Close up
© Splendor Films

[CRITIQUE] CLOSE UP (1991)

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MISE EN SCENE ET NARRATION
8
SCENARIO ET RECIT
8
REFLEXION POETIQUE
8
POLITIQUE ET SOCIALE
8
Note des lecteurs1 Note
7.7
8

Grand artisan de l’expansion du cinéma iranien à la fin des années 1960, Abbas Kiarostami est aujourd’hui considéré comme l’un des grands maîtres du cinéma mondial. En quarante ans de carrière, sa filmographie comporte quelques chefs d’œuvres comme Et la vie continue (1992), Le goût de la cerise (1997), Le vent nous emportera (1999), Ten (2002) et bien sûr CLOSE UP (1991), dont la ressortie en salles dans une version restaurée (le 20 avril par Splendor Films) est l’une des belles idées de cette année 2016. Le film est avant tout une expérience cinématographique fascinante mêlant la puissance « imageante » des images et le rapport contigu qu’elles entretiennent avec le théâtre. Ce mélange de documentaire et de fiction confère à CLOSE UP une perception du réel toute particulière, toute « transformée », qui invite le spectateur à participer ainsi qu’à réfléchir sur les possibilités artistiques du médium. Comment à partir du faux, ou d’une réalité truquée, CLOSE UP parvient à nous faire croire à une réalité bouleversante qui, consciente de ses inégalités sociales, révèle la complexité et la beauté du caractère humain.

Photo du film Close up
© Splendor Films

CLOSE UP redistribue largement les cartes de la fiction inspirée de faits réels en faisant jouer l’histoire par les véritables protagonistes du fait divers. Le scénario est déjà une mise en abyme de cette étroite frontière que celle construite entre l’univers de la fiction et le documentaire, à savoir notre capacité totale ou partielle à croire en l’existence d’un personnage fictif et/ou réel. Cette usurpation d’identité – un certain Hossein Sabzian vole l’identité du réalisateur Mohsen Makhmalbaf (Le cycliste, Kandahar) – est un des aspects fantasmatiques inhérent à la performance de l’acteur et au théâtre. Il y a quelque chose de fantastique de voir cet homme inconnu se prendre au jeu et habiter littéralement la personnalité d’un autre, qui plus est célèbre. Pour filmer cet acte de folie, le cinéma a besoin du théâtre, d’où l’utilisation des reconstitutions et du film à procès pour, comme le souligne le critique Charles Tesson dans Théâtre et cinéma (2007) : « redonner à cette passion singulière le théâtre qui lui manque pour la dire ». Le théâtre brouille le partage des identités et des activités ; chacun y est libre d’incarner ce qu’il veut. La mise en scène de Kiarostami va en quelque sorte construire une réalité seconde, exacerbant les lignes de forces dramatiques du film. Durant les scènes au tribunal, Kiarostami use et abuse des gros plans sur le visage de Sabzian prenant d’ailleurs le soin de lui expliquer en amont le principe des regards caméras et du grand angle ; éléments emphatiques que reprendra en sa faveur Sabzian lors de sa plaidoirie. Ces scènes dévoilent brillamment sa nature sensible. Issu d’un milieu pauvre, quasiment au chômage, divorcé et père de deux enfants, Sabzian explique ses envies d’autre chose, de pouvoir goûter à cette belle vie, visiblement conscient que la notoriété du réalisateur lui apportera le respect, l’admiration et la compassion du regard des autres.

« Tout dans CLOSE UP fabrique et aspire à une réalité qui n’a rien de réelle, mais qui pourtant nous oblige à réfléchir sur elle. »

Alors que la police et la presse ne voient qu’un acte criminel dû à sa condition précaire, Sabzian développe, de la manière la plus sincère, ses aspirations à une plus grande élévation de sa dignité humaine. Il fait également part de ses envies artistiques ainsi que de sa passion pour le cinéma qui constituent le cœur de sa démarche : une performance actorale lui permettant d’exhiber ses fantasmes. Performance qui lui redonne également la confiance, bien qu’au début, il éprouve certaines difficultés à bien cerner cette nouvelle personnalité. Cependant, dès qu’il rentrait chez lui le soir, Sabzian reprenait sa véritable personnalité, et ce, de manière très naturelle. Et bien que le juge lui reproche d’essayer d’amadouer l’assemblée-spectateur en jouant la « carte » sentimentale, Sabzian semble engager dans un autre type de performance, mais cette fois-ci plus tragique, dont le discours et les regards face caméra font partis intégrante de son opération séduction. Sabzian a parfaitement assimilé la puissance de la parole liée au théâtre – le travail sur la voix –  conjuguée à celle du regard (et donc du corps) propre au cinéma comme étant deux des principaux vecteurs d’émotions du comédien. Le cinéma intensifie le visible de la parole véhiculé par le corps de Sabzian. Comme le disait justement Roland Barthes dans Fragments d’un discours amoureux (1977) : « Ce que cache mon langage, mon corps le dit. Mon corps est un enfant entêté, mon langage est un adulte très civilisé ».

