[dropcap size=small]B[/dropcap]eaucoup de choses et à la fois, pas suffisamment. Ce STATES OF GRACE est un film réellement emblématique de la production indépendante américaine, engoncé dans son manque d’originalité et de sincérité tout en étant très bon.
Le cinéma indépendant c’est quoi déjà ?
C’est un genre qui n’a quasiment plus de maîtres : quelques rares surnagent au dessus du lot, ayant réussi à se renouveler dans la durée tout en ayant un ton immédiatement identifiable (Les Coen, Friedkin, Allen, Scorsese…), lorsque certains ne sont plus que des parodies d’eux mêmes (Malick, Lynch, Scorsese…), ou des auteurs largement pillés, jusqu’à être dépossédés de leur propre personnalité, (Scorsese, Coppola, De Palma…).
Ce qu’il reste, ce sont quelques petits génies : ceux qui ont réussi à trouver leur personnalité sans trop laisser paraître leurs influences (P.T. et Wes Anderson, Aronofsky, Dominik…), ceux qui corrompent le système hollywoodien (Nolan, Cuaron, Tarantino…), puis ceux, immatures, dont les premières réalisations laissent entrevoir une future filmo de chefs d’œuvre, mais dont le cinéma manque encore de précision (Carruth, Durkin, Nichols, Reichardt, Cianfrance…).
La majeure partie du reste de la production indépendante peut se voir sous 2 formes :
– Une déclinaison du travail d’un auteur, d’un film emblématique. Le résultat peut redéfinir l’inspiration originale dans le meilleur des cas (Tarantino, Lowery…), se révéler opportuniste et malhonnête au pire.
– Un cinéma indépendant qui se laisse contaminer par les règles fixées par le cinéma hollywoodien : si l’on excepte le rythme (souvent un simili temps-réel qui privilégie les longues scènes décrivant un moment précis à une narration basée sur l’histoire), et la forme (en général, un cachet : prise de vue sur le vif, captation au plus près des corps, des émotions, caméra à l’épaule etc.), c’est principalement au niveau du contenu que cette force de proposition s’est perdue, s’est uniformisée.
Ainsi, en lieu et place d’une liberté de sujet et d’une créativité à peu de frais, ce cinéma se contente souvent de créer des personnages forts et de les placer dans une intrigue forcément tragique parce que réelle, mais qui relève finalement, du divertissement ; on part d’un cinéma empreint de Nouvelle Vague, souhaitant décrire le quotidien en apportant du spectaculaire par la simplicité, pour arriver à un cinéma balisé et malhonnête, qui, finalement cherche bien plus à remporter l’adhésion du spectateur et à se rendre consensuel qu’à se redéfinir.
C’est au meilleur de cette catégorie qu’appartient STATES OF GRACE.
Je me permets de parler de tout cela car ce film me semble être un bon représentant du manque de sincérité qui touche ce genre de cinéma.
Short Term 12, le titre original, est d’ailleurs très évocateur de ce cinéma-réalité factice, à la limite du docu et pourtant si romancé, ce semi-mensonge que sont les films indés américains en 2014.
STATES OF GRACE ou Short Term 12 donc, dès sa première scène montre dans la pure tradition de cinéma indépendant, un instant de vie.
Cette première scène est importante car le film entier peut être vu comme longue une paraphrase de celle-ci : symboliquement, cette scène place le film comme représentant par excellence du cinéma indépendant… puis dans son dialogue avec le spectateur, sa façon de provoquer l’émotion.
Soit : un groupe de gens qui discutent, comme ça, devant un pas de porte. C’est la présentation ou plutôt description du métier d’encadrant pour ados à problèmes à une nouvelle recrue. L’un des membres se place en centre de l’attention, et raconte à grands renforts de détails précis et d’éléments spectaculaires, un évènement lui étant arrivé dans le cadre de son travail, transforme un banal fait divers en histoire incroyablement intense, drôle, prenante.
La fameuse Grace, à un moment, l’interrompt pour résumer en cinq-six mots cinglants cette même histoire telle qu’elle l’a perçue elle, façon d’indiquer la dureté de la réalité à laquelle va bientôt être confrontée le « newbie », tout en soulignant subtilement l’importance de déformer le réel pour le faire accepter.
Ce même réel fait violemment irruption, sous la forme d’un gamin vociférant inintelligiblement sa haine et sa peur du monde.
« Ceux qui racontent des histoires » commencent à courser le gamin « réalité »…
Parce qu’il ne faut surtout pas qu’il s’échappe.
Une fois rattrapé, plaqué à terre, immédiatement le gars qui racontait son histoire la reprend, la termine, et conclut par un : « Welcome to Short Term 12 » définitif.
Une première scène – résumé du film, donc : plusieurs belles histoires, remarquablement interprétées, ou la violence du réel entre par intermittence, mais heureusement, est vite maîtrisée par une avalanche d’émotions, toujours conclues par une séquence marquante, une pirouette de la part des héros, une phrase choc qui fait qu’on se souvient d’eux…
Hmmm. Moi, ça me fait un peu penser au Blockbuster de l’été.
