Plus de trente ans après sa sortie, le premier volet de la saga DIE HARD occupe une place de choix au panthéon du cinéma d’action. Symbole de la pop-culture, le film a propulsé la carrière de Bruce Willis vers les sphères qu’on connaît. Plus qu’un véritable glossaire du survival, le film surprend encore aujourd’hui par sa capacité à faire dialoguer les genres, au travers d’un récit minutieusement élaboré.
Lorsque DIE HARD est cité dans les sitcoms contemporaines, de Friends à Brooklyn 99, c’est avant tout pour sa frénésie virtuose et sa démesure dans le déploiement de l’action qui en font l’épicentre des blockbusters des dix dernières années. Le scénario tient en quelques lignes et revendique sa dimension épique : un homme doit empêcher une douzaine de terroristes de s’octroyer un joli butin, enfoui au sein d’un gratte-ciel. Le héros s’engage ainsi dans une quête a priori impossible et surmonte d’improbables péripéties, animé par un délire d’invincibilité qui l’agitera jusqu’au dénouement, heureux, du film. A première vue, rien d’étonnant.
Pourtant, la tendance à percevoir DIE HARD sous ce seul angle ne permet pas de cerner toute la densité sous-jacente d’un scénario méticuleux. Jusqu’à l’arrivée de Hans Gruber, rien ne laisse présager la nuit mouvementée que vont passer les employés du Nakatomi Plaza. Au contraire : la situation initiale du film est celle d’une comédie classique produite en période de Noël. John, policier endurci, rentre chez lui pour passer les fêtes avec sa famille. Sa femme, Holly, doute de l’avenir de leur couple, et l’un de ses collègues de travail, Harry, semble bien décider à profiter de la situation. Le réveillon de Noël apparaît de prime abord comme un prétexte pour décliner la quête identitaire d’Holly, et le public s’attend à des retrouvailles amoureuses autour du sapin et des enfants.
Fort heureusement, il n’en sera rien puisqu’à cette chronique saisonnière se superpose l’intervention d’une troupe de terroristes prête à réquisitionner le plus grand immeuble de la ville. Pourtant, si John Maclane bascule comme le spectateur d’un récit à l’autre, il est plaisant de voir que le réalisateur poursuit ce parallèle entre deux tonalités. Alors que John cherche son fil d’Ariane au sein d’un labyrinthe de plus en plus redoutable, les protagonistes à l’extérieur du Nakatomi Plaza sont coincés dans une narration parallèle, paisiblement bercés par la sérénade de chants de Noël. C’est notamment le cas du sergent Al Powell qui fait ses emplettes pour le 25 alors que John vient d’éliminer deux terroristes. Le présentateur s’apprêtant à couvrir l’événement est lui aussi en train de planifier un repas dans un restaurant huppé lorsqu’il est projeté subitement dans l’intensité de l’action, imposée par Maclane et Grubber. Au-delà des facéties imposées par le film de genre qu’il maîtrise d’une main de maître, McTiernan laisse entendre un discours parodique réjouissant. Les figures pacifiques s’apprêtant à déposer leurs cadeaux au pied du sapin vont inévitablement chuter vers l’autre versant de la narration, avec plus ou moins de succès. Au travers de Maclane, c’est le metteur en scène qui leur assène avec sarcasme qu’ils ont bel et bien un train de retard.
Le plaisir coupable éprouvé en suivant John dans ses acrobaties est certain, et il serait hypocrite de ne pas en profiter. Outre la caricature, le scénario alterne les montées de tension et les diminutions momentanées des tirs, laissant le soin au personnage d’exprimer des sentiments forts. C’est ce qui rend la relation entre MacLane et Powell passionnante. Sans artifice et face à une mort quasi-certaine, Maclane met de côté son mutisme et se livre à son interlocuteur invisible, au travers d’un talkie-walkie. C’est surtout pour le lieutenant que cet échange sera constructif : le tir final en direction du terroriste est salvateur dès lors qu’il efface l’aveu du meurtre d’un enfant. Le contre-champ en direction de John est aussi l’allégorie de cette libération. Alors que la comédie aurait pu être le mirage d’un bonheur tronqué, c’est en participant au récit imposé par John (au travers d’un macchabée jeté sur sa voiture) que Powell s’affranchit du souvenir traumatique.
Le Noël de McTiernan devient donc un miroir difforme de cette saison de l’année chère au cinéma. Son père Noël est un cadavre relégué à un ascenseur ; son prophète avance à la lumière d’un briquet dans un tunnel, fuyant les tirs de mitraillettes. Car oui, c’est bien Bruce Willis qui porte le film sur ses épaules. De son éloquence assassine à sa façon d’éliminer les opposants au sein du labyrinthe, il est le premier héros moderne du genre. Son affrontement introspectif avec Hans ne trouve d’équivalent que dans Speed (1994) de Jan de Bont (directeur de la photographie sur DIE HARD), et la lutte unifiant Keanu Reeves et Dennis Hopper. Finalement, rien de plus réjouissant que ce coup de poing final adressé en direction des journalistes : avec ce geste, Holly Maclane anéantit définitivement le simulacre de la comédie saisonnière et c’est ironiquement que le film se termine au rythme de Let it snow. « Yippee Ki Yay »
Emeric