United States of Love

[CRITIQUE] UNITED STATES OF LOVE

Nous souhaitons recueillir votre avis sur votre façon de nous lire. Merci de prendre 2 minutes de votre temps en cliquant ici !


Tomasz Wasilewski dresse le portrait de femmes que le désir de désirer consume, tue à petit feu, et qui se meurent dans un monde gouverné par l’invective que ce qu’elles ont déjà doit leur suffire.

Une œuvre totale et dense, c’est en ces termes qu’il serait juste de définir le troisième film du réalisateur polonais Tomas Wasilewski (après Dans une chambre à coucher en 2012 et Ligne d’eau en 2014) pour lequel il remporte l’Ours d’argent du Meilleur scénario au festival de Berlin 2016. En effet, UNITED STATES OF LOVE est un film funambule qui parvient à trouver un point d’équilibre brillant entre un sujet et une esthétique. Il combine un scénario fort et une réalisation habitée qui en font un film qui marque profondément l’esprit et qui, sans pour autant bouleverser, convoque une réflexion profonde. Grâce à une réelle appétence pour l’exercice de style ultra visuel, une « patte » singulière, et aussi – plus superficiellement – pour sa ressemblance physique, le scénariste-réalisateur Tomas Wasilewski semble clairement à la hauteur du doux surnom de « Xavier Dolan polonais » dont il se laisse, et on le comprend, volontiers couronné.

Pologne, 1990. Après la chute du mur de Berlin, quatre femmes entretiennent l’espoir fou que la libération du pays soit la leur. Mais la droite catholique succède au communisme; la pensée féministe que l’ancien régime qualifiait « d’aberration intellectuelle » subit un nouveau carcan. C’est au tour d’une piété souveraine et endimanchée d’enserrer encore et toujours les femmes en les maintenant plus que jamais dans des rôles de bonnes épouses ou de femmes de mauvaise vie. L’espoir de l’épanouissement est vain, la Pologne des années 90, ce n’est pas encore les United States of America. Pourtant tour à tour, chacune va tenter de gagner la liberté d’aimer, le droit au bonheur, ou seulement à être soi.

Photo de United States of Love
Une composition précise du cadre, un thème psychanalysant qui rappellent les débuts de Xavier Dolan avec J’ai tué ma mère.

Sous les faux airs d’un film choral, Tomasz Wasilewski réalise en réalité avec UNITED STATES OF LOVE une chronique du temps qui passe dont le prisme politique n’est qu’un malin entonnoir pour se rapprocher au plus près de la véritable nature de la prison des femmes : leur corps.
Marzena, Agata, Iza et Renata, respectivement 30, 40, 50 et 60 ans, quatre personnages féminins comme fil rouge du récit dont le réalisateur se sert pour exposer par décennies successives, la puissance du désir d’une femme – des femmes -, à travers les ages de sa vie. Il met en scène par épisodes quatre « moments » d’existence à travers lesquels il dresse un portrait fort et fascinant de la chair féminine, de son enveloppe qui se dérobe à sa capacité sous-estimée, bafouée et clandestine a puissamment s’embraser.

[bctt tweet= »« United States Of Love récit de l’expression pure de l’Humanité dont on prive les femmes » » username= »LeBlogDuCinema »]

