e2c0909f23367fec20342c0eb00e999acce8012b e1464346916295 - « UNE ANGLAISE ROMANTIQUE » (1975) : leçon de réalisme par Joseph Losey
© Solaris Distribution

« UNE ANGLAISE ROMANTIQUE » (1975) : leçon de réalisme par Joseph Losey

UNE ANGLAISE ROMANTIQUE a été chroniqué par Antoine dans le cadre de la rubrique Réflexions Poétiques.

Fort d’une carrière comprenant une quarantaine de titres, le réalisateur américain Joseph Losey (1909-1984), possède l’une des filmographies les plus éclectiques et les plus singulières du cinéma mondial : du film historique (L’Assassinat de Trotski) au drame (Monsieur Klein) en passant par la science-fiction (Les Damnés), le film noir (M, Le Rôdeur) ou bien encore le mélodrame (Gipsy), Losey est allé sur tous les terrains possibles sans jamais chercher à créer un univers cohérent, voire circonscrit à des thématiques ou des réflexions d’auteur. Cinéaste inclassable (du point de vue de la « politique des auteurs »), il rencontra la postérité avec des films aussi fascinants qu’étranges (The Servant, Accident – les deux scénarisés par Harold Pinter – et Don Giovanni). Sorti en 1975, UNE ANGLAISE ROMANTIQUE (un grand merci à Solaris Distribution pour nous offrir cette version restaurée) s’inscrit dans la seconde période du cinéaste. Celle qui le vit exercer son métier au Royaume-Uni et non aux plus États-Unis, pays dont il fut exilé pour cause de maccarthysme. Adapté du roman éponyme de Thomas Wiseman écrit quatre ans plus tôt, UNE ANGLAISE ROMANTIQUE est scénarisé par le grand dramaturge britannique Tom Stoppard, connu au cinéma pour ses collaborations sur Brazil (Terry Gilliam, 1985), Shakespeare in Love (John Madden, 1998) et Anna Karénine (Joe Wright, 2002).

Photo du film UNE ANGLAISE ROMANTIQUE
© Solaris Distribution

Alors qu’aujourd’hui les cinéastes s’efforcent à créer une œuvre (et non plus des films) via des univers personnels reproductibles à l’infini, projetant sur le monde leur système (souvent limité), Losey démontre que chaque film ainsi que chaque scénario possède sa propre identité, et donc son propre filmage. L’unique moyen de savoir qu’on visionne un film de Losey réside peut-être dans son rapport au monde, celui-ci faisant sentir sa lourde présence sur tous les protagonistes de l’histoire : Elizabeth et Lewis Fielding (interprétés par Glenda Jackson et Michael Caine) incarnent un couple de bourgeois anglais intellectuels et casaniers tandis que Thomas Hursa (Helmut Berger) incarne, à l’opposé de la « hiérarchie » bien-pensante de l’époque, un poète libertaire. Les individus chez Losey sont donc tous conditionnés par la société et les mœurs imposées par leur cadre social ; en somme, le drame universel de l’homme qui affronte le monde. Et c’est à peu près tout pour reconnaître un film de Losey lorsqu’on en voit un. Il n’y ni « style » particulier, ni messages (politiques ou autres) et encore moins de figures ou de motifs récurrents. On comprend dès lors la difficulté d’apprécier ou « d’entrer » dans les films de Losey pour un public nourri depuis presque cinquante ans à la « politique des auteurs » (d’Alfred Hitchcock à James Gray en passant par Orson Welles, Tim Burton, Jim Jarmusch, etc.).

Le rapport au monde de Losey se traduit tout simplement (mais c’est ce qui est le plus dur au final) par le développement d’un réel vrai, ou plutôt d’une réalité sans artifices. Ce qui peut paraître paradoxal venant d’un cinéaste provenant du théâtre, et dont certaines scénographies renvoient à l’art de Molière. Il n’y qu’à voir l’utilisation du décor, des accessoires ou encore des bruitages pour s’en rendre compte. Et on voit bien que dans la direction d’acteurs, Losey exige de ses comédiens un jeu dramatique capable d’exprimer des sentiments extrêmes. Mais la grande force de son cinéma, c’est de livrer, avec la même ferveur dans le regard, un détail sans pour autant perdre de vue l’ensemble, la totalité du monde qu’il décrit avec une certaine hauteur ; il est ainsi capable de capter un regard ou geste qui vient nourrir le drame en cours.

