THE SWEET EAST, le premier film de Sean Price Williams, est une belle expérimentation américaine. Le film suit Lillian, une lycéenne jouée par la captivante Talia Ryder, pendant son voyage scolaire à Washington D.C., où elle est ennuyée par l’immaturité de ses camarades de classe et passe son temps sur son portable.
Mais tout cela change en un instant. Quand les élèves se retrouvent dans un bar karaoké, un homme complètement fou entre dans l’établissement et tire en l’air avec une arme à feu. Alors qu’il crie au barman qu’il viole des enfants dans le sous-sol, Lillian décide de suivre un homme punk pour trouver une issue de secours. C’est là que son aventure commence, avec une rapidité accablante. Dans les une heure et quarante-quatre minutes qui suivent, Lillian devient un sugar baby d’un néo-nazi à la campagne, lui échappe à New York où elle devient par hasard la comédienne star d’un drame d’époque, et échappe aux néo-nazis encore une fois, avant d’être captée par un culte religieux dans la forêt. Ce film expérimental suscite des commentaires sur la vie américaine post-Trump, mais c’est aussi un film sur la vie post-enfance, sans être un film coming-of-age.
Lillian ne semble pas être une protagoniste qui détermine son propre destin. Au contraire, c’est souvent le destin qui la détermine. Elle se trouve dans des situations bizarres, l’une après l’autre, et elle accepte les offres des personnes qu’elle rencontre avec une extrême naïveté. Elle ne juge personne : ni les anarchistes de gauche avec qui elle débute son aventure, ni le néo-nazi avec qui elle passe des mois à la campagne. Mais elle reste en contrôle : elle invente son histoire à nouveau pour prendre avantage sur les gens qu’elle rencontre sur son chemin. Des hommes et des femmes tombent amoureux d’elle et elle leur répond avec une certaine sensualité, mais uniquement tant que c’est profitable pour elle : elle ne leur laisse jamais l’opportunité de coucher avec elle. Cette Lillian contraste avec la Lillian qu’on rencontre au début du film, l’adolescente cool qui couche avec son copain et méprise ses camarades de classe pour leur immaturité. Lillian est trop mature pour le monde des enfants, mais elle reste une enfant pure et sage dans le monde des adultes. Ryder marche sur la ligne entre ces deux mondes avec une délicatesse remarquable, capable de passer de femme à fille, de fille à femme, en un instant pour les adultes que son personnage séduit.
Le seul caractère constant dans le film est cette adolescente américaine, quelqu’un qui comprend l’absurdité de son pays mais n’a pas encore de grandes choses à dire. Pour construire lentement sa “propre » personnalité, elle note les paroles intéressantes des gens qu’elle rencontre et même utilise les histoires personnelles des autres comme la sienne. Elle est peut-être une personnification des États-Unis, mais est-ce une critique ? Comme Lillian, le film aime provoquer mais ne cherche pas d’explications. À New York, après que Lillian ait été recrutée pour jouer dans le drame d’époque, elle entend un dialogue hilarant entre le régisseur Molly (l’hilarant Ayo Edebiri) et son assistant Matthew (Jeremy O. Harris). Quand Lillian leur explique qu’elle n’a jamais était une comédienne mais qu’elle a fait des “études de poésie”, les deux discutent de l’importance de la diversité intellectuelle dans ce film et se lancent dans un dialogue très animé. Le sujet est sérieux, mais les personnages jouent une telle caricature des intellectuels new-yorkais qu’on ne sait pas si on doit rire au spectacle de leur dialogue ou se laisser absorber par leurs paroles.
À la fin du film, c’est Lillian qui décide de rire, non pas de Molly et Matthew, mais de toute l’absurdité de son aventure américaine. À la fin, quand elle échappe à la communauté religieuse, elle est sauvée par un moine et se réveille dans un monastère. Le moine commence à parler, avec beaucoup de conviction, d’un lait sacré qu’il a vendu à des touristes à Jérusalem, mais bientôt on ne l’entend plus : le rire de Lillian couvre sa voix et devient de plus en plus fort. Elle prend les adultes pour des fous, manipulés par des idéologies comme par la sensualité d’une jeune femme. La caméra suit ce détachement adolescent en passant rapidement d’une scène à l’autre et en jouant avec des effets surréalistes. La musique, une petite merveille composée par Dean Hurley – connu pour ses collaborations avec David Lynch – nourrit le sentiment général d’instabilité du film. Mais au-dessous de ce chaos reste une fille qui n’essaie pas de comprendre sa place mais de profiter de la vie qui lui a été donnée. THE SWEET EAST est à la fois une course folle dans la vie de cette jeune américaine et un portrait d’un pays qui, comme elle, ne cherche pas à faire son coming-of-age. Survivre dans l’instant présent, c’est suffisant.
Vinzent WESSELMANN