Marzena est une jeune professeur de fitness, son métier, c’est d’apprendre aux autres à dompter leurs corps. Elle est belle. Pourtant, elle se contraint au célibat depuis trois ans puisque son ami est parti gagner sa vie à l’étranger. Son corps, elle ne le garde que pour lui, elle l’attend. Mais elle n’a plus beaucoup de nouvelles, parfois encore, elle reçoit des cassettes VHS où l’autre lui transmet des messages enregistrés au-dessus de films pornographiques bons marchés qu’il ne se donne même pas la peine d’effacer… Mais ce corps qui étouffe et transpire le besoin d’être aimé attire tous les regards et tous les désirs, jusqu’à devenir un danger pour elle même.
Agatha tient une boutique de location de cassettes vidéo, elle est mariée, mère d’une grande fille, une vie pieuse, mais elle se meurt dans son mariage. Elle ne supporte plus son mari. Ni ses mains moites, ni la commisération dégoulinante de sa tendresse qui l’oppresse un peu plus chaque jour. Elle brûle en secret pour un autre homme, elle brûle si fort qu’elle voudrait ne plus se taire, mais cette union est impossible, alors pour ne pas imploser, elle se soulage en utilisant son mari lorsqu’il dort. Elle se sert de son membre pour en aimer un autre tout en sachant que ce plaisir coupable la condamne à la gangrène de la culpabilité.
Iza est la maîtresse d’un homme marié depuis 6 ans. De lui, elle a tout accepté par amour, la clandestinité, la solitude forcée, les cinq-à-sept trop courts, mais aujourd’hui, il commence à se lasser d’elle. Jalousie, haine, douleur et colère s’emparent d’elle et la submergent.
Et puis, Renata est une vieille femme, elle sait qu’elle a fait sa vie et elle la termine dans la solitude et l’anonymat de son petit appartement modeste. Pourtant, elle ne parvient pas à trouver la sérénité, elle est amoureuse de sa jeune voisine, un sentiment qui l’obsède au point de faire l’impensable…

UNITED STATES OF LOVE est un récit tragiquement féministe. Non seulement fait-il état de la complexité et de l’empirisme de la nature des femmes, mais il en dénonce en même temps la méconnaissance et l’anéantissement, par la société polonaise. Et par extension, toute société autoproclamée morale rejetant pour autant les notions fondamentales et purement humaniste constitutionnelles du féminisme tel que le droit disposer de son propre corps et d’aspirer à autre chose que d’être une compagne). Tomasz Wasilewski dresse le portrait de femmes que le désir de désirer consume, tue à petit feu et qui se meurent dans un monde gouverné par l’invective que ce qu’elles ont déjà doit leur suffire.

Outre la finesse de l’analyse du réalisateur sur la condition féminine, le film prend à la gorge grâce à une forme hautement narrative qui transcende le propos. Le réalisateur s’est entouré du chef opérateur Oleg Mutu (la Palme d’or 2007, 4 mois, 3 semaines, 2 jours) et immerge sa Pologne et ses destins dans la froideur glaciale et désincarnée d’une lumière blafarde aux réminiscences de bleu. On brûle à l’intérieur mais dehors, c’est la mort. Les cadres sont parfaitement pensés, vides ou décadrés ou encore surcomposés et propulsent le film dans la dimension la plus symbolique du naturalisme…. Certains pourront reprocher au film cette mise en abîme de la morosité et du désespoir : des plans trop longs, des silences trop lourds, des cadres trop vides. Mais c’est bien cette esthétique mortifère qui vaut au film toute sa prégnance. De chaque image émane le paradoxe permanent du chaud cerné par le froid, du feu qui se heurte à la glace, du désir qui consume le corps et du monde qui lui fait violence, l’étouffe et l’éteint- en tout cas celui des femmes, au nom du respect de la morale, toujours celle des hommes. D’ailleurs Tomasz Wasilewski immisce en permanence entre les lèvres des femmes une cigarette qui se consume et dont la fumée s’échappe par le nez, la bouche et envahit les visages. La fumée que le désir qui transpire et la cigarette, sans cesse, comme le substitue du phallus de l’être aimé qu’on fantasme à posséder mais que rien n’y autorise.

Photo de United States of Love
Un chaud/froid à double échelle entre la nature et son environnement.

