallucinante.
Romance dramatique inhabituelle, ONLY LOVERS LEFT ALIVE nous propose un film qui sort de l’ordinaire. Par la justesse de son propos et la multitude des thèmes qu’il aborde frontalement et efficacement, il séduit. Par une réalisation hors norme mais pouvant s’avérer élitiste, il repousse. Il n’en reste pas moins un très bon film à l’ampleur considérable et à la personnalité immense.
Poeuf