[dropcap size=small]U[/dropcap]ne fois de plus, je constate les interactions entre Cinéma et Jeu Vidéo.
Deux médias déjà en soi, passionnants à observer : l’un jeune, mais évoluant à une vitesse spectaculaire, l’autre technologiquement en (r)évolution mais stagnant coté propositions.
Le jeu vidéo parvient à concurrencer le Cinéma, en terme de mise en scène, de direction artistique ou de narration. Il concurrence également la série télé actuelle, lorsqu’il s’agit de narration étalée sur la longueur, de développement de personnages.
Cet état de fait a bien sur été repéré par l’industrie du cinéma, qui maintenant, commence à s’intéresser à la production d’adaptations de jeux (SILENT HILL, etc.), à intégrer des acteurs reconnus (Kevin Spacey – Call of Duty, Ellen Page – Beyond 2 Souls) dans le monde vidéoludique. Le Cinéma a façonné le jeu vidéo, qui, arrivé à maturité, commence maintenant à inspirer le cinéma. La boucle est bouclée.
Bien sur, cet avis est tout à fait personnel.
Quelques exemples :
– Un jeu tel que Bioshock s’appuie à la fois sur une direction artistique incroyablement travaillée (le jeu se passe dans une cité sous marine abandonnée et ancrée dans les années 50 (!!!) ancien fleuron d’une sorte d’utopie mi communiste mi capitaliste) et un scénario fouillé riche en révélations et en rebondissements. Un chef d’oeuvre.
– La série Uncharted, elle, représentait un hommage entier au cinéma de Spielberg, notamment INDIANA JONES.
Une série qui prit de la maturité jusqu’à transcender l’hommage en génie pour fournir l’une des aventures vidéo-ludique les plus impressionnantes ever, avec Uncharted 2, modèle absolu de rythme, d’immersion et de mise en scène – l’une des scènes nous plaçait dans un immeuble népalais attaqué par un hélicoptère surarmé ; le bâtiment finissait par s’effondrer, avec nous à l’intérieur (!!! bis).
J’aborde légèrement ce thème car pour moi,
l’une des inspirations directe de THE ROVER ne vient pas du cinéma, mais justement du jeu vidéo.
Précisément, le Last of Us du même studio qu’ Uncharted (Naughty Dog).
Le jeu mettait en scène Joel et Ellie, parmi les survivants d’un monde apocalyptique (une maladie transforme les humains en simili-zombies), un monde cruel ou la menace la plus forte n’est généralement pas zombiesque, mais humaine.
Le jeu, par sa mise en scène plus sobre que tape à l’œil, une sensibilité portée sur l’émotion lente, une direction artistique incroyable de précision, réussissait à nous immerger, dans son univers pourtant pas si original, et au final, nous assommer lors d’un final absolument dément et pourtant dénué de tout spectaculaire.
La relation entre les personnages et la consistance de cet univers post apo étaient bien plus mis en avant que les mécaniques de jeu vidéo – au demeurant très réussies
THE ROVER partage plusieurs points avec The Last Of Us.
Eric (Guy Pearce, parfait) et Joel partagent le même look. 40 ans, barbe dégueu rappelant solitude et absence de repères familiaux, violence instinctive et in-hésitante, informations sur son passé délivrées au compte goutte, misanthropie inexplicable.
Pour Joël et Eric, chaque être humain n’est qu’une donnée. Plus ou moins utile, plus ou moins problématique. Une vision affreuse de ce qu’il reste de l’espèce humaine, qui rend obligatoirement le personnage antipathique, mais intriguant.
Ce personnage donc, semble trouver en son binôme – Ellie dans le jeu, Rey (Robert Pattinson très bien aussi) dans le film, une raison de (sur)vivre car la protection de cet autre, induit une forme d’attache, ravive un sentiment qui semblait disparu à jamais.
Pour autant, même si le film et le jeu ne proposent aucune forme d’espoir, ils le font d’une manière très différente.
Par sa nature même de jeu vidéo, Last Of Us nous forçait à intégrer les sentiments des personnages, puisque nous avions vécu de manière active plusieurs évènements traumatisants ce qui renforçait les décisions ultimes des personnages, décisions d’une noirceur totale.
THE ROVER, bien sur, ne peut pas proposer quelque chose d’aussi fort avec une telle base. David Michôd pousse tout de même avec talent sa vision misanthrope jusqu’au bout et ne propose absolument aucune échappatoire, morale ou physique, à ses personnages.
