LES 7 MERCENAIRES
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[CRITIQUE] LES 7 MERCENAIRES (2016)

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LES 7 MERCENAIRES
• Sortie : 28 septembre 2016
• Réalisation : Antoine Fuqua
• Acteurs principaux : Denzel Washington, Chris Pratt, Ethan Hawke
• Durée : 2h13min
Note des lecteurs6 Notes
2
Note du rédacteur

Les 7 mercenaires (2016) a été chroniqué par Antoine dans le cadre de la rubrique Réflexions Poétiques.

Comment la rencontre entre le genre du western et l’acteur Denzel Washington n’a-t-elle pas eu lieu plus tôt ? A l’instar d’un Woody Strode, immortalisé chez John Ford et Sergio Leone, Washington possède toute la panoplie de la « gueule » de l’Ouest : posture dominante, force tranquille, carapace rigide, lenteur hiératique, etc. Seul Antoine Fuqua (Training Day, Equalizer) semble d’ailleurs avoir saisi le caractère proprement « westerner » du comédien au soixante printemps passés. L’économie des gestes, du phrasé, ce mélange de sérénité et de virilité, font du jeu de Washington la plus limpide expression de la figure du justicier solitaire.

Photo du film LES 7 MERCENAIRES
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Hélas, si Fuqua ne s’attardait pas dans ses interviews à faire croire à qui veut l’entendre qu’il a vu un nombre incalculable de fois Les 7 samouraïs (1954) d’Akira Kurosawa et Les 7 mercenaires (1960) de John Sturges, la réception de son remake en serait moins affectée. Car à l’évidence, Fuqua n’a rien retenu ou tout simplement rien compris des films de ses illustres prédécesseurs. Il s’est pour ainsi dire écarter de tout ce qui faisait la grandeur humaniste et universelle de ces œuvres, en particulier celle de Kurosawa. Chez Fuqua, l’épopée est en permanence contaminée par la religion. Si, comme tout western classique, le monde se révèle entièrement épique – ce qui n’est déjà plus le cas ni chez Sturges ni chez Kurosawa – les héros de Fuqua se définissent dans une situation éthique où le Bien (la communauté) s’oppose au Mal (Bogue et sa milice). Chez Kurosawa, le Bien était largement divisé à travers les valeurs des villageois et celles des samouraïs ; il s’écartait du manichéisme primaire – le combat brigand vs. samouraïs – pour se plonger dans les luttes internes à la communauté. Les samouraïs finissaient même exclus de la victoire finale ce qui amenait à s’interroger sur la moralité de l’activité héroïque, dorénavant indépendante de celle de la communauté. L’épique intervenait toutefois – comme chez Fuqua, quand les villageois et les héros combattent ensemble tel un Bien unifié – pour mieux signifier son déclin au profit d’une dimension plus romanesque et tragique exaltée par cette scission finale, à la fois cruelle et élégiaque. Deux dimensions totalement inexistantes chez Fuqua (la mort d’un des héros est presque vécue sur un ton ludique et goguenard !).

« Le film de Fuqua ne questionne ni l’héroïsme et donc l’obsolescence de ces personnages – et pourtant il avait de quoi faire avec ces nombreux archétypes (le mexicain, l’indien, l’asiatique, etc.) – ni la question civilisationnelle qui constituent pourtant le cœur du western »

Le problème de l’épopée de Fuqua est qu’elle provient d’une autre forme de sagesse que celle des épopées homériques : la morale chrétienne dévalorise foncièrement le travail du héros, et lorsque justice doit être faite, elle semble incapable de s’accommoder d’une quelconque violence à l’image de la vengeance type œdipienne (Bogue a tué la famille de Chilsom). L’affrontement final dans l’Église démontre toute l’absurdité de la situation, Chilsom manquant presque de mourir pour obtenir des pardons improbables. L’amoralité de l’activité héroïque – non hors la loi mais hors la loi commune – ne se réfère à aucun système éthique autre que les valeurs terrestres construites sur l’injustice et l’oppression qui n’ont finalement rien d’absolus. Jamais justifiée dans l’univers épique du western, l’activité amorale du héros se doit de contrarier les plans d’une morale pieuse ce que Chilsom s’avère incapable de faire face à Bogue. Comme le disait avec le sens de la formule le philosophe André Glucksmann : « l’Amérique, protestante et capitaliste, a manqué son épopée pour avoir su trop bien chanter Dieu et parler affaires ». Cette nouvelle version passe ainsi à côté de son sujet proprement éthique, de cette réflexion sur la responsabilité de l’activité héroïque à travers un héros révolté qui s’interroge sur ses actes. Il y a bien un moment dans LES 7 MERCENAIRES où le personnage d’Ethan Hawke se trouve pris par ses vieux démons (le faux enrayement de son fusil par exemple) : son expérience tragique de la guerre de Sécession l’expose à la rencontre de son inconscient. Fuqua esquisse alors le portrait torturé d’un héros tragique mais dont il ne sait que faire tant son univers épique ne supporte pas les contrariétés et les dissonances. La part d’ombre, contrasté de ses héros doit être confronté à l’Église comme Chilsom, et si ce n’est pas le cas, ils doivent mourir le plus vite possible.

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Copyright Sony Pictures

Que dire également de la part « politique » du film tant celle-ci disparaît au profit de gunfights redondants et aseptisés. Alors que chez Kurosawa il existait toute une réflexion sur les dysfonctionnements d’une société civile à part entière, sur la responsabilité civilisatrice du héros, sur celle de la collectivité faisant sa propre expérience, sur cette communion fragile et éphémère, etc. Le film de Fuqua ne questionne ni l’héroïsme et donc l’obsolescence de ces personnages – et pourtant il avait de quoi faire avec ces nombreux archétypes (le mexicain, l’indien, l’asiatique, etc.) – ni la question civilisationnelle qui constituent pourtant le cœur du western. L’épique religieux, emprunt d’un fort manichéisme, l’emporte visiblement sur tout. Le film a évidemment le droit de n’être qu’un western de série B classique faisant la part belle à l’action au détriment d’une discussion sur les mythes de l’Amérique, sur l’évolution du western, sur les conflits intérieurs du héros, etc. Mais alors que vient tout juste de sortir Comancheria de David MacKenzie, LES 7 MERCENAIRES de Fuqua apparaît bien trop léger et frivole pour être considéré autrement que comme un western de série B, jovial certes, mais extrêmement naïf. On soulignera tout de même cette idée salvatrice et originale qui clôture le film : parmi les seuls rescapés, seuls l’indien, le mexicain et le noir survivent. Jadis « pestiférés » du western, le film les réhabilitent définitivement… en tant que bons chrétiens.

Antoine Gaudé

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