« A la manière d’un LITTLE MISS SUNSHINE dans le registre du drame, STATES OF GRACE n’est qu’un feel good movie indé, aussi réussi que peu sincère. »
Formellement, déjà, aucune surprise. Le cahier des charges de ce type de productions est respecté, ni plus ni moins : caméra à l’épaule, épure du décor, acteurs sans maquillage, photo naturelle en adéquation, lumineuse comme il faut, quant il s’agit d’illustrer tel ou tel état mental… Musique acoustique douce, piano, banjo, guitare… Rien à en dire, c’est réussi sans être transcendant.
Le cœur scénaristique est, lui, une situation relativement commune – des enfants à la situation familiale et/ou sociale difficile, toutefois exacerbée par une mise en place au sein d’une équipe bienveillante et pleine de compassion, au delà du normal.
Comme en son temps l’était LITTLE MISS SUNSHINE, il faut considérer STATES OF GRACE comme un feel good movie indé, bien qu’il s’agisse d’un drame et non d’une comédie.
Un film dont le but est le divertissement social, à peu de frais : l’émotion y est par conséquent facile, régulière, accessible.
Le cast, Brie Larson en tête, est très bon voire excellent, authentique, pluriethnique, familier.
L’exposition des personnages importants se fait de manière progressive et délicate, précise et détaillée. Cela provoque une inévitable empathie envers eux.
Ainsi, avec un sens du timing impeccable, chacun aura l’occasion, dans un instant émotion, son quart d’heure-vérité, l’occasion de nous achever émotionnellement.
Les situations vécues par chacun sont bien sur, courantes, mais montrées de façon spectaculaire, exagérées, tout en gardant cette part de prévisibilité permettant de ne surtout pas perdre le spectateur, même dans la douce folie qui anime les personnages, dont Grace.
Au final, la morale, « Tes émotions et ton vécu sont ce qui te définit. Même si l’on tente de te les faire réprimer, sache qui tu es. », pourrait correspondre à celle de n’importe quel Disney représentant par excellence du modèle de réussite cinématographique hollywoodien…
Comme LITTLE MISS SUNSHINE, encore, il ne s’agit pas d’exprimer une quelconque personnalité d’auteur.
Singularité = prise de risques = anti-commercial.
Car il faut convaincre critique ET public, pour s’assurer le succès d’estime, ce que STATES OF GRACE à manifestement réussi à trouver dans un équilibre entre accessibilité et prétendue indépendance.
Cette méthode, tout en étant remarquablement efficace lorsqu’il s’agit d’imprimer dans nos consciences un souvenir ému du film, n’en est pas moins agressive, opportuniste et malhonnête, car elle provoque artificiellement les sentiments du spectateur.
Métaphoriquement, on pourrait considérer le personnage de Grace comme double de l’auteur du film, un personnage discrètement manipulateur, qui est persuadé de la force et de la puissance de son œuvre et peaufine sa domination du monde en créant l’identification, puis en prenant le soin d’appuyer dé-li-ca-te-ment des oignons sur nos yeux grands ouverts…
Il y à ces quelques courts instants qui indiquent peut-être justement la conscience de l’auteur, de ce que représente son film : lors d’une scène en milieu de métrage, notamment, Grace, cherche à s’identifier à sa protégée via sa prétendue histoire personnelle dans le but évidemment, de gagner sa confiance. La perversion vient de la mise en abyme de ce moment, puisque Grace, comme nous, est consciente de ce mensonge, de la manipulation qu’elle exerce.
Les auteurs, par ce fait, sont-ils en train d’avouer qu’ils savent très bien ou se place leur film quant à son caractère illusoire, autant vis à vis du spectateur que par rapport à l’industrie du cinéma indépendant ?
Mystère.
Au final, j’ai adoré et détesté STATES OF GRACE.
Car sommairement, c’est un pur moment de cinéma, rempli d’émotion, superbement interprété… Mais que je trouve complètement incompatible avec l’idée d’indépendance cinématographique, tant, il exagère artificiellement et de façon méthodique certains traits de mise en scène pour au final livrer un film sans originalité et sans surprises, qui tient plus d’un blockbuster ou l’émotion remplacerait le spectacle visuel, que du cinéma indépendant, tel que l’on façonné ses divers vrais représentants.
[divider]CASTING[/divider]
• Titre original : Short Term 12• Réalisation : Destin Cretton
• Scénario : Destin Cretton
• Acteurs principaux : Brie Larson, John Gallagher Jr, Rami Malek, Lakeith Lee Stanfield
• Pays d’origine : U.S.A.
• Sortie : 23 AVRIL 2014
• Durée : 1h36mn
• Distributeur : Version Originale / Condor
• Synopsis : Grace travaille dans un foyer pour ados en difficulté. Elle et ses collègues sont confrontés aux difficultés qu’ont les enfants à trouver leur place dans un monde parfois dur et cruel.
[divider]BANDE-ANNONCE[/divider]