« L’unique moyen de savoir qu’on visionne un film de Losey réside peut-être dans son rapport au monde, celui-ci fait sentir sa lourde présence sur tous les protagonistes »

Les meilleures scènes d’UNE ANGLAISE ROMANTIQUE se déroulent dans la demeure des Fielding où le trio se meut dans une chorégraphie indécise et mystérieuse, chacun jouant sa partition, plus troublante à mesure que le drame se noue. Bien sûr, il y est question de mensonges entre eux, mais la caméra de Losey ne ment pas ; on connaît les intentions et la (réelle) vie de Thomas dès les premières scènes dans le train. C’est une forme de loyauté envers son spectateur, Losey ne prenant personne par défaut ; les jeux de miroirs, extrêmement présents tout au long du film, ne servent que le drame qui se joue au cœur des scènes, à savoir l’exaltation des sentiments propres aux personnages. En outre, son cinéma nous fait prendre de la hauteur : on ne juge jamais les protagonistes, on les observe faire leurs choix et commettre, ou non, leurs erreurs. Chercher à déceler des figures chez Losey (la « femme fatale » aristocrate, l’artiste/intellectuel) ne rend compte de rien, sinon qu’il investit ce système de classes anglais, toujours en surface, pour mieux y décrire des êtres qui, bien qu’enfermés par la tradition, sont encore capables d’actes passionnels enclins à leur faire vivre des expériences nouvelles. Et l’émergence d’idées, telles que l’émancipation de la femme (« les femmes sont un pays occupés » entendons-nous dans le film) ou celle du conflit ancestral entre l’idéal du poète et l’usurpation du romancier (les romans ne dépeignent pas la vie car ils ne contiennent aucune coïncidences), « construit » en quelque sorte le mouvement interne du film. Cette quête d’un Absolu, d’une pureté même, qui intègre autant la beauté que la morale. Mais évidemment la réalité chez Losey n’a rien d’aussi simple, ou d’aussi pure. L’anglaise romantique veut Tout et ne se satisfait donc de rien et l’admiration exacerbée envers le poète, tel un souvenir nostalgique (la magistrale partition de Richard Hartley), s’avère finalement tronquée.

UNE ANGLAISE ROMANTIQUE se construit donc autour de vertiges – d’événements émotionnels et de sursauts imprévisibles – qui viennent contrecarrer un milieu trop étroit et surdéterminé par ses traditions sociales. La mise en scène de Losey, elle-même imprévisible et invisible, ne fait que déployer la vie ; elle porte sur ces êtres un regard neuf sans chercher à les valoriser ou à les dénigrer. Au final, Losey n’ajoute rien de lui-même car selon lui : « faire des films, c’est réaliser des fables, parler de mythologie, même s’il s’agit seulement de rapport entre des personnages ».

Antoine Gaudé

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Affiche du film UNE ANGLAISE ROMANTIQUE

Titre original : The Romantic Englishwoman
Réalisation : Joseph Losey
Scénario : Tom Stoppard et d’après le roman de Thomas Wiseman
Acteurs principaux : Glenda Jackson, Michael Caine, Helmut Berger, Michael Lonsdale, Kate Nelligan…
Pays d’origine : Royaume-Unis
Sortie : 1975 – Ressortie 1er juin 2016
Durée : 1heure 56 minutes
Distributeur : Solaris Distribution
Synopsis : Elizabeth Fielding, femme d’un riche écrivain anglais, rencontre Thomas, un gigolo qui se fait passer pour un poète, lors d’un séjour thermal à Baden-Baden. Le jeune homme la suit jusqu’en Angleterre et réussit à se faire inviter par Lewis, le mari d’Elizabeth…

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