

Un homme traverse la campagne américaine sur son vélo à un rythme soutenu, comme s’il se rendait quelque part. Dans ses écouteurs, du métal l’empêche d’entendre la voiture de police derrière lui qui lui demande de s’arrêter. Il continue de pédaler, une détermination perceptible dans son regard bleu perçant. Le gyrophare tourne toujours, la voiture essaie de le dépasser. Le suspense monte, le véhicule s’agite de plus en plus… puis décide tout simplement de le percuter.
Pas besoin de taper fort pour taper juste
Alors que le cinéma d’action américain, notamment grand public, a trouvé son nouveau fer de lance dans le film stylisé et ultra violent, la surprise est d’autant plus grande en découvrant REBEL RIDGE, thriller d’action tendu et maîtrisé qui s’annonçait capable de rejoindre la longue liste d’actionners gonflés à bloc prêts à scotcher l’amateur de mandales bien distribuées. C’était bien mal connaître le réalisateur derrière notre trouvaille du jour, qui s’était pourtant fait spécialiste de drames sombres mais jamais gratuits. L’auteur de ces lignes doit confesser n’avoir vu aucun des précédents films de Jérémy Saulnier, mais il connaissait la réputation de l’américain. Quelle ne fut donc pas sa surprise en lançant son cinquième long-métrage une nuit d’insomnie, en assistant avec régal à un récit détournant les attentes.
En effet, Saulnier, surtout connu de la critique qui l’apprécie pour sa capacité à livrer des thrillers qui prennent aux tripes, avait dernièrement présenté Aucun homme ni Dieu (Hold the Dark, 2018), récit crépusculaire tendance Wind River (Taylor Sheridan, 2017) au fin fond de l’Alaska emmené par Jeffrey Wright dont la noirceur et le rythme lent avait rebuté les spectateurs. Opérant un virage intéressant, le réalisateur et unique scénariste vient ici s’aventurer sur les terres de ce qui pourrait apparaître comme un énième film d’action remplissant le catalogue de la firme, demeurant probablement encore la plateforme contenant le plus de bourrineries bas du front même pas capable de satisfaire l’amateur prêt à faire des concessions.
Réjouissons-nous, REBEL RIDGE surprend et s’élève sans mal au milieu de la concurrence sans même avoir besoin de taper aussi fort que le récent Civil War d’Alex Garland par exemple (qui va d’ailleurs remettre ça avec Warfare). Grâce à un scénario efficace taillé pour ce type de programme mais pas sans densité, Saulnier vient distribuer des mandales mais aussi quelques piques bien sentis à l’Amérique en suivant un ancien Marine venu sauver la vie de son cousin emprisonné mais débarquant dans une petite ville qu’il découvre corrompue.
Rebel(le) mais surtout malin
On se croirait dans Jack Reacher, mais peut-être même en mieux. REBEL RIDGE fait partie de ces récits avec option homme mystérieux et solitaire qui débarque et vient redresser les torts. Sauf que Saulnier parvient sans mal à captiver et se démarquer, en comptant surtout sur son script appliqué, son acteur principal (Aaron Pierre, remarquable) et sa mise en scène précise. Le film ne nous lâche pas, déroulant ses situations prenantes remarquablement conçues et son montage dense jamais épileptique, et réjouit quand on comprend qu’on s’est assis devant un thriller s’appuyant beaucoup sur le suspense. Car comme on l’a dit, le réalisateur a cette fois choisi une autre approche de la violence. Terry Richmond, montagne de muscles aussi puissante qu’intelligente et calme, rappelle alors les meilleurs protagonistes du genre et se fait sans mal une place au milieu des John Wick, Jason Bourne ou encore Jack Reacher.
Car là où la plupart n’ont aucun scrupule à dézinguer à tout va, le personnage interprété par Aaron Pierre (après que John Boyega ait quitté le projet pendant le tournage) retient l’attention lorsqu’on comprend qu’il essaie toujours d’éviter la violence et de maîtriser et neutraliser sans tuer. Alors que le cinéma d’action grand public ne jure presque plus que par la stylisation de l’ultra violence, Saulnier et son équipe viennent rappeler qu’une autre forme d’action est possible, jusque dans sa confrontation finale, voyant Richmond affronter une douzaine de flics et maîtriser à tour de rôle une bande de salopards (portés par les impeccables Don Johnson et Emory Cohen, parfaitement insupportables) qui ne se gênent pourtant évidemment pas pour essayer de trouer de plomb celui qu’il ne s’attendait pas à voir débarquer.
Le plaisir final est double : l’amateur de castagne en aura pour son temps de visionnage, REBEL RIDGE sachant orchestrer un spectacle prenant et musclé sans aucune difficulté, quand le spectateur blasé par l’indéniable déclin du divertissement d’action grand public retrouvera une bouffée d’air frais réalisée avec maîtrise par un cinéaste solide. Le succès du film, qui s’est vite retrouvé en haut de la liste des programmes les plus visionnés de Netflix dès sa sortie, contribuera en plus sûrement à faire davantage connaître un réalisateur jusque-là surtout connu des sphères cinéphiles. Que ce genre de réussite soit présente et portée par la plateforme nous ayant le plus infligé de bourrineries stupides comme pas deux rend le plaisir encore plus grand.
Simon BEAUCHAMPS