Tomasz Wasilewski fait du corps l’objet d’étude central de son film. Ici pas question de le glorifier et (paradoxalement) d’en faire un objet désirable, au contraire, on le montre laid (peut-être tel qu’il est vraiment) et à tous les ages. Dans la laideur, il y a de l’impudeur, de la fragilité, de la vulnérabilité, et c’est ici peut-être l’accès à une forme de vérité. Le réalisateur rappelle que ces corps qui tanguent sont d’abord avant tout des organismes : des muscles qui s’étendent et se crispent souvent dans la disgrâce, de la graisse, des os et des peaux blanches flasques et envahit par les grains de beauté que l’âge enlaidis. Les actes sexuels, eux aussi sont démystifiés, inesthétiques, malhabiles et à la déformation des corps. Le désir ne saurait plus, pour le réalisateur, seulement être une réponse à un stimuli extérieur (vision d’une belle femme, un bel homme qui l’attiserait ) mais bel et bien un mouvement naturel et constitutif du mécanisme humain, un mouvement naturel de la vie. Je ne désire pas, c’est mon corps en tant que machinerie humaine qui désire; mon corps même laid, même vieux, car ma nature est de désirer pour me reproduire. Le désir est un mouvement constitutif du vivant. C’est de cette nature de l’Homme -philosophique, scientifique et religieuse- que parle UNITED STATES OF LOVE et c’est parce que précisément cette nature est ôté à la femme (par les doctrines masculines) au profit d’une validité uniquement au bénéfice des hommes, que le film est une œuvre féministe. UNITED STATES OF LOVE c’est le récit de l’expression pure de l’Humanité dont on prive les femmes.

Tomasz Wasilewski pose sa pierre sur l’Édifice de la pensée féministe. Par le biais de sa mise en scène, il pointe l’origine de l’inégalité fondamentale, naturelle et absolue dont les femmes sont victimes dans les sociétés modernes et archaïques. Mais au-delà du message, Tomasz Wasilewski nous rappelle ici avec subtilité, et seulement à qui voudra l’entendre, que les hommes sont encore loin d’avoir percé le mystère des femmes et que c’est peut-être parce qu’ils en mesurent la grandeur et l’insondable liberté de l’âme- à l’instar du corps divin qui donne la vie- qu’ils le bâillonneront encore longtemps dans l’espoir de conserver la maîtrise d’un monde auquel ils veulent à leur tour arracher l’autocratie divine. Une femme politique à dit «Le féminisme est un humanisme». Assurément.

Sarah Benzazon

[button color= »white » size= »normal » alignment= »center » rel= »nofollow » openin= »samewindow » url= »#comments »]Votre avis ?[/button]

Note des lecteurs0 Note
Titre original : Zjednoczone Stany Miłosci
Réalisation : Tomasz Wasilewski
Scénario : Tomasz Wasilewski
Acteurs principaux : Julia Kijowska, Magdalena Cielecka, Dorota Kolak
Date de sortie : 5 avril 2017
Durée : 1h46min
4
Excellent

Nos dernières bandes-annonces

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Note finale

  1. Critique brillante mais s’agit–il vraiment d’un film féministe ? Je ne le pense pas, les quatre personnages féminins sont des cas de névrose lourde, mis à part le mannequin, analysés dans le contexte d’une religion culpabilisatrice et de l’entrée du pays dans le grand cirque libéral et consumériste, cf la scène d’entrée du film et le titre ironique du film. La limite de ce film dérangeant et beau, c’est que la névrose n’est pas très cinématographique !

    1. Bernardo, tout d’abord merci pour votre commentaire. Non , je ne crois vraiment pas qu’il s’agisse de névrose, au contraire , c’est véritablement le double tempo paradoxal de la libération d’un pays , des mœurs (sur le modele US) qui essaie de s’imposer dont les femmes restent tenues à l’écart. Tous ces personnages , comme je l’explique dans ma critique se consumeNT d’un désir secret, qui je le crois, semble névrotique simplement parce qu’il est tue, contenue, interdit! Et en cela , le film rend aux femmes la droit au desir et met en exergue que ce monde là les en empêche…Et puis , vous savez d’un point de vue purement formel , le fait de suivre ces visages sert a dresser un portrait de femmes , et le réalisateurs est de leur coté, je trouve qu’il dénonce de manière très naturaliste le carcan physique, émotionnel et social qui les écrase. En cela c’est féministe , c’est la dénonciation qui l’est. Je ne crois définitivement pas à la névrose , peut être parce que je suis moi même une femme et que chaque « état » ont généré en moi une possibilité de projection. Et oui , en effet , je vous rejoins , ce film est dérangeant , mais je crois bien plus qu’il s’agisse de la mise en scène que du sujet….Un collègue a déclaré que c’était Carol en Roumanie…Oui et non , je trouve ce film-ci bien plus brillant…Mais il s’agit du désir interdit , voila tout….