Toute de sang barbouillée sur l’affiche du film, l’image de l’héroïne de Piggy fait froid dans le dos. Conséquence indirecte de la cruauté humaine. Issu du court-métrage Cerdita, Piggy est une sorte de film exutoire pour toutes les personnes harcelées. Mais là où les codes moraux de « revenge movie » sont plutôt caricaturaux, la morale de ce film se veut éminemment complexe et plonge son spectateur dans une remise en question constante. Oui, Piggy est un film de genre qui fait réfléchir.
Sara est une jeune femme complexée : elle est obèse. À la caisse de la boucherie familiale, elle fait ses devoirs, casque sur les oreilles pour échapper aux quolibets incessants des jeunes de son quartier. Souhaitant éviter les regards inquisiteurs des habitants du village, elle se rend à la piscine aux heures les plus chaudes de la journée. La piscine, lieu d’exhibition cauchemar pour les adolescentes, va être le théâtre d’une scène d’une abominable cruauté puisque Sara échappe de peu à la noyade, orchestrée par trois de ses fausses amies. Tel le Christ sur son chemin de croix, la “passion” de Sara ne s’arrête pas là. Humiliée, à moitié nue, elle se fait brutaliser par trois jeunes garçons sur le chemin du retour. Mais les pêcheurs vont devoir expier leurs fautes dans le sang et la violence.
Le premier cercle de l’Enfer est franchi au moment où Sara tombe sur l’individu, qui a assisté à sa séance de lynchage, se charge sans l’avoir demandé d’être le bras vengeur de la jeune femme. Dilemme cornélien pour la jeune femme : doit-elle le dénoncer ou laisser faire ? Scène d’autant plus perturbante qu’elle prend en otage le spectateur, le poussant à réviser son sens moral. Le binaire « revenge movie » va désormais prendre un tournant aussi radical qu’ambigu. Sur fond de boiteuse enquête policière, s’ensuit une déconcertante love story entre Sara et le tueur, romance revisitée façon La Belle et la Bête qui n’aboutira jamais vraiment. Mais renvoyée sans relâche à son apparence par les jeunes du village, voire même par sa propre famille, Sara finit par sombrer dans l’animalité tant voulue par la société, dans un passage à l’intensité dramatique saisissante, et qui va, d’une certaine façon, la libérer.
Metteuse en scène de formation, la mise en scène de Carlota Martinez-Pereda se révèle être d’une intelligence diabolique. Son récit, parsemé d’une foule de détails dans ces compositions d’image, distille peu à peu un climat oppressant de thriller-slasher dans la moiteur d’un été étouffant. Le personnage mutique du tueur prend une épaisseur impressionnante grâce aux plans métonymiques chargés d’une symbolique puissante : sa tête dépassant de l’eau, son torse ou son utilitaire en arrière plan, ses pieds en gros plan. À ce sujet, la personnalité du meurtrier se veut plus ambivalente qu’on ne le pense : s’agit-il d’un dangereux psychopathe prêt à tout ou bien d’un simplet, très maladroit, qui ne supporte pas qu’on fasse de mal aux femmes ? Là encore, la réalisatrice nous laisse juge.
La caméra intrusive n’épargne rien à la jeune femme, la réifie en permanence (comme cette atroce scène dans les abattoirs, tout droit sortie de l’univers glauque de Massacre à la tronçonneuse), la scrute sous tous les angles de vue qui mettent sous projecteur ce corps objet de moqueries. À plus forte raison choquant qu’il est féminin : le torse nu du père (lui aussi en surpoids) de Sara est exposé sans poser problème à quiconque. Le corps féminin se doit de respecter les canons de beauté voulus par la société sous peine d’opprobre. Mais ce même corps parvient à s’affranchir de sa condition, magnifié d’une part par la distance incroyablement juste voulue par la caméra et d’autre part, par la prestation cosmique de la méconnue Laura Galán, n’hésitant pas à tout dévoiler de son physique et capable de retranscrire tous ses bouleversements intérieurs avec une sensibilité à fleur de peau.
Impressionnant de maîtrise et d’intelligence, ce premier film sur les diktats de l’apparence à la symbolique omniprésente fonctionne tel un lent poison qui pousse le spectateur à se questionner sur l’horreur qui se déroule sous ses yeux. Avec PIGGY, Carlota Martinez-Pereda va faire partie des noms qui comptent dans le cinéma de genre.
Guillaume Chameyrat
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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• Réalisation : Carlota Pereda
• Scénario : Carlota Pereda
• Acteurs principaux : Laura Galán, Richard Holmes (II), Carmen Machi
• Date de sortie : 2 novembre 2022
• Durée : 1h39min