Sofia Kappel dans PLEASURE de Ninja Thyberg
Crédits : Plattform Produktion

PLEASURE ose une plongée vertigineuse dans l’industrie du porno – Critique

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Premier film de la réalisatrice suédoise Ninja Thyberg, PLEASURE expose sur grand écran l’industrie pornographique, jamais tout noir ou tout blanc, mais toujours en nuances.

En 2013, Ninja Thyberg s’était déjà plongée dans l’univers du porno avec un court-métrage aussi intitulé PLEASURE. Si ce dernier avait tout de même atteint les marches à Cannes, la réalisatrice a rapidement manifesté son envie de créer un format plus long pour pouvoir explorer plus audacieusement les thèmes à l’intersection du féminisme et du travail du sexe. Pendant quatre ans, de 2014 à 2018, la cinéaste a ainsi vécu entre Stockholm et Los Angeles. Dans la Cité des Anges, Ninja s’est immergée dans l’industrie du divertissement pour adultes afin d’en montrer les personnes qui se cachent derrière les stéréotypes. À travers PLEASURE, le long-métrage, son ambition n’est pas seulement d’exposer les dessous sordides d’une industrie souvent décriée mais au contraire d’en montrer les déséquilibres de pouvoir qui permettent les abus, sans qu’ils ne définissent forcément cette forme d’art.

Tout en nuances, PLEASURE s’appuie sur le personnage de Bella Cherry (Sofia Kappel), une jeune suédoise de 20 ans qui arrive Los Angeles avec l’ambition de devenir la prochaine star du X. Cette héroïne, l’actrice et la réalisatrice l’ont écrite à deux en passant du temps sur les plateaux de tournage de films pornographiques. Sofia Kappel, qui signe ici sa première apparition à l’écran, est absolument époustouflante dans son interprétation de la jeune ingénue. Parfois naïve, Bella Cherry n’en est pas moins ambitieuse et elle va donc rapidement vouloir intégrer le clan des Spiegler Girls, « l’élite du porno », et ce, à tout prix.

Photo du film PLEASURE
Crédits : Plattform Produktion

À travers Bella, les spectateurs et spectatrices découvrent l’univers des Spiegler Girls, ces actrices dirigées par Mark Spiegler, un agent qui incarne d’ailleurs son propre rôle dans le film. Pour pouvoir intégrer ce cercle restreint, la jeune suédoise se rend rapidement compte qu’elle devra se dépasser toutes ses limites. Dans une scène violente, Bella accepte de se faire brutaliser par deux partenaires masculins pour une performance hardcore qui doit lui ouvrir les portes du clan Spiegler. Elle semble souffrir mais on ne sait jamais ce qui est de la fiction ou ce qui ne l’est pas. Dès qu’elle demande une pause, ses deux partenaires redeviennent soudainement bienveillants même si le malaise reste présent. Et lorsque Bella décide d’arrêter le tournage, l’ensemble de l’équipe s’énerve contre elle. Comme le souligne Konbini, « cette scène encapsule toute l’ambivalence de cette industrie ».

PLEASURE réussit ainsi à montrer des séquences très professionnelles où le consentement et le respect semblent indispensables puis la réalisatrice retourne soudainement les choses pour montrer la pression d’être une femme seule sur un tournage difficile. Si les discussions sur le consentement sont fréquentes et que certains tournages imposent même aux actrices de donner leur consentement par papier, cela n’est pas le cas sur tous les plateaux. Aussi, bien qu’il soit précisé aux actrices qu’elles peuvent toujours changer d’avis, cela n’est pas aussi simple. Si ces jeunes femmes disent « non« , que deviendra leur carrière ? Comment réagira leur agent ? Si les acteurs et actrices ont toujours le pouvoir de faire des choix, cela ne veut pas dire que chaque « oui » est dit avec enthousiasme.

Photo du film PLEASURE
Crédits : Plattform Produktion

En suivant l’ascension professionnelle de Bella Cherry, le public se rend rapidement compte que la popularité et la carrière des actrices dépendent de la brutalité de leurs scènes. Dès lors, comment pourraient-elles éviter une surenchère permanente dans la violence ? D’un premier tournage brutal à une scène de double pénétration anale, PLEASURE semble donner la réponse à cette question : la surenchère est inévitable pour que Bella Cherry puisse faire carrière. Aussi, si le long-métrage est dans l’ensemble moins explicite visuellement que ce à quoi on aurait pu s’y attendre, certaines scènes n’en sont pas moins difficiles à regarder. Dans ces dernières, Ninja Thyberg réussit brillamment à conserver le public du côté de Bella : il est toujours clair que les scènes sont abordées depuis le regard de l’actrice. S’appuyant sur un feminist gaze et en montrant les tournages du point de vue de Bella, Ninja réussit à faire prendre conscience au public du pouvoir du regard (gaze) et de la caméra.

Si PLEASURE ne réussit pas à faire changer la perception que le public peut avoir de l’industrie pornographique, il l’encourage néanmoins à se poser des questions à son sujet. Comme l’évoquent les colocataires de Bella, le porno est un travail comme un autre. Aussi, « peu importante ce que tu fais, tu auras toujours besoin d’une stratégie pour survivre dans une société patriarcale : que tu sois caissière, ou bien une star du porno. Dans tous les cas, il faut s’adapter » (interview de Sofia Kappel). Assez rapidement, Bella se sexualise et s’objective elle-même, ce qui lui permet d’enlever ce pouvoir aux hommes. Néanmoins, elle finit par adopter les codes traditionnellement associés au genre masculin et développe les mêmes mécanismes de domination pour protéger un système qui lui permet de gravir les échelons. Cela se ressent dans un tournage qu’elle partage avec Joy (Revika Anne Reustle) mais aussi lors de sa scène avec Ava (Evelyn Claire) dans laquelle elle abuse de son pouvoir en portant un strap-on (la violence étant alors associée aux organes génitaux masculins).

Photo du film PLEASURE
Crédits : Plattform Produktion

Jamais entièrement noir ou blanc, PLEASURE ne se réduit finalement pas à son propos sur l’industrie pornographique. Reflet d’une société patriarcale, le long-métrage vient rappeler que ceux sont les hommes qui dictent les règles de cet univers : la majorité des producteurs sont des hommes, la plupart des studios sont dirigés par des hommes, les agents sont également souvent des hommes… Dans une industrie corrompue par le sexisme et le racisme, Ninja Thyberg explore des thèmes profondément humains comme l’ambition, l’amitié, les traumatismes et la quête de pouvoir. Un pouvoir mais à quel prix ?

Sarah Cerange

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Titre original : Pleasure
Réalisation : Ninja Thyberg
Acteurs : Sofia Kappel, Zelda Morrisonn, Tee Reel, Evelyn Claire, Chris Cock
Date de sortie : 1 février 2021
Durée : 108 minutes
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