S’il manque quelque peu d’ambition artistique, SUPRÊMES rend tout de même un hommage dûment mérité à NTM, dont on perçoit sensiblement les influences.
Bien sûr, le biopic sur le meilleur groupe de rap français de tous les temps manque un peu de soufre. On aurait aimé qu’il tape plus fort là où ça fait mal. Qu’il place davantage ses protagonistes face à leurs contradictions – à la manière d’un Cloclo pour Claude François en 2012. Qu’il illustre moins maladroitement le contexte social de la fin des années 80 par trop de recours aux extraits de JT. Toutefois, pour qui aime NTM, il ne manque pas d’une certaine saveur et se lit comme un bel hommage au rap des premières heures.
Seine-Saint-Denis style
Cinématographiquement parlant, la copie est correcte, sans grand éclat. Audrey Estrougo acquiert sa maturité et développe de jolies idées de mise en scène. On apprécie ses plans séquences et ses quelques écarts créatifs. Notamment lorsque JoeyStarr, pulvérisé par son mal-être, croise un grand fauve dans un état hagard – référence évidente à son surnom, « le jaguar ». On aurait aimé en voir plus, c’est vrai. Néanmoins, Théo Christine et Sandor Funtek livre une si belle prestation dans les rôles de JoeyStarr et Kool Shen qu’on se laisse happer par ce récit de vie, comme on se perd parfois volontiers sur Wikipédia.
Alors, oui. SUPRÊMES a des défauts. Toutefois, on ne peut reprocher à la réalisatrice de porter à l’écran son amour pour NTM de la manière la plus sincère qui soit. Elle s’intéresse peut-être de trop près à JoeyStarr. À sa personnalité complexe, torturée et souvent détestable. Quitte à en oublier le discret Kool Shen, artiste perfectionniste, pourtant colonne vertébrale du groupe. Elle-même issue de la banlieue parisienne, ses jeunes années marquées par les rimes du duo, Audrey Estrougo veut témoigner aussi de l’impact qu’a eu NTM sur une population méprisée, abandonnée par les pouvoirs publics… Certes. Mais pas seulement.
Come again pour que ça sonne funk
Un aspect moins évoqué du film, tout de même crucial, porte sur l’héritage et le passage de relai entre générations. Dans la culture hip-hop française, le sampling des titres soul, disco et funk des années 70 à fin 80 ne s’hérite pas seulement de la scène américaine. Il s’agissait aussi du son des soirées des pères, des grands frères, puis des plus jeunes – comme le rappelle justement IAM sur Je danse le mia. SUPRÊMES s’empare également de cette notion. Le père de JoeyStarr, avec lequel se tisse une relation impossible, semble n’avoir avec son fils qu’un seul point commun : la musique. Pour preuve, dans son petit appartement de banlieue, trône au milieu du salon une luxueuse chaîne Hi-Fi, soigneusement cadenassée.
Lors de sa soirée d’anniversaire, ce père démissionnaire et violent mixe sur un titre funk. Son fils s’élance sur la piste de danse et brille en y insufflant quelques mouvements de break et de hip-hop. Il est sommé de disparaître avec véhémence par cette figure paternelle qui refuse toute filiation… En créole, pour marquer ce qui les sépare – car, nées en France, les deuxièmes générations issues de l’immigration des années 50 à 70 n’avaient souvent que peu de liens avec la culture parentale. De même que les pouvoirs publics interdisent NTM de concert, pour cause de violence verbale. Pères et fils, figures autoritaires et jeunesse, ne parlent pas le même langage. Pourtant, une conciliation est possible.
Nouvelle école
On l’observe effectivement dans le film grâce à la place offerte au public punk. Génération rebelle précédente, d’abord réfractaire, elle finit conquise par NTM en scandant le litre L’argent pourrit les gens et des leitmotivs partagés : « Fuck le capitalisme ». Autre temps, mêmes combats. Le groupe gagne ainsi ses galons dans la contre-culture, en obtenant l’adoubement de ses pères : cette génération révoltée avant la leur. Ce n’est, en effet, pas pour rien qu’aujourd’hui JoeyStarr se surnomme « Punk funk hero ». Et le film d’Audrey Estrougo n’a pas manqué de le rappeler.
De SUPRÊMES, on retiendra également la synergie, la rage, l’animalité qui se dégagent de JoeyStarr et Kool Shen une fois sur scène. On ressent cette liesse trépidante qui traverse la foule lorsqu’ils pénètrent dans l’arène. L’énergie est palpable et c’est très certainement là le plus bel hommage que l’on puisse rendre à NTM. Car on peut effectivement adresser de nombreux reproches à SUPRÊMES, mais certainement pas celui de trahir ces deux personnages. Et pour peu que l’on apprécie l’œuvre des rappeurs de Saint-Denis, on passe assurément un très bon moment dans cette salle de cinéma.
Lily Nelson
• Réalisation : Audrey Estrougo
• Scénario : Audrey Estrougo, Marcia Romano
• Acteurs principaux : Théo Christine, Sandor Funtek, Félix Lefebvre
• Date de sortie : 24 novembre 2021
• Durée : 1h52min