PARLE AVEC ELLE s’inscrit dans la lignée du précédent Tout Sur Ma Mère : le film est encore une fois, la somme du meilleur de son cinéma.
Commençons par la technique, puisqu’elle est entièrement au service de l’émotion.
La film est, à nouveau, une adéquation entre mise-en-scène, image, musique, scénario, direction d’acteurs :
la narration entremêle les destinées des différents protagonistes – le script n’hésitant pas à éclater l’action, en espace et en temps. Des flashbacks, à forte résonances émotionnelles sur le présent, aux ellipses masquant sentiments et événements décisifs… Le sens de l’écriture d’ Almodóvar prend le temps de brosser des personnages hautement empathiques, puis installe le mélodrame au centre de leurs destins croisés. Un scénario comme d’habitude, tortueux, malin et réussi.
Quant à la réalisation, Almodóvar filme une histoire d’Hommes… Non pas comme dans La Loi Du Désir, finalement très classique malgré son point de vue exclusivement masculin – non. Il filme des Hommes qui aiment des Femmes.
On pourrait par conséquent s’attendre à une mise en scène des corps, à du sexe, surtout qu’il s’agit d’un point de vue masculin sur deux femmes magnifiques – l’une par son corps, l’autre, par son charisme… Et non !
PARLE AVEC ELLE capte d’abord la sensibilité, bien au delà de toute représentation de la sensualité !
Une évolution, pour ce réalisateur habitué aux scènes provocatrices, au voyeurisme ludique. Tout Sur Ma Mère amorçait ce virage sensible ; PARLE AVEC ELLE dépasse un nouveau cap dans la représentation de la sensibilité par l’image, et la mise-en-scène.
Entre les scènes importantes, Almodóvar filme l’intervention importante de l’art de la culture, sur les émotions des personnages ; comment leurs actions sont influencés par la force d’une oeuvre. Une mise en abîme supplémentaire qui rajoute au caractère viscéral du film : ne sommes nous pas, nous aussi, touchés par ce film ? Que serions nous capables de faire, par amour ?
Enfin, les interprètes (masculins, puisque PARLE AVEC ELLE est, encore une fois, une véritable histoire de bonhommes) sont PAR-FAITS. Javier Cámara et Dario Grandinetti, sans composition grandiloquente nous immergent dans l’histoire de leurs personnages.
En ce qui concerne la nature même du film, PARLE AVEC ELLE peut se voir comme une auto-citation intelligente : un miroir des obsessions et thèmes fétiches du cinéaste, ainsi qu’un renouvellement, dans le décalage.
Le plus évident : Almodóvar raconte une histoire d’ Hommes et non plus, de Femmes. Celles-ci, à l’image des hommes de Femmes au Bord de la Crise de Nerfs ou de La Fleur de mon Secret, sont omniprésentes mais paradoxalement absentes. Elles ne sont plus que des corps, des présences ; leurs émotions sont présentées, mais en amont ou en aval de l’histoire, comme des phares, canalisant les sentiments masculins. Une inversion passionnante, dont le résultat, TRÈS surprenant, est que la sensibilité prend le pas sur la sensualité !
”Délicatesse et sensibilité se rajoutent à la provocation et à l’ampleur scénaristique, sans compter l’aboutissement formel… Tout cela, au service de l’émotion. Bravo.”
PARLE AVEC ELLE est un reflet sensible de Tout Sur Ma Mère : jusqu’où est on capable d’aller, par amour…
Almodóvar construit ainsi deux magnifiques personnages masculins avec lesquels le spectateur effectue un véritable transfert. Leurs sentiments sont les nôtres, car leur perception des femmes qu’ils aiment est remarquablement retranscrite…
La délicatesse, par exemple, avec laquelle Almodóvar filme Benigno s’occupant d’ Alicia… Sa manière de capter l’émotion dans les larmes de Marco, au comportement paradoxalement minimaliste et monolithique… sans compter leur amitié forte indépendamment de leurs différences de caractère. Almodóvar, assez perversement, génère une empathie très forte envers ces personnages, de manière à empêcher tout jugement sur leurs actions. La grande force du film est, du coup, d’amener dans le récit des événements moralement répréhensibles… présentés via une logique émotionnelle implacable et un naturel déstabilisant, et donc parfaitement dérangeants et provocateurs. Almodóvar nous manipule avec intelligence pour provoquer un sentiment ambivalent mais très puissant. Du grand cinéma !
dans PARLE AVEC ELLE, délicatesse et sensibilité s’associent à la provocation, à l’ampleur scénaristique et à l’aboutissement formel… Almodóvar, en metteur en scène pervers, fait de nous spectateurs, les complices d’un hold-up émotionnel et moral et réalise un vrai « mélodrame de cinéma » capable de bousculer le spectateur…
En bref, un nouveau chef d’œuvre.
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