LAISSEZ BRONZER LES CADAVRES

[CRITIQUE] LAISSEZ BRONZER LES CADAVRES

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Après s’être appropriés les codes esthétiques du giallo dans leurs précédents films, Hélène Cattet et Bruno Forzani investissent le genre du western comme nouveau terrain de jeu, pour élaborer l’orgasmique LAISSEZ BRONZER LES CADAVRES.

Francis Scott Fitzgerald disait : « L’élégance, c’est une succession de gestes réussis ». Si l’art devait prétendre à une certaine élégance, alors la dernière œuvre d’Hélène Cattet et Bruno Forzani pourrait être définie comme une succession de plans réussis. En saisissant l’image icône, plus vaste et plus persistante que le cadre d’une action, dans un dialogue constant entre stupeur et beauté, le couple de cinéastes a déjà constitué une texture cinématographique avec ses précédents films AMER et L’ÉTRANGE COULEUR DES LARMES DE TON CORPS. Le premier film apparaissait comme un écrin aux rêves cinégéniques du couple, le deuxième semblait en être l’étuve. Dans les deux cas, le giallo servait de chambre d’écho visuel à la psyché de deux enfants biberonnés au lait venimeux du genre. Conscients de leur place dans le patrimoine du septième art et bataillant sans cesse entre les préfixes « post » et « néo », Cattet et Forzani questionnent, par leurs motifs référentiels adressés à un public complice, l’idée d’une identité dépositaire de la somme des identités qui l’ont forgée : Si le cinéaste cite des influences, c’est qu’il affirme une culture, des goûts et des envies; et s’il fait preuve de culture, de goûts et d’envies, c’est donc qu’il affirme une personnalité.

Si l’exercice du giallo se prête par définition à l’étreinte entre Eros et Thanatos, on attendait impatiemment LAISSEZ BRONZER LES CADAVRES en se demandant si les deux cinéastes poursuivraient leur illustration de l’enlacement de la figure de la mort et de celle de l’amour. Le roman d’origine signé Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid proposait à Cattet et Forzani de changer de terrain de jeu pour s’aventurer dans un territoire esthétique et un schéma de récit entre polar et western. Un terrain de jeu tout aussi propice aux réminiscences du cinéma de quartier, où les réalisateurs convoquent par exemple Dominique Troyes (connue à l’âge d’or du X français sous le pseudonyme Marilyn Jess) à qui ils infligent une blessure à l’œil qui rappelle immédiatement les effets gores de Lucio Fulci, le tout sur une musique d’Ennio Morricone empruntée à la bande-originale d’un western de Sergio Sollima.Photo du film LAISSEZ BRONZER LES CADAVRESDe gourmandise cinéphilique, l’exercice vire bientôt au plaisir orgasmique. Dans un premier temps, l’enceinte où devra s’épanouir le genre est disposée comme le théâtre d’un jeu de rivalité permanent entre l’ombre et le soleil écrasant. Avant même que les hostilités ne commencent, il y a déjà confrontation à l’image. Confrontation entre celle qui dessine les faces cachées, les silhouettes et les formes inconnues, et celui qui porte en pleine lumière les gueules monumentales du casting : Stéphane Ferrara, Bernie Bonvoisin, Elina Löwensohn, graphiques comme des personnages de bande-dessinée. La bande-dessinée, le polar à la Manchette, le cinéma de quartier, vous voyez l’hommage coule de source.

« De gourmandise cinéphilique, LAISSEZ BRONZER LES CADAVRES vire au plaisir orgasmique. »

De la lumière fiévreuse et de la chaleur étourdissante de ce western méditerranéen émane une entité, presque un personnage à part entière : L’été. De la même façon que les regards et les peaux des autres personnages trahissent un trouble et une libido, l’été trahit son désir d’action et apparaît comme une conscience méta-filmique, exprimant sa volonté de déchirer l’hymen de la torpeur pour laisser éclater la violence jouissive. Le plaisir de LAISSEZ BRONZER LES CADAVRES se résumerait donc au plaisir habituel du western ? Non, car le décor et le schéma conventionnels sont fréquemment parasités par une humeur artistique de peintre-sculpteur-performeur, porté par le personnage de Luce. L’univers mental de l’artiste-muse insolente et nonchalante interprétée par le magnétique Elina Löwensohn, envahit le film et transforme la situation de western en happening onirique. L’orgasme vient alors, il est fait d’or éblouissant et éclaboussant et de champagne ruisselant des corps nus, exténués par le flux d’énergie entre tension et action. L’image icône conditionne ces corps, les embaume, les immortalise; ils sont rendus au bout de leurs parcours esthétiques. Accomplis donc.

En retrouvant la beauté stupéfiante qui est décidément la marque de fabrique du couple de réalisateurs, on comprend mieux pourquoi une figure fantomatique vient vampiriser le film. La place des deux esthètes au sein du cinéma du genre pose la question de l’existence d’un fantôme dont on pourrait inlassablement chercher la nature et l’origine. Qui a fantasmé sur l’autre le premier ? Sont-ce Cattet et Forzani qui ont appliqué leurs fantasmes sur le giallo, le western ou le polar ? Ou bien ces genres fantasmaient-ils inconsciemment sur Cattet et Forzani avant même que ces deux-là ne viennent au monde ? N’y a-t-il pas plutôt une conscience fantôme, un esprit qui hante les ombres de l’écran, la profondeur habitée chère à Merleau-Ponty ? Le désir semble avoir toujours été là ; et Cattet et Forzani investissent le septième art comme on s’aventure en connaissance de cause dans un lieu hanté. Hanté depuis toujours par un fantôme émanant de deux auras entremêlées, celle de l’instantané et celle de l’intemporel.

Arkham

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Titre original :Laissez bronzer les cadavres
Réalisation :Hélène Cattet et Bruno Forzani
Scénario :Hélène Cattet et Bruno Forzani, d'après le roman de Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid
Acteurs principaux :Elina Löwensohn, Stéphane Ferrara et Bernie Bonvoisin
Date de sortie :18 octobre 2017
Durée : 1h30min
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