Saint Laurent
© 2014 Mandarin Cinéma – Europacorp – Orange Studio – Arte France Cinéma – Scope Pictures / Carole Bethuel

SAINT LAURENT, chef-d’œuvre trop personnel – Critique

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Deux films consacrés à la personnalité de Saint Laurent cette année. Là où le film de Jalil Lespert était d’un classicisme confondant, celui de Bertrand Bonello marque clairement une liberté artistique et un excès de personnalité de la part du réalisateur. Le film retrace de manière non linéaire le parcours de Yves Saint Laurent, entre 1962 et 1976.

Bertrand Bonello maîtrise sa mise en scène. Il s’agit pour lui, dans SAINT LAURENT comme c’était déjà le cas dans le fabuleux L’APOLLONIDE – SOUVENIRS DE LA MAISON CLOSE, d’une observation de l’expression corporelle de personnages évoluant dans un milieu au moeurs et fonctionnement complexes.

Donc ce SAINT LAURENT semblait le sujet idéal, tant son parcours et sa personnalité épousent le point de vue du cinéaste.

Je suis convaincu que le spectateur doit toujours se faire son propre avis du film et que le rôle du critique n’est pas d’en raconter la trame, ni même donner son avis, mais plutôt de fournir des indices au spectateur, lui permettre d’appréhender, comprendre, et ensuite juger.
Une méthode, qui fonctionne en général assez bien, consiste à décrire un élément précis du film, et à en étirer le sens pour pouvoir décrypter le film.
Pour SAINT LAURENT, plus qu’une bande-annonce ou une scène du film, c’est la magnifique affiche du film qui me semble le mieux expliquer le film de Bertrand Bonello.

Affiche du film SAINT LAURENT
Affiche du film SAINT LAURENT

Donc cette affiche nous montre Gaspard Ulliel, grimé en Yves Saint Laurent.
La pose qu’adopte Ulliel indique beaucoup de choses. Ce ne sont pas les mots qui comptent chez lui, mais bien les attitudes. Saint Laurent, d’ailleurs, est homme de peu de mots. Le scénario ne se focalise d’ailleurs jamais sur les personnages volubiles, comme Loulou, ou Pierre Bergé. Ces personnages ne servent qu’à donner de la profondeur à l’univers par ailleurs décrit avec précision, de la haute couture.
Ainsi, il ne faut pas non plus chercher un quelconque caractère sulfureux dans l’illustration. Pas vraiment de scènes choc dans le film comme cela a pu être suggéré. L’attitude des personnages indique de manière bien plus précise ce qu’il viennent de faire, ce qu’il s’apprêtent à faire.
Une originale façon d’exploiter le talent de ses acteurs.

Sur l’affiche, Saint Laurent est éclairé à droite et à gauche, mais le centre de son visage reste très sombre. Cela indique, cumulé à la sobriété avec laquelle est écrit le titre du film, qu’il s’agira d’observer l’évolution de ce personnage, constamment sous les feux de la rampe de par son statut de maître de la couture, mais qui gardera une part consciente de son statut de maître, de son pouvoir sur les hommes, sur les femmes. Un personnage vampire qui cherche à aspirer le bonheur des autres pour se construire. C’est ce qu’indique ce rictus démoniaque, associé à sa pose ultra distinguée.
L’éclairage particulier marque un parti pris esthétique ; non pas que le film soit sombre. Il faut plutôt y voir que Yves Saint Laurent est dépendant de son humeur générale, sombre car constamment en manque. D’affection, de reconnaissance, ou de défi, ou de fournisseur d’inspiration, manque purement physique ici.
Cela en fait un personnage à deux vies, une impressionnante, le jour, ou il est temps de d’accomplir, de créer, et une nocturne, ou il s’agit d’aspirer tout ce qui lui permet d’exister.

Le travail du réalisateur et donc là ou s’exprime son talent, c’est lorsqu’il s’agit de raccorder une vision créative à tous les éléments techniques de son film, de la direction d’acteurs au cadrage en passant par la photographie, ou la bande son. Bertrand Bonello excelle de ce coté. La photo du film est évidemment raccord, à la fois naturaliste, quand il s’agit d’observer les sessions de travail de Saint Laurent et de son entourage, les négociations diverses. Elle change radicalement lorsque l’on embrasse le monde de la nuit. Les scènes nocturnes ont cela en commun : une vraie recherche esthétique, un sens poussé du cadrage, des travellings lents et hypnotiques sur ces mouvements de corps…

Les autres protagonistes du film semblent tous être des proies. Car Saint Laurent, personnage entre vautour et araignée (comme le suggère encore une fois, cette géniale affiche), observe.
Sa personnalité trouble indique que ce ne sont pas ses plus proches, Pierre Bergé (Jérémie Rénier) ou Loulou (Léa Seydoux) qui sont objets de ses désirs. Ceux ci sont complètement désexualisés, à l’inverse de Jacques de Bascher (Louis Garrel), amant dominateur indomptable ou Betty Catroux (Aymeline Valade), double physique féminin  du couturier.
Leur rencontre avec Yves Saint Laurent est d’ailleurs l’objet de scènes particulièrement envoûtantes, à la fois dans l’observation les mouvements et attitudes des corps, puis dans la façon dont Bonello forme un espace totalement clos ou les personnages sont comme aimantés les uns par les autres.
Cela donne lieu à moult scènes magnifiques, de séduction, ou simplement d’observation.

Un film d’une grande richesse artistique, mais dont le rythme n’épouse pas la maîtrise et la liberté formelle.

Niveau mise en scène, on assiste donc à du grandiose.
Par contre, pour ce qui est du rythme du film, ce travail de captation des corps n’est pas du tout accompagné par la narration.
Celle ci propose d’observer via une structure narrative non linéaire Saint Laurent dans une période où tous les courants artistiques sont dans une phase créatrice intense (1962 – 1976), à laquelle Saint Laurent se confronte autant qu’il y participe, comme en témoigne l’excellente bande son du film, ou les interactions indirectes entre Saint Laurent et d’autres artistes comme Warhol…
Sauf que Bonello, lui, met son scénario, préfère étire les moments ou il explore l’âme de son sujet, une piste beaucoup plus intérieure. Il adopte un point de vue presque musical, dans le sens ou il est sensoriel et envoûtant.
Autant son film propose une liberté formelle et constitue une proposition de cinéma vraiment fascinante, autant l’on s’y ennuie ferme.
Bonello choisit de morceler son film entre les moments purement naturalistes, et les moments où Saint Laurent s’abandonne au vampirisme sensuel.
Niveau rythme, cela constitue une rupture trop violente entre un état quasi hypnotique et une précision documentaire. Surtout lorsqu’aux deux tiers, le film adopte une narration plutôt en forme de boucle qui répète plusieurs scènes différentes dans le fond mais similaires dans leur sensibilité. Une seconde partie qui vise plus l’hypnose, donc en soi intéressante, mais qui également enterrine la distance posée d’emblée avec ce personnage décidément singulier.

SAINT LAURENT de Bertrand Bonello, est donc un film passionnant qui arrive réellement à capter quelque chose d’intime dans la façon dont ce personnage emblématique d’une époque était intérieurement en proie à une sécheresse que seuls la drogue et la sensualité corrompue des autres pouvaient éponger. Seulement, en termes de cinéma, cette proposition se révèle bien trop forte et influencée par son auteur pour permettre l’adhésion du spectateur.
Un chef-d’œuvre sans doute trop personnel, en somme.

Mise en Scène
Scénario / Narration / Rythme
Casting
Photographie
Musique
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