C’est par le travail de la mise en scène de Kiarostami que la fiction se nourrit de cette dualité entre illusion et vraisemblance, rêve et réalité. C’est pour ainsi dire le propre du plaisir théâtral que de jouer sur la différence des savoirs : entre les personnages, entre le spectateur et les personnages, etc. Au-delà même des séquences de reconstitution (dans le bus avec une vieille dame admiratrice du cinéaste ou l’arrestation dans la maison du cinéaste), Kiarostami alterne le procès avec des interviews et des images d’archives en noir et blanc qui viennent agrémenter l’illusion d’une réalité authentifiée, et donc véridique. Parfois, un léger panoramique dévoile l’équipe de tournage ce qui perturbe davantage notre perception du réel. Ou encore, la voix de Kiarostami venant subtilement donner quelques consignes de jeu à Sabzian. Tout dans CLOSE UP fabrique et aspire à une réalité qui n’a rien de réelle mais qui pourtant nous oblige à réfléchir sur elle.

Photo du film Close up
© Splendor Films

Le juge finit néanmoins par pardonner Sabzian étant donné son historique compliquée, mais il le sermonne de retrouver le droit chemin et de ne plus s’égarer de la sorte. La scène finale, extrêmement troublante, signe les retrouvailles entre le réalisateur et Sabzian. Très ému, Sabzian se confond largement en excuse. Filmée en caméra cachée, la scène possède un son de très mauvaise qualité, voire coupé par instants. Choix judicieux de Kiarostami qui, ayant prévenu le réalisateur de la caméra cachée, trouve la scène peu crédible en partie à cause du jeu de son ami cinéaste. Néanmoins, cette scène dégage l’illusion d’une réalité qui dépasse la réalité même, et révèle ainsi son essence : la tendre humanité de Sabzian. Tous les personnages de CLOSE UP étant réels, ils existent dans un temps présent (les jeux de temporalité sont extrêmement importants dans ce film) et se retrouvent réunis par la caméra de Kiarostami. C’est fascinant de se dire que dans un même film, où il y est question la plupart du temps de reconstitutions, apparaisse une telle scène qui vient se confronter à la fiction libérant ainsi l’humanité de Sabzian, non plus l’acteur du procès mais bien l’homme réel, qui finit par craquer au moment de rencontrer sa « victime ». Il est d’autant plus frustrant que le film fut tourné à l’aide d’une caméra en pellicule, forçant la coupe toutes les quatre minutes, ce qui empêche Kiarostami de pleinement explorer la nature profonde du plan-séquence (et de la caméra cachée) comme il pourra le faire par la suite avec les caméras numériques (cf. Ten). Dans ce film, il se doit encore d’être présent et de diriger la mise en scène et les acteurs. Alors qu’au fur et à mesure, il disparaîtra au profit de longs plans fixes et des comédiens, ou plutôt des « modèles » si on s’en réfère à Robert Bresson, visiblement un de ses cinéastes préférés.

Antoine Gaudé

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Copyright Splendor Films
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Titre original : Nemaye Nazdik
Réalisation : Abbas Kiarostami
Scénario : Abbas Kiarostami
Acteurs principaux : Hossein Sabzian, Hassan Farazmand, Mohsen Makhmalbaf…
Pays d’origine : Iran
Sortie : 20 avril 2016
Durée : 1heure 34minutes
Distributeur : Splendor Films
Synopsis : Cinéphile obsessionnel et sans emploi, Hossein Sabzian ne peut résister à la tentation de se faire passer pour le célèbre cinéaste Mohsen Makhmalbaf à qui il ressemble, afin de s’attirer les faveurs d’une famille iranienne bourgeoise. Une fois démasqué, cet homme est traîné devant la justice pour escroquerie. Apprenant ce fait divers, le réalisateur Abbas Kiarostami s’empresse de réunir une équipe de tournage afin de reconstituer les faits et de filmer le procès de Sabzian. 

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