Cinq ans après A Most Violent Year, J.C. Chandor embarque les spectateurs pour l’Amérique du Sud pour TRIPLE FRONTIÈRE, un film de braquage au casting cinq étoiles. Un cambriolage réussi ?
L’intrigue de TRIPLE FRONTIÈRE tient en quelques mots : cinq anciens membres des forces d’intervention spéciales américaines décident de braquer l’un des plus grands barons de la drogue d’Amérique latine à la frontière du Paraguay, du Brésil et de l’Argentine. Une zone de non-droit où le commando d’élite pourra non seulement faire tomber un puissant narcotrafiquant mais surtout récupérer l’argent de ce dernier. À mi-chemin entre la trilogie des Ocean’s et les Expendables, ce long-métrage réunit un casting de choix avec Ben Affleck, Oscar Isaac, Charlie Hunnam, Garett Hedlund et Pedro Pascal.Malheureusement, TRIPLE FRONTIÈRE commence sur des bases équivoques. La première partie du film, consacrée à la réunion du commando et à son braquage dans une végétation hostile, rappelle la présence de Kathryn Bigelow (réalisatrice de Zero Dark Thirty) à la production. Poussés par l’appât du gain, les cinq hommes se lancent à corps perdu dans une jungle à la merci des narco-trafiquants. Cependant, c’est une image plus que stéréotypée et fantasmée des cartels de drogues qui prend vie à l’écran. Reclus au fin fond de l’Amazonie et planquant leur argent dans des cachettes incongrues, ces derniers semblent tout droit sortir des années 1980 alors que le Venezuela et l’Équateur tournaient le dos à la Colombie pendant que les narco-trafiquants défiaient le pouvoir en créant des artères illégales dans le cœur de la jungle.
Après une séquence de braquage qui ne contentera définitivement pas les accros du genre, TRIPLE FRONTIÈRE devient plus intéressant alors que le commando d’élite se rend compte que « la maison est le coffre fort. » Véritable incarnation métaphorique, la maison n’est plus seulement un lieu de protection mais une construction essentielle à la survie et aux besoins. Car en effet, les cinq hommes ont besoin de cet argent… ou du moins c’est ce qu’ils ont réussi à se convaincre afin de se trouver un alibi. La question éthique est secondaire à celle de l’argent alors que les personnages ne s’interrogent pas une seule seconde sur la légitimité de leur action.Sans en avoir l’air mais en suivant la lignée de ses précédents long-métrages, J.C Chandor dresse contre toute attente un conte moraliste. Le réalisateur dénonce non seulement l’ingérence américaine en Amérique latine mais surtout les limites du rêve américain. À travers la trop courte présentation de chaque personnage, l’homme derrière la caméra insiste sur les failles d’un système de réinsertion des soldats américains. Dans un pays où les « héros » ayant servis leur pays sont glorifiés, un quart de ces derniers finissent pourtant par devenir sans-abris. Un constat dénoncé par J.C Chandor alors que l’argent devient la promesse d’un avenir meilleur. Cependant, le rêve américain n’a pas toujours été identifié à l’argent et à la fortune. Si la nation américaine s’est construite sur les bases d’un messianisme religieux et d’une prospérité économique étroitement liés, l’idéologie protestante y définissait alors cet idéal comme synonyme d’ardeur au travail, de sobriété et de respect des règles morales. Corrompu depuis l’avènement de grandes fortunes dont la dynastie Rockefeller est l’incarnation, le rêve américain semble revivre à travers TRIPLE FRONTIÈRE. Un espoir et un retour aux racines et à la morale qui est d’autant plus souligné par la fin « feel-good » du long-métrage.
Cependant, malgré cette critique acerbe du rêve américain, la moralité finale de TRIPLE FRONTIÈRE est remise en question par un plan final de seulement quelques secondes qui dévoile des coordonnées géographiques. Il faudra donc repasser pour la générosité et la floraison éthique des personnages. Avec une poésie visuelle métaphorique, J.C Chandor a néanmoins transformé un blockbuster prévisible en un parcours moral pour un groupe de soldats à la motivation douteuse. Le commando, intègre mais corrompu, permettent ainsi au réalisteur de créer un conte philosophique intéressant malgré une fin décevante et quelques problèmes de parcours. Un résultat qui décevra sans aucun doute les spectateurs en quête d’adrénaline mais qui devrait assurément satisfaire ceux qui en attendait un simple blockbuster sans âme.
Sarah Cerange
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• Réalisation : J.C. Chandor
• Production : Atlas Entertainment
• Acteurs principaux : Oscar Isaac, Ben Affleck, Charlie Hunman, Pedro Pascal, Garett Hedlund
• Date de sortie : 13 mars 2019
• Durée : 125 min