Photo du film Simón de la montaña
Crédits : Arizona Distribution, 20/20

SIMÓN DE LA MONTAÑA, en quête d’identité(s) – Critique

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2.5

Premier long métrage du réalisateur argentin Federico Luis, SIMÓN DE LA MONTAÑA est un film initiatique qui explore les questions d’identité et d’appartenance. Le protagoniste, Simón, a 21 ans et vit dans un village de la Cordillère des Andes. Perdu dans un quotidien sans relief, il prend un jour la décision inattendue de s’intégrer à une classe pour jeunes en situation de handicap cognitif. Lauréat du Grand Prix de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes en mai 2024.

Le trouble comme point de départ

Luis opte pour une entrée en matière in medias res, à travers une scène d’introduction dont la confusion et l’ambiguïté installent un trouble immédiat : Simón s’installe parmi les élèves, observe, imite, se laisse absorber par ce groupe qui, dès les premiers instants, l’accueille sans poser de questions. Rien ne nous est expliqué. La caméra capte les regards, les gestes, les silences, laissant le spectateur dans un état d’incertitude à l’image du personnage principal. Ce flottement narratif — où l’on ne sait pas qui est Simón, ce qu’il fait là, ni s’il a le droit d’y être — devient le cœur battant du film.

Car tout y est déjà : le trouble identitaire, la recherche d’appartenance et surtout cette expérience si subjective du monde, tendant presque vers le fantastique . L’expérience de spectateur s’aligne sur celle de Simón : on avance à tâtons, on se perd, on cherche les codes. C’est une séquence déroutante, qui annonce également un film où l’on aura parfois du mal à suivre un récit pourtant linéaire.

Une mise en scène entre chaos et suspension

Le film adopte une forme qui peut désarçonner : montage heurté, plans fixes allongés, ruptures de ton fréquentes. Federico Luis opte pour une narration linéaire mais constamment trouée, comme traversée de séquences suspendues hors du temps, des parenthèses presque hallucinées qui détachent le spectateur de tout repère temporel. Cette discontinuité n’est jamais gratuite : elle épouse la subjectivité flottante de Simón, son regard trouble sur le monde.

Tourné dans les paysages spectaculaires des Andes, SIMÓN DE LA MONTAÑA ne cède pourtant jamais à l’appel du pittoresque. La nature est là, mais elle est tenue à distance. Le réalisateur préfère se concentrer sur les interactions parfois maladroites mais toujours sincères entre les jeunes du centre et Simón. La photographie, très soignée au départ, finit par se faire plus rugueuse, presque secondaire, comme pour mieux se caler sur la trajectoire intérieure du personnage principal.

Une représentation plus moderne du handicap

Là où nombre de films cherchent à lisser ou idéaliser la représentation du handicap — on pense par exemple à Forrest Gump (Robert Zemeckis, 1994) ou Rain Man (Barry Levinson, 1988) — Federico Luis choisit l’hyper-réalisme. Ici, il ne s’agit pas de symboles ou d’archétypes mais de personnes, avec leurs contradictions, leurs désirs, leurs limites. Cette authenticité rare, presque documentaire par instants, témoigne d’un respect profond pour les personnages filmés et les comédiens qui les incarnent.

Il est tentant de comparer le film à Un p’tit truc en plus (Artus, 2024), comédie française au succès populaire qui explore un schéma similaire : un protagoniste « neurotypique » plongé dans un groupe de personnes en situation de handicap. Mais SIMÓN DE LA MONTAÑA prend exactement la direction opposée : refus de l’humour consensuel et refus du récit balisé. Federico Luis n’exploite pas la différence : il la rend complexe, troublante, irréductible.

Une quête existentielle à l’échelle d’un pays

À travers le parcours de Simón, le film interroge des notions fondamentales : que signifie « être normal » ? À partir de quand une différence devient-elle marginalisation ? Peut-on choisir le groupe auquel on veut appartenir ? Simón est tiraillé entre deux mondes : celui de sa famille, qui le considère comme « sain », et celui des jeunes handicapés, avec lesquels il se sent en phase. Son choix de rejoindre ces derniers n’est pas une imposture : c’est une revendication, une manière de dire « c’est ici que je me reconnais ». Ce basculement opéré en conscience pourrait bien être le point de rupture définitif avec sa vie d’avant.

Ce positionnement prend un relief particulier dans le contexte politique argentin actuel. Le réalisateur a expliqué que SIMÓN DE LA MONTAÑA a été l’un des derniers films produits avant la fermeture de l’Institut national du cinéma, sous la présidence ultralibérale de Javier Milei. Ce contexte donne au film une portée presque militante. Sans jamais tomber dans le manifeste, il interroge en creux la médicalisation abusive des enfants, les dispositifs d’exclusion et l’invisibilisation d’une partie de la population. Ce regard critique, discret mais incisif, confère au film une dimension politique salutaire.

Le film n’est pas sans aspérités : son montage, parfois saccadé, peut désorienter, tout comme les plans fixes très longs qui rompent le rythme de la narration. La photographie, très soignée dans un premier temps, finit par s’effacer, comme si la mise en scène choisissait de se recentrer entièrement sur les personnages au détriment de l’environnement. Ces partis pris de réalisation rendent l’expérience de spectateur exigeante, mais participent aussi à l’identité forte du film.

Malgré ces déséquilibres, l’ensemble est porté par des interprètes d’une grande justesse. Lorenzo Ferro, dans le rôle-titre, livre un jeu à la fois sobre et chargé d’une tension émotionnelle contenue, qui donne à ses gestes les plus anodins une gravité singulière. Mais ce sont aussi les jeunes comédiens qui l’entourent qui marquent durablement : tous livrent des prestations sincères, d’une vérité rare, sans jamais tomber dans le pathos ou la caricature. Cette justesse collective donne au film sa plus belle résonance.

Nathan DALLEAU

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