A partir d’un fait divers des années 1920, André Téchiné allie émotion et folie en se penchant sur la psychologie d’un couple atypique, devenu trio.
Avec NOS ANNÉES FOLLES, André Téchiné s’intéresse à une extraordinaire anecdote des années 1920, celle de Paul Grappe, déserteur de la Grande Guerre qui s’est travesti de 1915 à 1925 pour échapper aux autorités, menant ainsi une vie de clandestin sous le regard de son épouse Louise. En somme, un récit qui s’accorde bien à l’univers du réalisateur de Ma saison préférée, des Roseaux Sauvages ou encore de Quand On A 17 Ans, puisqu’il lui permet d’aller encore un peu plus loin dans ses sempiternels raisonnements et thèmes de prédilection, à savoir la complexité des rapports humains et affectifs/amoureux ; ou la (homo)sexualité transposée ici dans le double versant de Paul, donc la travestie à la vie débridée nommée Suzanne.
En ce sens, la période des années folles n’est qu’illustration. Même s’il y a une volonté (réussie !) de sonner juste dans la reconstitution de cette époque comme dans la transposition des mentalités, des idées et des mœurs, c’est avant tout les liens passionnels entre les deux protagonistes, le détachement au corps, l’évolution de la relation conjugale due à la transformation quasi-physique mais surtout mentale de l’homme, qui le préoccupent. Dans son habituelle quête d’intimité, Téchiné entre une fois de plus dans l’indicible, dans ce qui ne se ressent qu’à l’intérieur des âmes. Que ce soit Paul ou Suzanne, Louise aimera toujours l’être qui est au plus profond de ce même corps, malgré les apparences, malgré la tournure des événements.La confrontation de deux personnes – thème là encore cher dans le cinéma de Téchiné – n’est peut-être pas aussi puissante que dans certains de ses autres films, mais elle reste solide et réfléchie. Il y a d’un côté la femme qui, elle, reste lucide (bien que parfois tourmentée) face à ce qui arrive dans la tête de son mari. Poussée par l’amour, elle est à la fois spectatrice et actrice, instigatrice et fautive du devenir de son époux. De l’autre côté, l’homme déphasé par la guerre, cerné par son environnement. Il ne peut donc que trouver refuge dans le travestissement. De là nait une tierce personne, transformant peu à peu le duo en trio : Suzanne, qui le fait voyager vers des contrées qu’il ne se serait pas permis d’explorer en restant Paul. Téchiné parcoure alors les terrains de la schizophrénie, tout en construisant progressivement le passage du jeu de rôle (un homme qui se déguise : l’amusement) à la folie (l’homme et le déguisement qui ne font plus qu’un).
Mais au-delà de ce formidable travail de fond, la transposition de tout ce mélange psychologique et psychique dans la forme du film est intéressante. Pour installer la confusion et la faire vivre chez le spectateur, André Téchiné tord et retord habillement le récit, entremêle la fin avec le début, les retours en arrière avec les séquences de cabaret. Celles-ci, en plus de présenter une étape bien spécifique de la vie de Paul Grappe, apportent originalité et (un peu) la fantaisie propre aux années folles. Elles accentuent également la faible barrière entre le réel et l’irréel de cette histoire incroyable, instaurent enfin le doute entre le vrai et le fantasmé. Résulte ainsi un film tout aussi troublant que prenant.Enfin, cet attachement à la psychologie et à la vie conjugale évite à Téchiné de s’enfermer dans une période historique trop cadrée, donc de mettre en boite qu’un « film d’époque ». Étant donné que son cinéma, c’est aussi le témoignage visuel de notre société, de notre mode de vie et de nos questionnements, alors il y a forcément de l’intemporel dans ce qu’il nous montre dans NOS ANNÉES FOLLES. Cela permet ainsi au spectateur de se sentir d’autant plus concerné par l’histoire, ou même, de faire le parallèle avec des débats très contemporains, dont celui de la place de la transsexualité dans la société. Même si ce n’est pas le premier film sur la question, celui-ci se penche finement sur l’abandon de soi, l’évasion, l’épanouissement psychologique, le rapport au corps, les codes de la masculinité/féminité.
Ceci étant dit, toute cette alchimie – qui ne prendrait pas aussi bien si elle n’avait pas été portée par le superbe duo formé par Céline Sallette et Pierre Deladonchamps – forme un film à la fois brillant et poignant, mais aussi élégant. Du beau cinéma.
Yohann Sed
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• Réalisation : André Téchiné
• Scénario : André Téchiné, Cédric Anger
• Acteurs principaux : Céline Sallette, Pierre Deladonchamps
• Date de sortie : 13 septembre 2017
• Durée : 1h43 min