Son talent est d’induire une forme de logique à ce raisonnement nihiliste.
« Un film d’une sécheresse terrible, misanthrope, antipathique. Mais également une seconde révélation du talent de David Michôd pour donner de l’ampleur à un matériau difficile d’accès. Un film qui partage beaucoup avec le jeu vidéo « The Last of Us » »
La direction artistique du film, emprunte également quelques éléments au jeu vidéo. Notamment cette ambiance sèche et désertique, mais surtout grâce à la narration à travers les environnements. Personne n’explique jamais ce qu’est le fameux « effondrement » indiqué dans le générique, pourtant, quelques détails très subtils révèlent un univers beaucoup plus fouillé qu’il n’y paraît.
Par contre, Last of Us permettait d’avoir un aperçu plus global du sinistre, de par la variété des environnements proposés. Urbains ou bucoliques, vivants ou désertés.
THE ROVER se passe, lui, intégralement dans un paysage désertique immense mais paradoxalement, anxiogène.
Enfin, la dynamique même du film, un road movie entrecoupé de rencontres systématiquement très violentes, calque le rythme du jeu vidéo, grand moment contemplatif entrecoupés de gunfights.
La violence, dans les deux cas, est explicite, graphique, frontale et concise.
David Michôd déjà réalisateur du très bon ANIMAL KINGDOM rajoute sa personnalité à l’ensemble.
Un vrai talent de mise en scène dans l’espace et de la narration place chaque personnage sur une trajectoire d’une grande logique ; Ayant totalement assimilé la base de son matériau, la survie post apocalyptique, il observe des personnages n’ayant rien à perdre sinon la vie. Comme des animaux, tous agissent à l’instinct. Lorsque les émotions rentrent en compte, cela signifie généralement la mort. Cruel, mais sans doute réaliste et d’autant plus troublant.
Cette ambiance sèche, cruelle, malsaine est accompagnée par une musique dure, à l’image du saxophone rêche de Colin Stetson. Façon de rappeler violemment au spectateur de rester autant à l’affût que les protagonistes du film.
Pour développer ce raisonnement inter-médias, je dirais que
la culture vidéoludique commence à intégrer notre inconscient collectif,
et que l’on commence à voir clairement ses effets dans le média Cinéma. Certains films en reprennent les mécaniques (EDGE OF TOMORROW die & retry, SNOWPIERCER, structure en mondes…) d’autres les codes visuels. (Speed racer) Avec THE ROVER, en plus d’aspects techniques, il s’agit de sensibilités similaires ;
dans tous les cas, lorsque nous sont présentés personnages et univers, si un lien indicible se crée parce qu’on arrive les identifier à quelque chose de connu, Cela permet d’accompagner un réalisateur, jusqu’au bout de sa démarche, dans le cas de THE ROVER, nihiliste, déshumanisée et désespérée.
On peut même aller jusqu’a imaginer des artistes tous médias confondus interagir entre eux. Ce qui promet un futur trans-média tourné vers la proposition plutôt que l’exploitation de licence ou la redite de formules épuisées.
Une rumeur parlait de Paul Thomas Anderson qui réaliserait Metal Gear Solid.
Imaginons James Ellroy réecrire L.A. Noire, Viktor Antonov (directeur artistique sur Half Life² et Dishonored) travaillant avec Steven Spielberg, Daft Punk composant la B.O. d’un Rez!
En bref, THE ROVER est un film d’une sécheresse terrible, misanthrope, intransigeant. Mais également une seconde révélation du talent de David Michôd pour donner de l’ampleur à un matériau difficile d’accès.
Un film qui par sa direction artistique, son sujet se rapproche beaucoup d’un des meilleurs jeux vidéo de notre génération : The Last of Us.
C’est aussi la promesse d’un passionnant futur trans média, si la culture du jeu vidéo continue à intégrer l’inconscient collectif.
[divider]CASTING[/divider]
• Titre original : The Rover• Réalisation : David Michôd
• Scénario : Joel Edgerton, David Michôd
• Acteurs principaux : Guy Pearce, Robert Pattinson, Scott Mc Nairy, David Field, Anthony Hayes
• Pays d’origine : Australie, U.S.A.
• Sortie : 04 Juin 2014
• Durée : 1h42mn
• Distributeur : Metropolitain Film Export
• Synopsis : Dans un monde post-apocalyptique, Eric poursuit avec acharnement les voleurs de sa voiture, une Rover. Il rencontrera Rey sur son chemin…
[divider]BANDE-ANNONCE[/divider]